Nourriture : les agriculteurs français appellent l’UE à reconstituer des stocks

vendredi 17 avril 2020, par Karel Vereycken

Il s’avère que ceux qui se moquaient hier des montagnes de beurre étaient les mêmes qui rigolaient avec les stocks de masques contre les pandémies...

En France, le décret du 23 mars ordonnant la fermeture des marchés alimentaires ouverts, a réduit encore un peu plus la distribution de nombreux produits frais.

Avec les restaurants, les cantines et les marchés fermés, l’accès aux supermarchés encadré, les habitudes de consommation sont perturbées. Comme résultat, un certain nombre de produits agricoles, faute de pouvoir être acheminés ou vendus, deviendront bientôt excédentaires. Ce qui n’est pas sans impacter les prix payés aux producteurs, prix qui commencent à dégringoler. Les initiatives de vente directe à la ferme, certes utiles, restents totalement insuffisantes pour écouler les productions.

En pratique, dans un système de l’offre et de la demande, pour faire remonter les prix, il n’y a que deux possibilités : réduire l’offre en détruisant une partie des productions, ce qui implique un gaspillage alimentaire et des pertes financières à court terme ; ou, accroître la demande via des achats, soit par le privé ou par des puissances publiques.

Volonté politique

Pour l’eurodéputé socialiste Eric Andrieu, ainsi que certains syndicats agricoles, il est urgent qu’en activant les anciens mécanismes de la Politique agricole commune (PAC), l’Union européenne se manifeste. Après tout, la PAC (du moins ce qu’il en reste) demeure la seule politique réellement commune. Rappelons qu’à l’origine, la Commission européenne, par sa capacité d’intervention sur les marchés agro-alimentaires, disposait d’un moyen puissant permettant de réguler les prix et les productions.

« Pour éviter de graves dérégulations de prix des aliments, les fermetures de milliers d’exploitations à travers l’Europe ou encore un gaspillage alimentaire sans précédent, il est urgent et indispensable que l’Europe accélère la mise en place de stocks alimentaires », estime Eric Andrieu qui a interpellé à ce sujet la Commission européenne. « L’Europe peut et doit des aides aux producteurs et aux industriels qui mettraient en stocks des produits qui ne trouvent pas preneur », a-t-il insisté, précisant que « plusieurs États européens » réclamaient une telle mesure.

« Il n’est donc pas question à ce stade, de laisser les pleins pouvoirs aux mains de quelques grandes multinationales agroalimentaires mais bien de garantir ici l’intérêt général. Baisser sèchement la production du jour au lendemain n’est pas la solution dans l’immédiat, d’une part parce que ce coup de frein brutal pourrait être fatal à de nombreuses exploitations ET que cela créerait également une grande instabilité sur les marchés. La Commission européenne ne peut rester confinée et spectatrice de ce qui se profile à l’horizon et se doit de tout faire pour garantir la sécurité alimentaire des citoyens européens et d’amener un soutien adéquat au secteur agricole. » conclut l’eurodéputé Eric Andrieu.

Syndicats

C’est également ce que réclame la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, qui a interpellé le ministre de l’Agriculture « pour demander à Bruxelles d’envisager le plus vite possible (...) des mécanismes d’accompagnement financier, pour pouvoir stocker, reporter, congeler, bref, faire en sorte que les produits ne soient pas jetés ou détruits, et que la perte économique pour les producteurs soit atténuée ». Dans un communiqué commun avec les Jeunes agriculteurs, la FNSEA souhaite que l’UE engage « une action spécifique comme le stockage privé ou la régulation des volumes ».

Sur les objectifs, le syndicat agricole Modef, s’accorde. « Dans certaines grandes surfaces, il commence à y avoir une pénurie en lait et en beurre. Les GMS (Grandes et Moyennes Surfaces) ont baissé leurs commandes de 50 % en produits laitiers. Le Centre National Interprofessionnel de l’Economie Laitière (CNIEL) a validé l’indemnisation des éleveurs qui baissent volontairement leur production laitière en avril 2020. Sans prendre de mesures urgentes pour protéger les petits exploitants et maintenir les chaînes d’approvisionnement mondiales, la planète risque une crise alimentaire, prévient l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) », estime le syndicat.

« Pour éviter cette pénurie alimentaire, le MODEF exige un stockage public de l’Union Européenne des produits laitiers, de la viande d’agneau comme pour le beurre en 1984 », indique le syndicat, qui rappelle qu’ « à l’époque, selon l’Office du lait, la CEE avait stocké plus de 500 000 tonnes de beurre. Cette méthode avait permis de réguler la production et de maintenir les prix pour les producteurs français. Derrière cette surproduction, les quotas laitiers avaient été instaurés en 1984. » Ce qui conduit le syndicat à demander qu’aujourd’hui, « les quotas laitiers puissent être réintroduits pendant 18 mois correspondant à la durée maximum de stockage du beurre ».

« La France, qui exporte près de 40 % de sa production laitière, voit ses envois de produits secs (poudre de lait, beurre) vers les marchés du Moyen Orient et d’Asie du Sud-Est confrontés à des problèmes logistiques contraignants », regrette pour sa part la Coordination rurale (CR) dans un communiqué du 19 mars relatif au coronavirus. Pour soutenir le revenu des éleveurs, la CR souhaite la mise en place de plusieurs mesures, notamment un état des lieux des stocks de produits laitiers européens (publics et privés) pour ne pas « entrer dans une surproduction néfaste ».

Pour l’heure, la Commission européenne n’a pas annoncé de dispositifs spécifiques, alors que les mécanismes légaux existent déjà, martèle la FNSEA. « Les outils existent, le règlement OCM offre plusieurs mécanismes que la Commission européenne peut activer en cas de déséquilibres graves de marché. Or c’est bien le cas de la situation actuelle qui remplit malheureusement tous les critères : elle n’était ni prévisible, ni intrinsèque au secteur agricole » a rappelé le syndicat dans son communiqué.