L’océan pourra nourrir six fois plus de gens

mardi 28 avril 2020, par Karel Vereycken

Un petit cours de géométrie pour les poissons à partir d’un isocaèdre ? Non, des nouvelles techniques de mariculture.

Les écologistes et les malthusiens nous le répètent jour après jour : l’homme, cet animal prédateur qui se reproduit à grande vitesse, est en train de vider l’océan.

Une affirmation qu’il faut sérieusement nuancer, nous dit Christopher Costello, l’auteur principal d’un nouveau rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) intitulé Le futur de l’alimentation marine, le premier d’une série de 16 « livres bleus » écrit à la demande du Haut Conseil pour une Economie Marine durable (High Level Panel for a Sustainable Ocean Economy).

« La nourriture de l’océan est d’une grande valeur économique et sociale pour le Kenya et le reste de l’Afrique. Des millions de nos concitoyens aussi bien au Kenya qu’en l’Afrique, dépendent de l’océan pour leur revenu, leur emploi, leur nourriture, les protéines et d’autres nutriments », disait le président kényan, membre du Haut Conseil.

Sous la direction de la Norvège, cette institution comprend les Présidents du Kenya, de la Namibie, du Ghana, de l’Indonésie, du Mexique, du Chili, ainsi que les premiers ministres de la Norvège, du Japon, du Portugal, du Canada, de la Jamaïque, ainsi que le représentant spécial de l’ONU. Alors qu’elle dispose de la deuxième plus grande zone économique exclusive du monde, la France y est cruellement absente.

Alors que l’on croyait l’océan surexploité et ses ressources en voie d’épuisement, ce chercheur estime que grâce à une volonté politique, des investissements conséquents et une approche « bio-systémique » de la pêche, l’océan pourrait, à l’avenir, fournir six fois plus de nourriture : « L’océan possède un énorme potentiel inexploité pour nourrir le monde dans les décennies à venir, et cette ressource peut être exploitée avec une empreinte environnementale bien inférieure à celle des autres sources alimentaires », précise Costello.

La pêche assure actuellement un cinquième des protéines animales consommées dans le monde, voire plus dans certains pays asiatiques, comme le Sri Lanka, où la moitié des protéines proviennent de la mer. En plus des protéines, le poisson, les algues et autres crustacés sont une source importante d’acides omega-3, de vitamines et minéraux essentiels contre la malnutrition.

Aujourd’hui, la pêche reste une activité humaine comparable à ce qu’était la cueillette sur Terre avant l’invention de l’agriculture. On tend à l’oublier, dans l’histoire, l’agriculture est le plus grand saut « qualitatif » ayant permis à l’espèce humaine d’atteindre sa taille et son degré de développement actuel et futur. Aujourd’hui, notre espèce, sera-t-elle à nouveau capable de faire une révolution du même type mettant en culture les océans qui couvrent 73 % de la surface terrestre ?

Ce défi reste à relever. Car depuis trente ans, enfermées dans une vision du court terme financier conduisant au pillage des ressources et à la multiplication des pollutions, les captures de pêche plafonnent à environ 80 millions de tonnes par an.

En raison de la surpêche, la productivité de la pêche ne cesse de décliner : une récente étude a montré que les bateaux ramènent 80 % de poisson de moins qu’en 1950.

Mais, selon les experts de la FAO, ce déclin n’est pas inexorable : il serait possible de capturer 20 % de poisson de plus qu’aujourd’hui en arrêtant la surpêche grâce au développement de la « mariculture » (élevage d’animaux et de végétaux marins dans l’océan ou les zones côtières).

En plein boom ces dernières années, l’aquaculture (sur terre ferme) fournit désormais la moitié de la production halieutique mondiale. Hélas, la majeure partie de cette production est elle-même nourrie avec d’autres protéines animales (la farine et l’huile de poisson produites à partir d’espèces pélagiques comme les anchois), accroissant encore la pression sur les ressources.

La moule, l’avenir de l’humanité ?

Mais là encore, la FAO est optimiste. « La production d’algues marines ou de moules, qui ne dépendent pas d’intrants alimentaires supplémentaires, pourrait contribuer significativement à l’approvisionnement alimentaire mondial tout en améliorant la qualité de l’eau, en créant un habitat pour le poisson et en contribuant à l’entretien des côtes », notent les auteurs du rapport de la FAO.

À titre d’exemple, bien qu’il reste des obstacles à franchir, il serait possible de produire annuellement 768 millions de tonnes de bivalves, contre à peine 15,3 millions aujourd’hui. De nouveaux aliments pourraient être mis au point, par exemple les insectes, pour nourrir les espèces carnivores comme le saumon d’élevage, ou encore développer des plantes génétiquement modifiées plus nourrissantes.

Tout cela dans des limites bien réelles : les végétaux sont par exemple beaucoup moins nutritifs que la viande : remplacer à peine 1 % de notre alimentation par des algues nécessiterait de multiplier leur production par 73, indique une étude de la Banque mondiale de 2016. Or, selon la FAO, il faudra produire près de 500 millions de tonnes de viande pour couvrir les besoins de l’humanité en 2050.

La bonne nouvelle, c’est que le potentiel de la mer dépasse largement ce chiffre et pourrait fournir ces protéines à un coût environnemental bien moindre, soulignent les auteurs.

Vu la crise du Covid-19 qui fragilise encore plus la situation alimentaire mondiale, il est donc de la plus grande urgence de permettre aux pêcheurs d’aujourd’hui de devenir les « ingénieurs de la mer » de demain.

Pour conclure, voici un court reportage sur le projet d’Aquapod, sorte de cage sphérique à poissons, exploitable en haute mer et décrit sur le site Futura Planète. Mangerons-nous bientôt plus de poissons grâce à lui ?

VICE TV Deep Sea Fish Farming in Geodesic Domes from Dave Warshauer on Vimeo.