Covid-19 : la bataille pour faire du vaccin « un bien public mondial » fait rage

samedi 23 mai 2020, par Karel Vereycken

La 73e Assemblée mondiale de la santé (AMS), l’organe décisionnel suprême de l’OMS, qui a réuni les 18 et 19 mai en visioconférence les représentants des 194 Etats membres, fut un succès.

La démarche américaine visant à torpiller le sommet de l’OMS et la coopération avec la Chine a clairement échoué. Elle apparut pour ce qu’elle est : une vulgaire manœuvre électorale visant à faire oublier la gestion cataclysmique de la pandémie aux Etats-Unis, doublée de la volonté manifeste d’un secteur pharmaceutique dopé par les bourses de s’imposer sur le marché mondial, si besoin, au détriment des autres.

Donald Trump, qui, à quelques mois des élections, aura tendance de faire de son mieux pour écarter des mesures de confinement mettant en lumière le piètre bilan de son mandat, accuse non seulement la Chine d’avoir « caché » la vérité sur la pandémie de Covid-19, mais aussi l’OMS d’en être « la marionnette ».

Pour l’instant, à ce jeu-là, c’est plutôt la Chine qui remporte la partie. Alors que les Etats-Unis ont suspendu leur cotisation d’environ 500 millions de dollars par an à l’OMS et envisagent même de s’en retirer purement et simplement, la nouvelle contribution chinoise à cet organisme, qui sera étalée sur deux ans, « représente plus du double de ce que les États-Unis donnaient à l’OMS avant que le président Trump ne suspende le financement américain en avril dernier », relève le New York Times.

Forcément, la réaction chinoise fut immédiatement présentée par les autorités américaines comme une énième tentative pour « empêcher un examen plus approfondi pour déterminer si elle avait caché des informations sur l’épidémie au monde entier ».

Pour Ryan Hass, spécialiste de la Chine à la Brookings Institution et ancien membre du Conseil de sécurité nationale du président Barack Obama, un schéma familier apparaît : « Chaque fois que Trump retire les États-Unis de la scène mondiale, Xi annonce que la Chine fera un pas en avant. Xi Jinping a fait preuve d’un opportunisme impitoyable en cherchant à exploiter l’abandon par l’Amérique du leadership mondial. »

La Henry Jackson Society, ce club influent de néo-conservateurs des deux rives de l’Atlantique qui est au cœur de « la relation spéciale » anglo-américaine et qui est maître ès art de cuisiner des infox (contre l’Irak, contre la Russie et maintenant contre la Chine), a même convaincu de nombreux dirigeants (du Royaume-Uni, d’Australie, des Etats-Unis) de réclamer de la Chine jusqu’à 8000 milliards de dollars de « compensations » !

Cessons de voir la paille qui est dans l’œil de notre frère.
Regardons la poutre qui est dans le notre !

En réalité, face à la pandémie et contrairement aux rumeurs malveillantes, la Chine, après quelques hésitations au niveau local, a pris la mesure du problème. Contrairement à des pays comme le Brésil ou les Etats-Unis, qui se précipitent maintenant dans un déconfinement précoce sans équiper les populations de protections adéquates, la Chine a écarté la fameuse stratégie « d’immunité collective », qui, en laissant l’épidémie se répandre dans la population, est censée dresser une barrière naturelle, mais au prix de millions de morts !

Refusant ce choix, la Chine, constatant la dangerosité du virus, a réagi avec force, rapidité et détermination en prenant des mesures d’une ampleur inédite : confinement strict, dépistage et isolement des cas contagieux ; séquençage rapide du génome du virus et partage immédiat avec les chercheurs du monde entier de l’information, permettant aux autres pays de mieux préparer leur riposte.

L’OMS coupable ?

Quant à l’OMS, accusée d’avoir déclenché en 2009 une alerte pandémique « pour rien » face au H1N1 (qui s’avéra heureusement moins dangereux qu’on le craignait), cette fois-ci, les experts de l’OMS, en désaccord entre eux (comme le montrent les minutes des réunions que vous pouvez consulter), ont mis quelques jours (et non pas des mois) avant de sonner le tocsin.

Et, dans son « Plan mondial OMS de préparation à une pandémie de grippe » de 2005 (une mise à jour de la version initiale de 1999), l’OMS avait été très claire :

Il est impossible de prévoir à l’avance quand pourrait avoir lieu la prochaine pandémie, ou la gravité de ses conséquences. En moyenne, trois pandémies par siècle ont été documentées depuis le XVIe siècle, se produisant à des intervalles de 10 à 50 ans. Au cours du XXe siècle, de telles pandémies se sont produites en 1918, 1957 et 1968. (…) Si un virus grippal pandémique analogue à celui qui a sévi en 1918 réapparaissait, même en tenant compte des progrès de la médecine réalisés entretemps, on pourrait s’attendre à un nombre sans précédent de malades et de décès. Les voyages aériens pourraient accélérer la propagation d’un nouveau virus et diminuer le temps disponible pour préparer les interventions. Les systèmes de santé pourraient être rapidement surchargés, les économies mises à rude épreuve et l’ordre social ébranlé. Si l’on estime qu’il est quasiment impossible d’arrêter la propagation d’un virus pandémique, il devrait être possible d’en réduire les conséquences au minimum en se préparant à l’avance à relever le défi. (Page 3)

Et parmi les onze mesures que l’OMS conseillait dès 2005 à chaque pays pour s’y préparer : 

Envisager de constituer une réserve nationale (d’antiviraux, de matériel de protection individuelle, vaccins, produits diagnostiques de laboratoire ou autre soutien technique) à déployer rapidement, le cas échéant. (Page 13)

Pour conclure, ce sont nos gouvernements (en Occident) qui, pour la plupart, par aveuglement et par incapacité, après avoir feint pendant sept semaines (de fin janvier à fin mars) que cela ne nous concernait pas, se sont vus contraints d’adopter des méthodes « moyenâgeuses », à savoir le confinement. S’il y a une chose qu’ils avaient prévue, c’était de ne pas prévoir… Soyons honnêtes : certains pays, souvent plus réactifs car bien conscients de leur faible capacité à secourir les malades, ont mieux géré la situation.

Revenons maintenant sur les pistes potentiellement intéressantes qui ont émergé lors de l’Assemblée mondiale de la Santé des 18 et 19 mai :

1. Une enquête indépendante sur l’origine de la pandémie

Le premier africain à la tête de l’OMS, le kényan Tedros Adhanom Ghebreyesus, ici lors d’une assemblée de l’OMS en mai 2017.

Pour sortir de cette polarisation sino-américaine dangereuse et stérile, la Chine a accepté le principe d’une enquête indépendante sur l’origine de la pandémie de Covid-19, comme le réclament les Etats-Unis et l’Australie, soutenus par une centaine de pays. Cependant, Beijing en fixa les préalables : « Les calomnies de Washington selon lesquelles un laboratoire de Wuhan serait à l’origine du virus, ont été universellement démenties par les scientifiques ; pourtant, les États-Unis continuent de manière irrationnelle à appeler à une enquête. C’est une demande bien évidemment injuste et non scientifique que la Chine n’acceptera jamais », souligne le quotidien proche de la direction chinoise Global Times.

Cependant, pour être rationnel, Beijing « peut-il s’opposer à la recherche scientifique sur l’origine du virus ?? » demande le journal. « Non, car il est nécessaire de considérer le Covid-19 de manière scientifique, afin de déboucher sur des mesures de prévention et sur le développement de vaccins et de médicaments. » L’on comprend que pour Beijing, cette enquête « doit être menée par l’OMS et non par un pays ou une organisation régionale. Elle doit être scientifique et impartiale. Les éléments liés à la Chine, mais aussi ceux liés aux États-Unis et aux autres pays doivent être inclus. »

Soulignons que de nombreux chercheurs estiment que l’origine chinoise du virus reste à démontrer. Aux Etats-Unis, « parmi les cas de grippe enregistrés cet hiver, combien étaient des infections au nouveau coronavirus ?? » s’interroge le Global Times.

Bruxelles, très impliquée dans les discussions, s’est félicitée de ce résultat pour la diplomatie européenne et ne s’est pas privée de tacler M. Trump en rappelant que « le moment [n’était] pas venu de pointer du doigt et d’affaiblir la coopération multilatérale ».

2. Faire du vaccin « un bien public mondial »

Avant de se pencher sur la bataille en cours, un mot sur le précédent historique du vaccin contre la poliomyélite, mis au point en 1953 par le biologiste américain Jonas Salk (1914-1995), ami de Charles Mérieux, le fils de Marcel Mérieux, un élève de Louis Pasteur.

Or, Jonas Salk n’a jamais breveté son vaccin contre la polio afin d’en permettre une plus large diffusion. Et lorsque la télévision lui demande qui détenait le brevet, il répond : « Eh bien, au peuple je dirais. Il n’y a pas de brevet. Pourrait-on breveter le soleil ? ».

A. La Chine

D’ores et déjà, la Chine se positionne en acteur incontournable dans la course à un éventuel vaccin, en vue de protéger sa population mais aussi de faire taire les critiques occidentales sur sa gestion de l’épidémie.

Le pays encourage instituts publics et compagnies privées à accélérer leurs recherches. Un soutien qui permet à la Chine d’avoir cinq vaccins expérimentaux déjà testés sur l’homme, selon les dires de son Président. Si ces tests cliniques se poursuivent sans encombre jusqu’à la découverte d’un vaccin, Xi Jinping a promis qu’il en ferait « un bien public mondial », accessible et abordable pour les pays en développement.

B. L’axe Macron-OMS-Gates-Chine

Une ambition partagée au niveau mondial par de nombreux acteurs dans le domaine de la santé et décideurs politiques, notamment par le président Emmanuel Macron, qui, espérant marquer une présence européenne, multiplie réunions et déclarations à ce sujet :

  • Le 9 avril, il annonça le lancement de l’initiative « Covid-19 – santé en commun » pour répondre à la crise sanitaire provoquée par la pandémie dans les pays les plus vulnérables d’Afrique, de l’océan Indien, des Caraïbes et du Proche-Orient.

Dotée de 1,2 milliard d’euros, elle permettra de soutenir rapidement les systèmes de santé, les réseaux régionaux de surveillance épidémiologique et les ONG engagées sur le terrain.

  • Le 16 avril, le président de la République réunissait, lors d’une conférence téléphonique, les responsables des principales organisations internationales de santé, actives dans la riposte contre le Covid-19, pour la plupart, on peut le regretter mais c’est ainsi pour l’instant, des fondations privées ou des partenariats public-privé :

Parmi ces acteurs travaillant en partenariat avec l’OMS :

  • Unitaid a été créée en 2006 sur initiative franco-brésilienne pour catalyser l’accès aux innovations en santé et faciliter leurs mises à l’échelle.
  • GAVI, alliance mondiale créée en 2000, joue depuis 20 ans un rôle déterminant pour faciliter l’accès et la distribution des vaccins dans les pays en développement.
  • Le Fonds mondial, créé en 2002 pour mettre fin aux épidémies de sida, de tuberculose et de paludisme, agit pour renforcer les systèmes de santé dans la lutte contre le COVID-19.
  • CEPI (Coalition for Epidemic Preparedness Innovations) est un partenariat public-privé lancé lors du forum économique mondial de 2017, dont la finalité est de lutter contre les épidémies et les maladies pour lesquelles il n’existe pas encore de vaccin.
  • La fondation Bill & Melinda Gates, créée dès 1994, est une organisation philanthropique engagée dans le financement du développement et de la santé mondiale.
  • La Wellcome Trust est une fondation dont le but est d’améliorer la santé en soutenant la science et la recherche pour relever les grands défis en santé.
  • La Banque mondiale a mis en place un plan d’urgence pour aider les pays à faire face aux conséquence sanitaires et économiques de la pandémie.

Dans la boucle également, le Medecines Patent Pool, ainsi que la virologiste Françoise Barré-Sinoussi, présidente du Comité analyse recherche et expertise (CARE), pour renforcer la coordination internationale autour de l’OMS et mettre sur pied une initiative multilatérale.

Cet échange permit de définir un appel à l’action commun dont l’objectif est d’accélérer le développement et l’accès aux traitements, diagnostics et vaccins, y compris dans les pays les plus défavorisés, une initiative baptisée ACT (Accelerator of Covid-19 Tools, en français Accélérateur d’accès aux outils Covid-19.)

  • Le 24 avril, lors d’une nouvelle visioconférence en préparation à l’AMS des 18 et 19 mai, Macron précisa l’initiative ACT, plaidant, selon l’agence de presse chinoise Xinhua, « en faveur d’une coopération internationale en matière de vaccins contre le Covid-19, mais aussi de financements et de soutien aux systèmes de soin, lors de la réunion de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) impliquant plusieurs dirigeants internationaux (...) Un dispositif comportant quatre principaux axes a été détaillé lors de cette réunion. Il est porté par l’OMS, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le président Macron et la Fondation Melinda et Bill Gates, avec la participation de huit des principales organisations de santé et de développement. »

    Pour ce qui est des traitements, Emmanuel Macron souligne que bien que « beaucoup de nos personnels soignants et chercheurs soient en train de coopérer, en Europe et dans le monde, pour développer des essais cliniques afin de lutter notamment contre les effets inflammatoires (...) nous devons investir pour accélérer et rendre accessible des traitements partout dans le monde ». Quant aux vaccins, nous dit-il, « nous devons écraser les échelles de temps et d’espace en investissant dans plusieurs familles de vaccins (...) et il est inexcusable de dire que c’est dans le pays où le vaccin sera inventé qu’il sera appliqué (...) il faut rendre accessible ce vaccin dans toutes les géographies (...) c’est aussi la seule solution pour retrouver une vie normale ».

Pour Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, tout vaccin contre le Covid-19 doit être considéré comme un « bien public mondial. Non pas un vaccin pour un pays ou une région, mais un vaccin qui est abordable, sûr, efficace, facile à administrer et universellement disponible, pour tout le monde et partout ».

  • Le 4 mai, un « marathon mondial des donateurs » a réuni 7,4 milliards d’euros pour financer l’initiative ACT, un partenariat mondial pour développer des diagnostics, des médicaments et des vaccins. Il se poursuivra jusqu’à la fin du mois. Hormis les Etats-Unis, qui y brillaient par leur absence, plusieurs chefs d’État et de gouvernement étaient présents : la chancelière allemande Angela Merkel, le Premier ministre britannique Boris Johnson, le japonais Shinzo Abe, l’israélien Benjamin Netanyahou, l’australien Scott Morrison et le canadien Justin Trudeau, ou encore le président turc Recep Tayyip Erdogan.

L’Allemagne s’est engagée pour 572,9 millions de dollars et la France pour 545,6 millions de dollars.
Et pour Macron, la même méthode devrait être appliquée « à d’autres pandémies telles que la tuberculose, le VIH, le paludisme (...) qui ont touché beaucoup plus durement que d’autres les pays vulnérables, et nous devons aller plus loin tous ensemble ».

L’ONG Oxfam souligne que « selon les estimations de la Fondation Bill & Melinda Gates, l’achat et l’administration d’un vaccin sûr et efficace aux personnes les plus pauvres du monde coûteraient 25 milliards de dollars. L’année dernière, les 10 plus grandes entreprises pharmaceutiques ont engrangé 89 milliards de dollars de bénéfices, soit près de 30 milliards de dollars en moyenne tous les quatre mois ».

4. Allègement de la dette

Pour sa part, le président chinois annonça que son pays contribuerait à hauteur de 2 milliards de dollars (1,8 milliard d’euros) à la lutte mondiale contre le Covid-19. La Chine souhaite notamment travailler avec les membres du G20 « pour mettre en œuvre l’initiative d’allègement de la dette des nations les plus pauvres », leur permettant ainsi de mieux faire face à la crise sanitaire. En collaboration avec l’ONU, Xi Jinping proposa également de faire de la Chine une « plateforme logistique » et un « entrepôt » humanitaires d’urgence, destinés à faciliter l’approvisionnement en équipements contre la pandémie dans le monde.

5. Le débat devient public

Pour sa part, à ce jour, Oxfam France a déjà réuni près de 20000 signatures pour sa pétition pour un vaccin gratuit pour toutes et tous contre le coronavirus

L’ONG exige notamment « le partage obligatoire de la totalité des connaissances, des données et de la propriété intellectuelle en relation avec le Covid-19, et l’engagement de n’accorder de financements publics qu’à condition que les traitements ou vaccins mis au point soient exempts de brevet et accessibles à toutes et tous. »

Cette confédération d’organisations réclame en outre « un engagement à accroître les capacités mondiales de fabrication et de distribution des vaccins, financé par les pays riches. À cette fin, il faut bâtir des usines dans les pays disposés à partager et investir dès maintenant dans les millions de travailleurs et travailleuses de la santé supplémentaires nécessaires pour assurer la prévention, les traitements et les soins, tant aujourd’hui qu’à l’avenir ».

De leur côté, dans une tribune publiée le 21 avril dans Le Monde, deux experts de renom, Ellen’t Hoen et Achal Prabhala, rappelaient les enjeux :

Le monopole est souvent considéré comme une déviance du marché qui peut être corrigée à coups de lois antitrust et de politiques favorisant la concurrence. Or les brevets sur les médicaments sont des monopoles temporaires inscrits dans la loi, octroyés à des inventeurs pour récompenser leur investissement dans la recherche et le développement. En théorie, le monopole prévu par un brevet prend fin au bout de vingt ans.

Dans la pratique, des brevets additionnels sont déposés pour des modifications mineures et prolongent ce délai de manière considérable, et de nombreux pays, au motif de stimuler l’innovation, prévoient des exclusivités de marché spécifiques aux médicaments. Pourtant, lorsque le brevet et l’exclusivité arrivent à échéance, la commercialisation de versions génériques du médicament par la concurrence peut en diviser le prix par vingt.

En 1996, un traitement contre le sida (VIH) avait été commercialisé aux Etats-Unis par un petit groupe de laboratoires avec l’aide financière des National Institutes of Health (le principal organisme fédéral américain de recherche médicale), transformant en maladie chronique ce qui était jusque-là une condamnation à mort. Ce traitement, qui associait plusieurs antirétroviraux, tous protégés par des brevets, était disponible au prix de 10 000 euros par an. Un peu partout dans le monde, un tel prix équivalait à une absence totale de traitement. Ce n’est qu’en 2004, après la mort de millions de personnes, que les prix ont baissé et que l’Inde et l’Afrique du Sud ont enfin été en mesure de s’offrir le traitement.

6. 130 personnalités internationales pour un vaccin gratuit

Dès le 15 avril, le Dr Gavin Yamey, professeur de santé publique à la Duke University, dans une tribune publiée par TIME Magazine, avait lancé une mise en garde. Après s’être félicité de l’intérêt suscité par la fabrication éventuelle d’un vaccin contre le Covid-19, il soulignait qu’il n’existe aucune garantie que tous le monde puisse un jour en profiter.

Constatant le raid lancé (sans succès) par l’Administration américaine visant à prendre le contrôle, pour eux seul, du laboratoire allemand Curevac, Yamey souligne qu’« il existe un risque sérieux que les pays riches vont monopoliser le vaccin et délaisser les pays pauvres (...) Un tel comportement de la part des pays riche ne serait pas seulement immoral mais désastreux pour leur propre situation sanitaire et de relance, et cet égoïsme mettrait à mal l’effort mondial, d’endiguer les pandémies une fois pour toutes »

Le 14 mai, un collectif de plus 130 personnalités internationales – dont le Premier ministre pakistanais Imran Khan, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, le président sénégalais Macky Sall, le président ghanéen ou encore l’économiste Joseph Stiglitz – demandait lui aussi, dans une tribune au Monde, de garantir un accès universel et gratuit au vaccin contre le Covid-19.

Nous demandons aux ministres de la santé réunis à l’Assemblée mondiale de la santé de se rallier d’urgence à la cause d’un vaccin pour tous contre cette maladie. Les gouvernements et les partenaires internationaux doivent s’engager : lorsqu’un vaccin sûr et efficace sera développé, il devra être produit rapidement à grande échelle et mis gratuitement à la disposition de tous, dans tous les pays. Il en va de même pour tous les traitements, diagnostics et autres technologies contre le Covid-19.

(…) Nous reconnaissons que de nombreux pays et organisations internationales progressent vers cet objectif, en coopérant multilatéralement en matière de recherche et de développement, de financement et d’accès, y compris les 7,4 milliards d’euros annoncés le 4 mai dernier, dont il faut se féliciter.

Directeur de l’Institut de santé globale de l’Université de Genève, le français Antoine Flahault regarde dans la même direction : « Nous n’avons pas beaucoup de choix. Le monde recense cinq grandes firmes pharmaceutiques, quelque 60 usines pouvant produire des médicaments et vaccins. C’est pourquoi je salue l’initiative intitulée ‘Act Accelerator’ lancée le 24 avril dernier notamment par l’Union européenne, l’OMS, GAVI (Alliance globale pour les vaccins et l’immunisation) et le Fonds mondial. C’est exactement la réponse coordonnée, multilatérale et pragmatique qu’il nous faut » pour garantir dans un premier temps un vaccin aux personnels médicaux et aux populations vulnérables.

7. Le bras de fer avec Big Pharma ?

Le 18 mai, les 194 membres de l’OMS adoptaient la résolution portée par la France et soutenue par l’UE et de nombreux pays dont la Chine, « reconnaissant le rôle de l’immunisation extensive contre le Covid-19 comme un bien public pour la santé en vue de prévenir, de contenir et d’arrêter la transmission afin de mettre fin à la pandémie, une fois disponibles des vaccins sûrs, de qualité, efficaces, efficients, accessibles et abordables. » (OP6, page 3)

En réalité, sans toutefois être actée, la notion « d’abandon volontaire de brevets » au profit de l’OMS, qui est au cœur de la résolution, provoque l’ire du Big Pharma et de ses représentants.

« La semaine dernière, les Etats-Unis ont tenté de saper cette disposition de la résolution en faisant un lobbying intense auprès d’ambassadeurs africains, explique Thiru Balasubramaniam, de l’organisation KEI. Le bloc a tenu bon face aux tactiques agressives des Etats-Unis. Les plus affaiblis par cette disposition risquent bien d’être les Américains eux-mêmes. »

Les Etats-Unis ont voté la résolution tout en annonçant qu’ils se dissociaient de plusieurs paragraphes, comme l’autorise le règlement de l’OMS. Washington s’est notamment distancé du paragraphe clef qui appelle à ce que le futur vaccin soit « rapide » « équitable » « sûr » et « abordable », en s’opposant à la possibilité d’assouplir les droits de propriété intellectuelle pour la fabrication de médicaments et vaccins anti-Covid-19.

Les Américains ménagent ainsi les industries pharmaceutiques en estimant que le futur vaccin, s’il doit être « abordable », ne peut pas être « gratuit ». Ils s’inquiètent surtout de l’apparition d’un « nouveau langage en matière de propriété intellectuelle » qui torpillerait cette dernière. Cette résolution « envoie un mauvais message aux innovateurs », assure dans un communiqué la représentation américaine auprès des Nations unies à Genève. Une manière « totalement inappropriée d’exploiter le contexte du Covid-19 », selon eux.

Ils ne sont pas les seuls. Le Royaume Uni et la Suisse, abritant une industrie pharmaceutique florissante, n’y était pas favorable non plus.

Le vent de l’histoire commence à tourner

Mais le vent de l’histoire commence à tourner. Les propos de Paul Hudson, le patron de Sanofi, l’un des plus grands producteurs de vaccins, annonçant que sa société, qui a bénéficié d’investissements américains, réserverait son futur vaccin en priorité aux Etats-Unis, ont immédiatement suscité un tollé général et un rétropédalage immédiat de Sanofi et de Hudson, convié à l’Elysée.

D’après le quotidien suisse Le Temps, « L’UE a réagi, précisant qu’un tel vaccin serait un bien public. (…) Macron est allé plus loin, relevant qu’un vaccin devrait être affranchi des ‘lois du marché’, suscitant l’ire des Américains. De son côté, Donald Trump a poussé son administration à soutenir l’opération ‘Warp Speed’ qui exclut toute coopération internationale et tout vaccin chinois. L’objectif est de fournir aux Américains seulement 100 millions de doses de vaccin en novembre et 200 autres millions d’ici à janvier 2021 ».

Pour sa part, l’ex-sous-directrice de l’OMS chargée du déploiement des vaccins pandémiques au moment de l’épidémie de H1N1, Marie-Paule Kieny met en garde : « On nous fait croire que seules les sociétés de la Fédération internationale de l’industrie du médicament (FIIM) sont capables de les produire. Ce n’est pas vrai. L’Inde et son Serum Institute of India, ainsi que la Chine, ont d’énormes capacités. Le défi, pour la Chine, sera de trouver les pays qui seront prêts à accepter des essais cliniques, moyennant sans doute quelque chose en retour. »

Aux Etats-Unis, le Human Vaccines Project, un consortium global à but non lucratif basé à New York, s’active pour accélérer le processus. Il a ainsi lancé la « Covid Vaccines Initiative » pour développer des vaccins sûrs, efficaces et accessibles aux populations les plus vulnérables, notamment dans les pays à faible revenu.

Comme le précise son directeur général Wayne Koff, dans les colonnes du Temps : « Pour qu’un vaccin soit déployé dans le monde entier, il faudra une coopération internationale sans précédent. Rien à voir avec la rhétorique nationaliste de Washington, où l’on s’intéresse davantage à l’élection présidentielle de novembre. »

Nathalie Courtinet, économiste à l’université de Paris-XIII et spécialiste des laboratoires pharmaceutiques, ajoute : « Si c’est la biotech américaine Moderna Therapeutics qui remporte la mise, ce sera compliqué avec Trump. Si, en revanche, plusieurs vaccins sont fabriqués ailleurs, l’accès sera facilité. »

Pour sa part, Mme Helga Zepp-LaRouche, fondatrice et présidente internationale de l’Institut Schiller, vient de lancer une nouvelle pétition « pour créer une vraie infrastructure sanitaire mondiale ». Nous vous invitons à la signer directement, en ligne, sur le site de l’Institut Schiller France.