L’alliance France-Allemagne-Russie qui aurait pu empêcher la Première Guerre mondiale

samedi 13 juin 2020, par Christine Bierre

Voici la transcription d’une conférence d’avril 2018 sur les causes de la Première Guerre mondiale et en particulier sur le rôle qu’aurait pu jouer l’alliance France—Allemagne-Russie pour empêcher le conflit. Un siècle après ce terrible conflit, quelles leçons pouvons nous en tirer pour aujourd’hui ? La Première Guerre mondiale a été totalement orchestrée par l’Empire britannique - c’est notre thèse -, en manipulant, bien entendu, les vices et les faiblesses de tous les autres empires en lice.

Or, l’Empire britannique vient de nous faire une belle démonstration de toute sa capacité à empoisonner les relations internationales. « Poisonous Britain », comme l’a dit Maria Zakharova, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères.

L’accusation contre la Russie d’avoir empoisonné son ex-agent Skripal et sa fille à Londres, la violence avec laquelle cette attaque a été répercuté sur la scène internationale, sans la moindre preuve, illustre ce talent innée du Royaume-Uni pour créer les prétextes à déclencher des guerres.

L’affaire Skripal sera-t-elle le prétexte, le nouveau Sarajevo qui nous conduira a une nouvelle guerre mondiale ? Dans le contexte particulièrement dégradé que nous connaissons à l’heure actuelle, on ne peut l’exclure.

Cet incident confirme tout ce que dit Solidarité & Progrès depuis des années : le Royaume-Uni qui n’apparaît aujourd’hui que comme un pâle reflet de l’Empire britannique de la grande époque, est encore capable de manipuler le cours de l’histoire dans le but de diviser pour régner et de tirer son épingle du jeu coûte que coûte.

Et ceci, par différents moyens :

1) En jouant a fond de sa relation « spéciale » avec les Etats-Unis, qui lui permet de manipuler la Première Guerre mondiale pour ses propres objectifs. (Fig.1) « British brains and American money », (cerveau britannique et argent américain) disait toujours John Maynard Keynes pour décrire

Fig. 1. La relation spéciale anglo-américaine
"Le Roi et le Cowboy - Théodore Roosevelt et Edouard VII -partenaires secrets.
Par David Fromkin, Penguin Press HC 2008.

cette relation spéciale qui remonte d’ailleurs à cette période de la première guerre mondiale et en particulier à Théodore Roosevelt, le président américain de cette époque.

Ensuite, par le contrôle exercé par l’oligarchie britannique sur les flux financiers internationaux, via la City de Londres et son vaste réseaux des paradis fiscaux souvent sous sa tutelle ou sa propriété. (Fig.2)

Fig. 2. Carte des paradis fiscaux
Carte établie en 2000 à partir des listes présentées par l’OCDE, le GAFI et le FSF.

Enfin, par le rôle de ses services secrets, dont on vient encore de voir les exploits.

La Commission judiciaire de la Chambre des représentants américaine, sous la direction de David Nunes, a publié il y a quelques semaines un rapport prouvant que le dossier sur lequel reposait tout le scandale de l’ingérence russe dans les élections américaines, avait été compilé par un ex-agent du MI6, toujours très actif, nommé Christopher Steele. (Fig.3 et Fig.4)

Fig. 3. Siège du MI6
Fig. 4. Christopher Steele, ancien agent du MI6, auteur du dossier contre Trump

Quels sont les objectifs recherchés aujourd’hui par le Royaume-Uni en manigançant ces dossiers Steele et Skripal  ? Il cherche a empêcher que Trump puisse nouer des relations normales avec la Russie et avec la Chine, et notamment sur le projet de Nouvelle Route de la Soie lancé par cette dernière en 2013.

Pourquoi ? Parce que le Royaume-Uni ne peut survivre qu’en provoquant des divisions et des tensions chez les autres. Que pèserait la capacité de nuisance britannique face à une coopération positive entre ces 3 nations-continents que sont la Chine, la Russie et les Etats-Unis, éventuellement rejoints par l’Europe ?

Dans les Etats-Unis en crise et divisés d’aujourd’hui, où Trump est loin de tout contrôler, a commencer par ses propres impulsions, le Royaume-Uni joue à fond la division et apporte son soutien aux neo-conservateurs américains, chassés du pouvoir par Trump, mais qui sont entrés en résistance contre lui depuis son élection.

Le Royaume-Uni est en phase avec les faucons du Pentagone qui viennent de publier les deux documents annuels les plus importants de la défense américaine – la Stratégie de défense nationale et la Révision de la posture nucléaire américaine qui tous deux ciblent la Chine et la Russie les désignant comme les principaux adversaires des Etats-Unis.

Pourquoi la Chine et la Russie représentent-elles un danger ?
Parce que, outre leurs capacités importantes économiques et militaires, elles se trouvent au coeur d’une région du monde qui a une signification toute particulière pour les oligarques britanniques et américains.

1) A un premier niveau, il s’agit d’une région particulièrement riche regorgeant des matières premières : gaz, pétrole, métaux rares.

2) Son développement pourrait porter atteinte à la puissance maritime qui permet au Royaume-Uni, en tant qu’île d’exister : le contrôle des mers.

Fig. 5. Halford Mackinder (1861-1947), fondateur de la géopolitique.
FIg. 6. Carte de la géopolitique de Mackinder

Cette situation a même été théorisée par le géographe britannique Halford Mackinder. (Fig.5-6) qui publia, en 1904, sa désormais célèbre géopolitique – Le Pivot Géographique du monde. Il y développe la thèse que celui qui contrôle la partie la plus riche du monde, qu’il défini comme la masse continentale eurasiatique avec l’Afrique, contrôle le monde.

Selon lui, c’est aux puissances maritimes, Royaume-Uni, Etats-Unis et Japon, qu’il appartient de contrôler cette masse continentale eurasiatique, et en particulier son cœur, qui correspond très exactement à la Russie, l’Asie centrale et la Chine actuelles.

Or cette masse continentale est en train de leur échapper :

La Russie veut retrouver son statut de grande puissance, et a, de facto, retrouvé celui de grande puissance militaire.

La Chine est déjà la deuxième économie mondiale et grâce à son projet de Nouvelle route de la soie, elle est en train d’étendre le développement à toute cette zone – Asie Centrale, Asie du Sud-Est, Europe de l’Est, Afrique.

Ensemble, la Russie, avec son Union économique eurasiatique (UEEA) et la Chine, avec sa Nouvelle Route de la soie, ont la capacité de développer cet ensemble de régions.

Cette carte de MacKinder représente les pires cauchemars du Royaume-Uni, pour qui les seuls rapports possibles dans le monde sont entre dominants et dominés, entre gagnants et perdants, alors que la Chine et la Russie proposent des rapports gagnant-gagnant.

Enfin, la troisième raison qui constitue aujourd’hui un cassus Belli - cas de guerre – pour les Britanniques, est ce qu’on appelle le piège de Thucydide, du nom du grand historien athénien du Vé siècle avant JC. Le piège de Thucydide est une situation qui peut conduire deux nations à la guerre lorsqu’une d’entre elles est une puissance établie mais déclinante et l’autre, une puissance ascendante.

Or, dans la situation de crise aiguë, politique, économique et financière que connaît l’Occident actuellement, c’est clair que ce piège nous guette très sérieusement.

Avec ces idées en tête, venons en maintenant à la première guerre mondiale. Comment l’humanité a-t-elle pu en arriver a une telle boucherie ? 10 millions de tués, 20 millions de blessés, la terre entière impliquée...

Quelles en furent les causes ?

Lorsqu’on essai d’étudier cette question on entend souvent dire qu’elle a été le résultat de la rivalité entre les impérialismes, ou de la montée des nationalismes.

Ill y a eut effectivement de cela. C’était la guerre entre les empires, plus dégénérés les uns que les autres ! Mais quand on regarde de près on s’aperçoit que c’est bien l’Empire britannique qui a orchestré cette guerre du fait de sa capacité financière et économique, mais surtout de son habilité à diviser pour régner.

Quel intérêt avait l’Empire britannique a orchestrer cette guerre ? Au XIX siècle, l’Empire britannique est la puissance dominante. C’est aussi une puissance maritime, dépendant de son hégémonie commerciale et militaire sur les mers pour assurer sa prédominance.

Or, dans le dernier quart du XIX siècle, deux autres empires européens vont connaître une croissance fulgurante menaçant même de ravir à l’empire britannique sa première place :

C’est l’Empire Allemand sous Bismarck qui est devenu, en effet, en 1913, la deuxième puissance après les États-Unis, et l’Empire russe qui, sous les politiques particulièrement volontaristes de son ministre des finances, le comte Sergueï Witte, es vu, lui aussi, comme pouvant atteindre la première place, 25 ou 30 années plus tard.

Le « système américain d’économie politique »


Outre ces deux empires, il y a une troisième force
, plus importante que ces deux là, mais moins visible, qui agit pour changer le cours de choses : ce sont les Etats-Unis d’Amérique, dont la puissance croit au niveau international et dont le système économique est la source d’inspiration et de transformation fulgurante de l’Allemagne et de la Russie à la fin du siècle.

C’est la victoire de Lincoln dans la guerre de sécession contre les esclavagistes (soutenus ouvertement par l’Empire britannique – qui prépara le terrain pour la diffusion, en Europe, d’une grande discussion sur "le système américain d’économie politique" de cette époque, sans aucune ressemblance avec le système actuel.

La révolution américaine avait été un soulèvement contre le système de libre-échange britannique qui empêchait les peuples de se développer. Les Américains avaient développé leur propre système d’économie politique, fondé sur les idées d’Alexander Hamilton, de Friedrich List, et de Matthew et Henry Carey. (Fig.7)

Fig. 7. Economistes du "Système américain d’économie politique".

C’est très important de comprendre ces idées qui se sont traduites par de tels progrès même si, du fait de la décadence des systèmes impériaux, au sein desquels elles se développèrent, elles ne purent représenter des alternatives viables contre la boucherie de la "Grande Guerre".

Le "système américain d’économie politique", qui reste la solution viable aujourd’hui, est basé sur les principes suivants :

1) L’idée que la vraie source de richesse d’une nation réside dans la créativité de ses citoyens, car ce sont les découvertes scientifiques et techniques qui sont la source d’augmentation de la productivité du travail.

2) Le rejet du libre-échange britannique, accusé d’être une source de pillage, et l’adoption d’un protectionnisme intelligent : le droit d’une jeune nation à protéger ses industries stratégiques naissantes face aux pays plus développés. Il ne s’agit pas ici de guerres commerciales pour imposer sa domination, même si, pour protéger ses droits, les plus faibles doivent parfois faire appel à ces tactiques.

3) La nécessité de créer des institutions de crédit productif public destinées à canaliser l’argent vers le développement de la recherche de pointe, les manufactures et les infrastructures.

4) Une attention particulière aux voies de communication : les chemins de fer et les voies navigables, vues non seulement comme des objets utiles mais comme des moyens pour amener la civilisation aux populations les plus démunies.

5) Une politique sociale permettant aux citoyens de vivre heureux – sécurité sociale, retraites, etc.

Voici donc en gros les idées, en particulier de Friedrich List. Après son séjour aux Etats-Unis de 1825 à 1832, cet économiste allemand sera, à son retour en Europe, l’une des principales courroies de transmission de ces idées partout en Europe (Allemagne, France, Russie). Ce sera aussi le cas d’Henry Carey, l’économiste de Lincoln.

Allemagne

Fig. 8. Otto von Bismarck (1815-1898)

Voyons concrètement comment se produisirent les miracles économiques en Allemagne et en Russie, sans prétendre pour autant que tout était parfait dans ces pays

En Allemagne, la première phase de développement industriel démarre en 1833, quand Friedrich List créa l’Union douanière allemande – le Zollverein. Elle a rassemblée la quasi totalité des Etats de la Confédération de l’Allemagne du Nord, la Prusse étant le plus important, et a crée une sorte de marché protégé.

La deuxième phase de l’industrialisation, qui va propulser l’Allemagne au rang de puissance industrielle mondiale démarre à partir de 1879, lorsque le chancelier Bismarck amorce un tournant majeur dans sa politique économique.

Bismarck (Fig. 8) fut le premier chancelier de l’empire allemand, gouvernant entre 1870 et 1890. Durant les dix premières années de son mandat, il applique le libre-échange britannique mais après le crack financier très important qui ébranle l’Allemagne en 1873, il décide de changer totalement de cap.

En 1875, il adopta l’étalon-or, et en 1879, sous l’influence de certains de ses conseillers, proches de la République américaine, il annonce, devant son parlement, qu’il abandonne le libre échange britannique en faveur de aidées de Friedrich List : « Nos politiques des portes ouvertes ont fait de nous un lieu de dumping des surplus de production d’autres pays. (…) Cela a fait chuter nos prix au plus bas… et a empêchée la croissance de nos industries et de notre vie économique », a dit Bismarck.

Wilhelm von Kardorff

Il adopta alors une politique de tarifs douaniers élevés, appelé depuis le tarif Bismarck. Il donne carte blanche à l’un de ses conseillers, Wilhelm von Kardorff, féru du système américain, pour changer la donne.

Il faut savoir que la Prusse tout comme la Russie d’Alexandre II, avaient apporté leur soutien à Lincoln dans la guerre de sécession, alors que les Britanniques soutenaient les esclavagistes.

Kardorff avait alors créé une banque nationale, centralisant l’émission du crédit et de la monnaie, ainsi qu’un ministère des Affaires publiques, chargé de construire un réseau ferroviaire et de le nationaliser. Il met également en place l’équivalent des chambres de commerce et d’industrie et, entre 1883 et 1889, il fait adopter des lois sociales, meilleures mêmes qu’aux Etats-Unis (assurance maladie et accident, vieillesse).

L’Allemagne oriente tous ces moyens vers l’industrie lourde :

  • Extraction minière, charbon, acier, zinc, étain, argent, or, houille, fonte ;
  • Construction de chemins de fer pour fret et voyageurs ;
  • Production de matériel mécanique, chimique, électrique et des automobiles.

Elle développe des industries importantes par leur taille et la qualité des produits. Rien que dans la Rhénanie Westphalie les usines embauchent 142 000 ouvriers dans les hauts fourneaux, 60 000 dans la fabrication mécanique, 30 000 dans la Chimie, 135 000 dans le textile.

A la veille de la guerre, la part de l’Allemagne dans la production industrielle mondiale est en forte croissance, alors que celle du Royaume-Uni, au contraire, chute :

Part de la production industrielle mondiale en 1913 par rapport à 1870

  • Allemagne : 16 %, contre 13 % ;
  • Grande Bretagne : 14 % contre 32 % ;
  • France : 6 % contre 10 % ;
  • Etats-Unis : 32 % contre 23 %.

La panique s’empare de l’Angleterre : en 1897, elle est obligée d’apposer l’étiquette « Made in Germany » aux produits d’importation allemands qui inondent son marché national, mai aussi ses colonies.

Gabriel Hanotaux rapporte, citant Stanley, qu’en Australie, les produits anglais ont reculé de 10 %, tandis que les allemands augmentaient de 400 % ; en Nouvelle Zélande, la perte pour les Britanniques est de 25 %, la hausse pour les Allemands de 1000 %. Au Canada même, perte de 1 % pour les Anglais, hausse de 300 % pour l’Allemagne !

La Russie en pleine industrialisation

Regardons maintenant du côté de la Russie.

L’industrialisation y décolle aussi en relation avec les Etats-Unis et le système américain d’économie politique.

Elle démarre avec la libération des serfs par le tsar Alexandre II en 1861. C’était un réformateur qui avait soutenu lui aussi Lincoln dans la guerre contre les esclavagistes.

Fig. 9. Conte Sergueï Witte (1849-1915)

Mais là où l’industrialisation russe décolle de façon fantastique, c’est avec la nomination du comte Sergueï Witte au ministère des Finances. Il occupera ce poste de 1892 à 1903. Witte est quelqu’un de remarquable et s’il avait été tsar lui-même, il aurait sans doute pu tourner la situation autrement.

Il avait une vision longue pour faire de la Russie une grande puissance moderne, offrant à chacun les moyens de vivre correctement. Il avait aussi une vision européenne très proche de celle de De Gaulle. En même temps, il était quelqu’un de particulièrement humain.

Witte est lui aussi inspiré par Friedrich List et sa conception de l’économie, qu’il considère comme devant être le modèle pour la Russie. Son ambition ? Faire de la Russie une puissance industrielle aussi parfaite que les Etats-Unis « qui fondent leur prospérité sur deux piliers (…) l’agriculture et l’industrie. »

Sans surprise, c’est lui qui, en tant que membre de la commission du Tarif, négociera avec l’Allemagne une hausse du tarif douanier. Il raconte avec joie comment il a obligé l’Allemagne à céder dans le contexte d’une guerre de tarifs assez rude.

Witte consacre deux volumes d’économie politique à List, destinés à éduquer les Tsars. Dans ces ouvrages, il attaque le libre-échange britannique et défend le protectionnisme intelligent. Il dénonce le malthusianisme, notant que la production croit plus vite que la population, et défend la hausse de densité démographique comme étant une source de richesse, car c’est l’aiguillon qui pousse les populations aller plus loin dans les découvertes et le progrès.

Comme Bismarck avant lui, il adopte en 1897 le rouble-or pour stabiliser l’économie et créer la confiance afin d’attirer en Russie le capital étranger. Il ouvre aussi au sein de la Banque centrale de Russie, la possibilité de faire du crédit à l’industrie et donne naissance à un réseau national de banques d’épargne, destiné, disait-il, « à déclencher l’appétit d’entreprendre ».

Par ailleurs, il organise un flux de capital très important, venant surtout de France, pour moderniser la Russie. De grandes émissions obligataires, 275 milliards de roubles entre 1895 et1899, seront investies, sous son mandat, dans la construction du Transsibérien et d’autres transports utiles. Ces chemins de fer seront malheureusement utilisés par la suite pour transporter les troupes à la frontière lors de la Première Guerre mondiale.

Comme en Allemagne, les capitaux ont été investis dans l’industrie lourde : la métallurgie pour les chemins de fer, dans l’industrie pétrolière et chimique. Il y avait a cette époque en Russie, environs 300 entreprises françaises, investissant dans les domaines de la houille, et du coke.

Witte avait compris toute l’importance de chemins de fer pour unifier ce pays immense et pour pouvoir apporter un élément de civilisation au fin fond de la Russie.

Beaucoup d’argent va au développement des chemins de fer. Terminé en 1903, le Transsibérien, dont Witte avait la charge, est encore aujourd’hui le train le plus long du monde : 8690 km. Le ferroviaire est la principale industrie du pays, employant 400 000 personnes en 1900. Il tire de l’avant toute l’industrie métallurgique et la production de charbon.

Witte a été assisté dans tout cela par son ami, le célèbre chimiste Mendeleïev, qui dirige le bureau des poids et des mesures au ministère des Finances. Autre élève du système américain d’économie politique, Mendeleïev a participé aux célébrations du Centenaire de la Révolution américaine en 1876, à Philadelphie, où l’on discutait notamment du chemin de fer transcontinental, traversant les Etats-Unis d’est en ouest. Ce fut la source d’inspiration pour le Transsibérien.

En 1899, Mendeleïev dirige le voyage d’un groupe de savants à travers l’Oural pour examiner les dépôts de minerai sur place. « Avec quelques mesures pas très coûteuses, observe-t-il, les monts Oural fourniront à l’Europe et à l’Asie d’énormes quantités de fer et d’acier à des coûts défiant toute concurrence en Europe. »

Witte renforça aussi la formation professionnelle, créant tout un réseau d’écoles techniques et commerciales à travers le pays.

Witte l’humaniste

Quelques extraits de son budget de 1890, présenté au Tsar, mettent en évidence la fibre humaniste de Witte.

Le chemin de fer, dit-il, est comme la levure qui crée une fermentation culturelle parmi les populations. Même s’il devait traverser le territoire d’un peuple sauvage, il les élèverait rapidement au niveau requis pour ces opérations.

Mémoires du comte Sergeuï Witte, 421 pages, Editions du Cherche Midi, 2010, Paris.

Dans ses Mémoires, Witte n’épargne pas l’élite russe de son époque :

Parlant de notre noblesse, je suis obligé de dire encore que je suis moi-même de la noblesse héréditaire, et que je suis conscient qu’il y a des nobles qui se préoccupent réellement de l’état de l’ensemble du peuple, et en particulier des plus démunis. De tels nobles sont ceux qui ont contribué aux réformes de l’Empereur Alexandre II, mais ils sont, malheureusement, une minorité. Parlant politiquement, la majorité des nobles représente une bande de dégénérés préoccupés uniquement par leurs propres intérêts et appétits, et ils dirigent tous leurs efforts à extraire des faveurs du gouvernement, aux dépens du peuple.

Par ailleurs, sur la nécessité d’élever la condition des paysans, il écrit dans un Memorandum adressé au Tsar Nicholas II de 1898 :

Le paysan, bien que étant devenu libre, subit encore les chaînes de l’arbitraire, de l’absence de lois et de l’ignorance…. L’esclavage vole aux individus l’impulsion de vouloir s’améliorer. ». Il regrettait aussi que « l’éducation rurale en Russie, restait non seulement derrière l’Europe, mais même derrière celle des pays asiatiques et transatlantiques également. Il est nécessaire d’agir avec énergie ; un peuple dans le noir [ignorant] ne peut être perfectionné ». Il condamnait aussi, avec force, les punitions corporelles rendues par les cours paysannes, une pratique, disait-il, qui « tue le Dieu dans les êtres humains  .

Retour à la France

Voilà donc le tableau brossé d’une Europe où un conflit majeur est en gestation entre l’Angleterre, puissance dominante et la Russie et l’Allemagne qui progressent économiquement de façon fulgurante et menacent de la dépasser.

Notons cependant qu’en cette période, croissance économique n’est pas nécessairement gage de hauteur de vue et d’humanisme, parfois loin de là

Un autre conflit domine encore cette Europe c’est celui entre la France et l’Allemagne, qui déterminera le cours de l’histoire.

La guerre de 1870 à créé une plaie béante entre les deux pays. Les conditions terribles imposées par l’Allemagne à la France vaincue – cinq millions de francs or en indemnités, annexion de l’Alsace et la Lorraine et occupation de la France pendant 3 ans, tout cela à nourri en France un sentiment de revanche profond.

Le fait d’avoir constitué son unité par un acte de guerre contre la France, puis d’avoir proclamé la naissance de l’Empire allemand à Versailles, est non seulement l’humiliation de trop pour la France, mais n’augure rien de bon non plus pour l’avenir de l’Europe.

Ce que fera la France dans cette période déterminera le cours de l’histoire. Cherchera-t-elle à prendre sa revanche contre l’Allemagne ou choisira-t-elle de faire la paix avec elle ?

C’est dans ce contexte que surgit une véritable alternative de paix pour l’Europe, en France, autour de Gabriel Hanotaux, un historien et diplomate qui deviendra ministre des Affaires étrangères entre 1894 et 1898 avec une brève pause de 6 mois de novembre 1895 à avril 1896. (Fig.11)

Fig. 11. Gabriel Hanotaux (1853 - 1944)

Ancien collaborateur de Léon Gambetta, à l’époque chef de l’opposition républicaine, et de Jules Ferry, Gabriel Hanotaux, qui connaît bien l’idéologie de l’Empire britannique, représente le parti anti-anglais et celui qui souhaite rétablir la détente avec l’Allemagne, ainsi qu’avec la Russie.

Le gros problème de ces forces, c’est qu’elles sont favorables à l’expansion coloniale, vue étrangement comme un moyen d’échapper au face à face, avec l’Allemagne en Europe. En Afrique, la France se retrouvera confrontée à l’Angleterre, dans la lutte pour l’Égypte, puis avec l’Allemagne, que l’Angleterre aura parrainée en Afrique, notamment au Maroc. C’est en Afrique, et particulièrement à Fachoda, en 1898, que se jouera le destin de la France.

Avec Sergueï Witte, farouche partisan de l’alliance franco-russe, Hanotaux propose la seule alternative de paix viable pour l’Europe : une alliance de paix France-Allemagne-Russie allant jusqu’à la Chine.

C’est en 1892, avant de devenir ministre, que Gabriel Hanotaux a proposé cette alliance dans un mémorandum secret adressé à Jules Ferry.

Le comte Witteexplique très bien cette politique à l’Empereur d’Allemagne, Guillaume II, lors d’une visite du Kaiser au Tsar au palais de Peterhof, en juillet 1897. Ayant souhaité s’entretenir avec Witte en privé, Guillaume II lui présente à cette occasion son propre projet européen, qui n’est, en réalité, que le projet britannique.

 L’Amérique, me dit-il, s’enrichit aux dépens de l’Europe, et il est nécessaire de bâtir un mur de tarifs élevés autour de l’Europe afin d’empêcher l’Amérique de nous submerger de ses produits. Les pays européens doivent s’unir pour exclure ce compétiteur transatlantique qui devient très dangereux, surtout du point de vue de l’agriculture, et pour arrêter ainsi les progrès des Etats-Unis d’Amérique. Je pris alors la liberté de faire observer à l’empereur que les intérêts du continent européen n’étaient pas identiques à ceux de la Grande-Bretagne et qu’il faudrait l’exclure de l’Union européenne projetée.

Witte réplique qu’une guerre économique contre l’Amérique n’est pas praticable et que la Russie, qui entretien avec l’Amérique les meilleures relations depuis sa révolution, n’a pas l’intention de se quereller avec ce pays. »

Et Witte d’expliquer à Guillaume II son projet européen à lui :

Votre Majesté, dis-je, suppose une Europe qui ne gaspille pas le meilleur de son sang et de ses trésors dans des compétitions entre nations particulières, qui ne maintient pas sous les armes des millions de soldats pour s’entre-tuer à la guerre, qui n’est pas un camp armé où chaque pays guette son voisin, une Europe, en un mot, qui ne forme qu’un seul corps politique, un seul grand empire. Alors, naturellement, nous serions plus riches, et plus vigoureux, et plus cultivés, et l’Europe, au lieu de dépérir sous le poids de la lutte, deviendrait véritablement la maîtresse du monde. Pour achever ce tableau idéal, nous devons chercher à créer une solide union de la Russie, de l’Allemagne et de la France. Une fois ces pays fermement unis, tous les autres États du continent européen voudront, je n’en doute pas, se joindre à cette alliance centrale et formeront ainsi une confédération qui embrassera tout le continent. L’Europe se libérera ainsi du fardeau de ces guerres meurtrières et établira à l’avenir sa domination sur le monde pendant bien des années.

Dans ce projet européen, le chemin de fer transsibérien dont Witte avait la charge, joue un rôle clé pour relier par terre les deux extrémités de l’Europe, l’Europe occidentale à la Chine, par terre et ouvrir ainsi toute la masse eurasiatique continentale aux échanges commerciaux, scientifiques et culturels.

Le Transsibérien ouvrait la Sibérie au peuplement, encouragé par le gouvernement qui offrait des terres gratuitement et l’aide médicale sur place à partir de 100 000 a 200 000 migrations par an ! En même temps, le volume d’échanges et le trafic de personnes allaient tripler, tandis que le trafic de personnaes doublait.

Cela voulait dire que le monopole établit par l’Empire britannique sur des biens comme le thé, qui voyageait par la mer, disparaîtrait.

Pour rendre tout cela possible, Witte entreprend d’établir une alliance stable et durable avec la Chine. Celle-ci a dépêché auprès de lui, l’une de ses éminences grises, Li Hung chang, afin de négocier toute cette stratégie.

La guerre qui éclate en 1895 entre la Chine et le Japon est l’occasion de mettre à l’épreuve cette conception de bloc continental France-Allemagne-Russie. Par la paix de Shimonoseki de 1895, le Japon victorieux s’arroge plusieurs territoires : la péninsule de Liao-toung, y compris les ports de Ing Kow et Port-Arthur.

Inquiet qu’un tel dépècement de la Chine, alliée de longue date de la Russie, n’incite d’autres puissances à faire de même, Witte propose à Nicolas II une « grand strategy » :

  1. Défendre l’intégrité de la Chine ;
  2. Demander au Japon de rendre les positions prises et de se contenter d’une indemnisation ;
  3. Demander à la France et à l’Allemagne d’appuyer la politique russe.
    Tout cela ayant été mis en œuvre, le Japon est amené, par l’action de ce bloc, à accepter l’indemnisation. Witte négocie alors avec les banques françaises un emprunt d’État pour la Chine, afin qu’elle puisse payer cette indemnisation. Pour cela, il crée la Banque russo-chinoise, à capitaux français.

La Chine donne alors son accord pour le passage du Transsibérien directement par la Mandchourie pour rejoindre Vladivostok, plutôt que de passer par l’Amour, ce qui aurait considérablement rallongé le trajet. Pour cela, il faut convaincre Beijing du but entièrement pacifique et économique du Transsibérien, ce qui est effectivement la volonté de Witte.

En marge de cela, la Chine et la Russie signent un accord secret de défense sino-russe contre toute attaque venant du Japon.

Cet accord et toute cette grande politique seront cependant ruinés quelque temps après, lorsque le Tsar Nicolas II donne son approbation au Kaiser pour s’emparer du port chinois de Kiao-Tcheou, entraînant la saisie par les Anglais de Weihaiwei, par la Russie de Port Arthur et par la France, de Hang Zhou. Ce sont le dépècement de la Chine et la guerre russo-japonaise de 1904 qui détruisirent la Russie et provoquèrent la révolution de 1905, puis celle de 1917..

L’échec

Je voulais vous donner un aperçu de ce grand dessein que l’Europe tenta de réaliser à plusieurs reprises et que la Chine remet aujourd’hui en œuvre, sous la forme de son projet de Nouvelles Routes de la soie

Malheureusement, dans la période précédant la Première Guerre mondiale, ce sont quelques personnalités exceptionnelles qui mirent cela en branle, dans une Europe que les familles régnantes et leurs courtisans avaient transformée en cloaque politique.

La folie des familles régnantes, c’est d’abord Berty  : Edouard VII , Roi d’Angleterre et empereur des Indes, de mœurs assez dégénérées qui fut la cheville ouvrière de cette guerre. C’est ensuite « Willy, Guillaume II d’Allemagne et « Nicky », Nicolas II de Russie. Avec George V, héritier d’Edouard VII,, ils sont tous cousins germains ! Fig.12

Fig. 12. Les principales têtes couronnées regnantes d’Europe.

Par rapport à la période qui va de 1860 à 1880/90, celle qui lui succède a constitué un vrai changement pour le pire en Europe. En 1890, Guillaume II, fraîchement monté sur le trône, renvoie le chancelier Bismarck, qui n’était pas un tendre mais qui était réaliste. Il remplace sa politique par la Welt Politik, militariste et d’expansion coloniale, qui conduisit à la guerre.

En Russie, l’avènement de Nicolas II à la mort d’Alexandre III, un Tsar qui avait donné carte blanche à Witte dans un certain nombre de domaines et ne s’était engagé dans aucune guerre, constitue également un tournant funeste.

Considéré par Witte comme un Tsar dépourvu de volonté propre, il est prompt à se lancer dans des aventures coloniales qui finissent par saboter la politique respectueuse du droit international de Witte.

En France, la chute de Hanotaux a amené au pouvoir l’anglophile Delcassé.

Ces Empires furent incapables de constituer une alternative viable à l’Europe, en grande partie parce qu’ils partageaient les mêmes valeurs et mœurs que l’Empire britannique.

En dehors de Witte, d’Hanotaux, de Gambetta ou Jaurès, il n’y a pas d’hommes de vision et de caractère dans cette Europe là.

Comment Edouard VII orchestra la grande guerre

L’empereur Edouard VII accède au pouvoir en 1901. Avec son avènement, l’Empire britannique va mettre fin à la politique de neutralité qu’il avait adoptée depuis quelques années vis-à-vis de l’Europe continentale – une neutralité bienveillante à l’égard de l’Allemagne et de l’Autriche, et hostile à la France et à la Russie.

Pourquoi ce changement de cap ? Selon Hanotaux, qui cite un proche du souverain en 1887,

Le Prince de Galles, c’est l’Angleterre jeune, courageuse – qui remplace l’Angleterre caduque, hésitante, morbide. Le brillant héritier du trône a encore d’autres idées en tête, marquées au coin d’une grande méfiance, à l’égard de la politique de Bismarck.

En outre, la rencontre secrète de Bjorko, en 1905, entre l’Empereur Guillaume II et Nicolas II, et le traité d’alliance qu’ils signent entre eux, alertent Edouard VII sur le fait que l’Angleterre est au bord de perdre son hégémonie. A partir de ce moment-là, il consacrera toute son énergie à forger la série d’alliances qui permettra de déclencher le conflit – un conflit qui mettra aux prises l’Angleterre et l’Allemagne, mais en détruisant au passage la Russie, la France et l’empire austro-hongrois !

En 1879 avait été forgée la duplice, l’alliance entre l’Allemagne et l’Autriche Hongrie. En 1882, ils sont rejoints par l’Italie, donnant naissance à la Triplice.

Face à elle, Edouard VII va former la Triple entente.

L’Alliance franco-russe, qui existe déjà de facto depuis 1891, est ratifiée en 1894 par les deux empires. Elle prévoit qu’en cas d’agression par un membre de la Triplice, l’Allemagne, ou l’Autriche, la France soutiendra la Russie, et réciproquement.

L’incident de Fachoda, en 1898, ayant mis fin au ministère Hanotaux et à sa politique d’opposition à l’Empire britannique, Théophile Delcassé travaille à nouer avec les Britanniques une alliance qui aboutira à l’Entente cordiale en 1904. Cela commence par la délimitation de zones d’influence en Afrique : à l’Angleterre, l’Égypte ; à la France, le Maroc.

L’entente cordiale mettra fin à la politique de splendide isolement du Royaume-Uni par rapport aux affaires de l’Europe occidentale, une politique de neutralité qui avait été néanmoins, plutôt bienveillante à l’égard des Allemands et des Autrichiens.

En 1907, l’accord anglo-russe est signé, délimitant les zones d’influence en Afghanistan, en Perse et au Tibet. Dès lors, Edouard VII se démène pour encercler totalement l’Allemagne avant même d’avoir tiré un coup de feu.

Le 15 avril 1907, le Neue Freie Presse de Vienne commentait la signature de l’accord anglo-russe :

Qui peut ne pas avoir l’impression qu’un véritable duel diplomatique est en cours entre l’Angleterre et l’Allemagne, sous les yeux du monde. Le roi d’Angleterre (…) n’a plus peur d’apparaître comme voulant mettre tout le poids de sa personnalité dans la bataille, lorsqu’il est question d’entraver les objectifs de la politique allemande.

L’accord signé en 1902 entre l’Empereur britannique et le Japon laisse libre court à celui-ci pour mener les actions qu’il entend, y compris la guerre, pour défendre ses intérêts en Corée.

En 1904, le Japon attaque la Russie à Port-Arthur. Ce fut une guerre terrible, préfigurant la Première Guerre mondiale par le nombre de morts – 2 millions d’hommes mobilisés, 156 000 morts, 280 000 blessés !

La défaite de la Russie est brutale. Elle perd son armée et toute sa flotte et surtout, cette défaite contribue massivement au ferment révolutionnaire en Russie.

En 1908, le prétexte pour la guerre est trouvé. L’Autriche-Hongrie annexe la Bosnie-Herzégovine, suite à des négociations secrètes entre le ministre autrichien des Affaires étrangères, Alois Lexa von Ährenthal, et son homologue russe Izvolski, à Buchlau, qui donne carte blanche à l’Autriche pour y aller, à condition de ménager à la Russie un accès à la mer Noire.

Les slavophiles serbes n’accepteront jamais cette annexion et se radicaliseront. Et c’est l’un d’entre eux, Gabrillo Princip, qui, le 28 juin 1914, assassine l’archiduc François Ferdinand à Sarajevo.

Voilà l’incident qui va mettre en action le jeu des alliances, conduisant à cette guerre qui provoqua la chute et le démembrement des Empires allemand, austro-hongrois, ottoman, russe, ainsi que la défaite de la France !

  • Le 28 juillet, l’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie, et le 5 août, à la Russie.
  • Le 1er août, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie.
  • Le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France.
  • Le 4 août, l’Angleterre déclare la guerre à l’Allemagne.
  • Le 13 août, l’Angleterre active l’Entente cordiale et la France déclare la guerre à l’Allemagne.
  • Le 23 août, le Japon déclare la guerre à l’Allemagne.

Août 1914

Au début de 1914, le Kaiser réalise ce qu’il lui est arrivé :

L’Angleterre, la Russie et la France se sont mis d’accord entre elles (...) après avoir créé la base d’un casus foederis, via l’Autriche (...) pour prendre le conflit austro-serbe comme prétexte pour mener une guerre d’extermination contre nous. C’est la situation mise en œuvre, lentement mais astucieusement par Edouard VII et finalement amenée à sa conclusion par George V. C’est ainsi que le fameux encerclement de l’Allemagne est devenu un fait malgré tous les efforts de nos politiciens pour l’en empêcher.

Comment Edouard VII a-t-il réussit ce coup ? Comme le décrit l’historien et homme politique français Emile Flourens en 1906, dans son ouvrage La France conquise – Edouard VII et Clémenceau, c’est grâce à sa grande capacité de « découvrir les vices et les faiblesses des individus et des peuples et de les transformer dans les armes les plus destructrices contre eux ».

L’Empire d’Edouard VII était bâti sur

la folie éternelle humaine », sur « la décadence morale des populations assujetties (...) Il savait comment exploiter les revanchards français contre l’Allemagne ; la fascination de slavophiles avec la grande Serbie, la haine des irrédentistes italiens contre l’Autriche, la fascination des Américains pour la race mythique anglo-saxonne.

Conclusion

Qu’est-ce qui a manqué hier et qu’est ce qui manque aujourd’hui pour vaincre l’Empire britannique ?

La connaissance de son histoire, non pas celle de l’Angleterre ou du peuple anglais, mais de cette tradition impériale qui rend ce pays « poisonous » comme l’a dit à juste titre Maria Zakharova !

Sans nous en rendre compte, nous avons adopté ses valeurs et aujourd’hui, en ces débuts du XXIè siècle, nous sommes devenus ses esclaves, au point de la suivre aveuglement dans cette affaire Skripal qui pourrait nous conduire, une fois de plus, à la guerre.

Or, quelles sont ses valeurs ?

Le libre-échange à outrance qu’elle nous a amené à adopter, contre notre bon vieux colbertisme.

Le dictats de sa géopolitique que tout le monde reprend aujourd’hui en cœur : dans le monde il ne peut y avoir que des gagnants et des perdants. Une philosophie gagnant-gagnant, comme celle que prônent la Chine ou la Russie , ne peut pas exister.

Son Malthusianisme aussi. La croyance que le progrès est mauvais car les ressources sont limitées. La croyance dans la vertu d’une économie de bulles financières, à la place d’une économie industrielle ; une addiction dont nous n’arrivons pas à nous débarrasser malgré la crise.

Nous avons même consenti, une fois de plus, à l’époque de François Mitterrand, de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, à participer à des expéditions coloniales.

Pour toutes ces raisons, méfions nous de Poisonous Britain cessons de nous coucher devant l’Empire britannique.

Hier, comme aujourd’hui, il faut une grande alliance de pays courageux pour casser la logique de guerre des empires ! C’est pourquoi, avec l’Institut Schiller, nous militons (pétition à signer) pour réunir d’urgence les principales puissances, Russie, Chine, Etats-Unis, Inde, et des pays comme la France qui ont vocation à jouer un rôle d’inspirateurs et de catalyseurs vers un monde plus juste.

M’écrire : bierrechristine (at) gmail.com

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