Coronavirus : le sous-développement, talon d’Achille de l’humanité

vendredi 10 avril 2020

Chronique stratégique du 9 avril 2020 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Confinés chez eux, les Français suivent les nouvelles anxiogènes des médias, qui se focalisent presque exclusivement sur la situation française. Pendant ce temps, la pandémie de Covid-19 menace de déferler dans les pays pauvres de l’hémisphère sud.

Alors que partout l’on se gargarise sur le « monde d’après » et sur le fait que tout devra changer, le moins que l’on puisse dire est que les médias français font peu d’efforts pour se changer eux-mêmes, bien au contraire. En plein confinement, ils entretiennent plus que jamais une vision franco-centrée et ne permettent aux Français de voir la situation mondiale que par le petit bout de la lorgnette.

Ils participent ainsi à freiner la possibilité d’une réponse coordonnée à l’échelle planétaire, seul moyen de vaincre la pandémie. Certes, les premiers pas vers une coopération faits par Donald Trump, Xi Jinping, Vladimir Poutine, et dans une certaine mesure Giuseppe Conte et Emmanuel Macron sont importants. Mais la lenteur de la coordination fait courir un grand danger aux populations de l’hémisphère sud, où l’épidémie menace de déferler à tout instant.

Car, sans une aide internationale, les pays sous-développés seront impuissants à empêcher une terrible tragédie, comme on peut déjà le voir en Asie – et en particulier en Inde et en Indonésie – où les gouvernements, qui ont ordonné le confinement fin mars, sont dépassés par une exode massive des travailleurs pauvres hors des grandes villes.

Le sous-développement est le talon d’Achille de l’humanité et, dans le contexte de la crise sanitaire actuelle, ne pas s’engager dans une coopération planétaire reviendrait à se rendre complice d’un crime sans nom.

Exode massive

Si les mesures de distanciation sociale sont possibles parmi les classes moyennes, elles deviennent très vite un cauchemar parmi les populations pauvres. C’est ce que comprend à ses dépens le Premier ministre indien Narendra Modi, depuis qu’il a pris la décision, le dos au mur, de placer son pays en confinement général. Du jour au lendemain, des millions d’ouvriers et de travailleurs journaliers se sont retrouvés sans travail, privés des ressources pour nourrir leur famille. Et, la peur de la faim l’emportant sur celle du coronavirus, des milliers d’entre eux se sont lancés sur les routes, à pied ou entassés dans des bus, créant de véritables scènes d’exode, avec un risque accru de contamination. Des scénarios semblables surviennent au Népal, au Sri Lanka, ainsi que sur le continent africain, comme à Johannesburg.

« Cette période est terrifiante. J’ai peur qu’elle dévaste les pauvres comme jamais et créé la pire crise humanitaire depuis la partition de 1947 », alerte Harsh Mander, éditorialiste et écrivain, grand défenseur des droits de l’homme.

En Indonesie, où l’état d’urgence a été déclaré le 26 mars, des milliers de travailleurs migrants fuient pour rentrer chez eux au Myanmar, au Cambodge et au Laos, pays où les systèmes de santé sont très précaires, et où très peu de personnes sont testées. Près de 84 000 personnes, principalement des Laotiens, ont ainsi afflué, quelques jours avant le 26 mars, dans les trois principales gares de la capitale Bangkok.

« Une menace existentielle pour l’Afrique »

Depuis les 1000 cas comptabilisés à la mi-mars, la progression de l’épidémie en Afrique est constante – près de 17 % par jour, soit un doublement tous les quatre à cinq jours. Dans une étude rendue publique fin mars, l’Imperial College de Londres estime que si rien n’est fait pour freiner la progression du coronavirus, un milliard de personnes pourrait être contaminé en Afrique subsaharienne, causant 2,5 millions de morts. Par contre, dans l’éventualité où des mesures de tests et de confinement étaient mises en places, les contaminés seraient réduits à 110 millions et les morts à 300 000. Encore faudrait-il que de telles mesures puissent être prises, dans des pays manquant cruellement d’infrastructures de santé et d’hygiène publique. Le continent entier ne dispose que de 8000 lits d’unités de soins intensifs, pour une population globale de 1,2 milliards de personnes, à comparer avec les 28 000 lits en Allemagne pour une population de 83 millions...

Le Covid-19 représente « une menace existentielle pour notre continent », affirme le docteur camerounais John Nkengasong, qui dirige le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies, lors d’un récent entretien téléphonique avec des journalistes.

Des responsables de la santé publique tirent la sonnette d’alarme sur le fait que les taux d’infection en Afrique pourraient très vite exploser. (…) Beaucoup s’inquiètent que le nombre de contaminés augmentant, l’épidémie ne touche les populations vulnérables dans les zones de guerre, les bidonvilles et les camps de réfugiés du continent.

Combinaison de facteurs

L’arrivée de l’épidémie de Covid-19 en Afrique ne fait qu’empirer une situation où se cumulent déjà plusieurs catastrophes sanitaires et économiques. En 2019, la Zambie et le Zimbabwe ont connu les pires sécheresses depuis 1981, tandis que le Mozambique a été touché par des cyclones dévastateurs ; dans la Corne de l’Afrique, les « criquets pèlerins » ravagent les récoltes, menaçant 20 millions de personnes de pénurie alimentaire.

Ces pays sont d’autant plus vulnérables qu’ils subissent un véritable pillage économique, au travers du fardeau de la dette. Entre 2012 et 2019, le ratio dette/PIB est passé de 30 % à 95 %, et le service de la dette de 17,4 % à 32,4 % des exportations, comme le soulignait l’ancien directeur du FMI Dominique Strauss-Kahn dans un entretien du 23 mars à Jeune Afrique. On est bien au-delà du plafond de 5 % des exportations qui avait été fixé lors de la conférence de Londres, en 1953, pour restructurer la dette allemande, dont la moitié fut effacée.

A tout cela s’ajoute la chute des prix du pétrole, qui saigne à blanc les pays producteurs, comme le Nigeria, l’Algérie, l’Indonésie, la Côte d’Ivoire ou l’Égypte, privés d’une source vitale de revenus, notamment pour se procurer des biens alimentaires mais aussi des médicaments.

Le cas extrême est l’Iran, où les conséquences de la baisse de revenus du pétrole sont décuplées par le maintien scandaleux des sanctions occidentales, menaçant le pays d’une terrible catastrophe humanitaire et sanitaire.

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Téhéran vient de solliciter le FMI pour un prêt de 5 milliards de dollars. Demande immédiatement bloquée par son plus grand contributeur, les Etats-Unis, pour lesquels il est hors question de mettre sous perfusion un régime qu’ils accusent de « financer le terrorisme ». Le dos au mur, l’Iran, pour des raisons purement économiques, se voit même contraint de desserrer le confinement sanitaire, alors que la pandémie continue à se répandre.

La crise du coronavirus doit sonner le glas de ce système de pillage éhonté et du sous-développement qu’il a engendré à travers le monde.

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