Poutine : tirons les vraies leçons de la 2e Guerre mondiale

mercredi 24 juin 2020

Chronique stratégique du 24 juin 2020 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Face à la tentative des Anglo-américains et de leurs alliés en Europe de réécrire l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, en renvoyant dos à dos l’Allemagne nazie et l’Union soviétique, Poutine a tenu à remettre les pendules à l’heure. Dans une longue et poignante tribune accordée le 19 juin à la revue américaine The National Interest, il démontre, en s’appuyant sur de nouveaux documents d’archives, comment les politiques d’apaisement de la France et de la Grande Bretagne envers les Nazis, à l’Ouest, et la menace d’une attaque japonaise à l’Est, avaient contraint l’URSS à signer le Pacte germano-soviétique pour gagner du temps avant de lancer l’offensive contre l’Allemagne nazie.

Le président russe a saisi l’occasion du 75e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de la récente publication de l’ensemble des archives historiques de l’Union soviétique, pour livrer, à travers cette tribune, sa propre analyse des causes de cette terrible tragédie, et pour adresser un vibrant appel à l’attention des cinq membres du Conseil de sécurité des Nations unies – les pays vainqueurs de 1945 – à se réunir en un Sommet du P5, afin de prendre des mesures pour empêcher que la crise actuelle ne conduise à une catastrophe plus terrible encore, compte tenu du stock actuel d’armes nucléaires.

Poutine et l’héritage de la Seconde Guerre mondiale

Pour les Russes, l’histoire de la Seconde Guerre mondiale tient quasiment du sacré, tant elle a causé de victimes dans le pays de Pouchkine : 27 millions de soldats et citoyens, morts sur le front, dans les prisons allemandes et sous les bombes – soit un citoyen soviétique sur sept. Chaque famille en porte le deuil, encore aujourd’hui.

Son grand frère étant mort au cours du siège de Stalingrad, Vladimir Poutine a lui-même l’horreur de la guerre inscrite dans sa propre chair, et sa vision du monde en est largement imprégnée. Les principes qui ont vu le jour à la fin de la Guerre, le droit international, la non-ingérence dans les affaires intérieures des nations, la nécessaire coopération économique au sein d’une communauté internationale constituée de nations westphaliennes, sont des repères fondamentaux pour lui.

Après l’effondrement de l’URSS, Poutine a vu cet ordre international virer à la loi du plus fort, sous l’impulsion des néoconservateurs anglo-américains, qui ont voulu s’asseoir sur le droit international et imposer un ordre mondial unilatéral. Plus récemment, il a vu resurgir des mouvements ouvertement fascistes en Europe – en particulier les « révolutionnaires » de Maïdan, qui ont renversé le gouvernement élu de l’Ukraine en 2014 (avec le soutien inconditionnel de George Soros et de l’administration Obama), en affichant ouvertement leurs croix gammées et en arborant des portraits d’Hitler et de sa cohorte en Ukraine, Stepan Bandera.

Ce renouveau fasciste en Ukraine et dans d’autres pays d’Europe de l’Est s’est accompagné d’un effort de réécriture de l’histoire de la guerre contre le fascisme et les nazis, par ceux qui, en Pologne et ailleurs, affirment que la guerre a été lancée à la fois par l’Allemagne et l’Union soviétique par le biais de la division de la Pologne en 1939. L’Union européenne elle-même est entrée dans ce jeu, souligne le président russe, notamment en adoptant la « Résolution du Parlement européen du 19 septembre 2019 sur l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe », qui accuse directement l’URSS – au côté de l’Allemagne nazie – d’avoir lancé la Seconde Guerre mondiale. Ce révisionnisme prend soin d’oublier les accords infâmes de Munich de 1938, conclus entre Chamberlain, Daladier, Hitler et Mussolini, qui accordèrent leur bénédiction à la prise de contrôle des Sudètes par les nazis, et gravèrent dans le marbre l’impossibilité d’une coalition antinazie impliquant l’URSS.

Quand Hitler et Mussolini était des dirigeants fréquentables

La principale révélation des nouvelles archives publiées de l’URSS – mise en lumière par Poutine dans sa tribune – est la grande trahison des dirigeants polonais de l’époque à l’égard de leur propre peuple, lorsqu’ils cherchèrent à obtenir la protection d’Hitler dans le conflit avec la Tchécoslovaquie. Il cite notamment une note du 20 septembre 1938 de Józef Lipski, l’ambassadeur polonais de l’époque à Berlin, qui écrivait à Józef Beck, ministre des Affaires étrangères polonais (1932-1939) : « En cas de conflit entre la Pologne et la Tchécoslovaquie, autour de nos intérêts au Teschen, le Reich serait avec la Pologne ». Poutine cite aussi Hans-Adolf von Moltke, l’ambassadeur allemand à Varsovie, qui écrivait le 1er octobre de la même année : « M. Beck exprimait une réelle gratitude pour le traitement loyal accordé aux intérêts polonais lors de la conférence de Munich, ainsi que la sincérité des relations au cours du conflit tchèque. Le gouvernement et le public [polonais] apprécie pleinement l’attitude du Führer et chancelier ».

Poutine rappelle qu’au cours des années ayant précédé la guerre, les dirigeants occidentaux, et en particulier français et britanniques, n’ont cessé d’apaiser Hitler et de s’accommoder avec lui. Empêtrés dans leurs calculs géopolitiques, les dirigeants français et britanniques ont non seulement été incapables de réaliser l’idéal de paix de la Société des Nations, mais ils l’ont même trahi lors des accords de Munich, en jetant la Tchécoslovaquie dans les griffes nazies.

Aujourd’hui, les politiciens européens, et les dirigeants polonais en particulier, veulent garder sous le tapis la trahison de Munich, écrit Poutine. Pourquoi ? Le fait que leurs pays aient rompu leurs promesses et soutenu ces accords – certains d’entre eux prenant même leur part du gâteau – n’est pas la seule raison. L’autre raison est qu’il est plutôt embarrassant de rappeler qu’au cours de ces jours tragiques de 1938, l’Union soviétique était la seule à soutenir la Tchécoslovaquie.

A l’époque, Hitler et Mussolini étaient considérés par la plupart des nations occidentales comme des dirigeants tout à fait fréquentables, et étaient régulièrement invités dans les capitales européennes — en 1938, le magazine Times désignait même Hitler comme « l’homme de l’année ». En dépit des atrocités commises par Staline contre son peuple, ce dernier ne s’est jamais déshonoré en rencontrant Hitler, fait remarquer Poutine. Pire, les États occidentaux participèrent directement ou indirectement à la montée du nazisme : 

Leurs entreprises financières et industrielles ont activement investi dans les usines et les sites allemands fabricant les équipements et le matériel militaires, écrit-il. De plus, de nombreuses personnes dans l’aristocratie et dans l’establishment politique ont apporté leur soutien aux mouvements nationalistes d’extrême-droite qui fleurissaient alors en Allemagne et plus généralement en Europe.

Le président russe touche là un point très sensible de l’histoire européenne, que Solidarité & progrès, ainsi que le mouvement international de Lyndon LaRouche, ont mis en lumière dès les années 1970, en montrant comment l’Empire britannique, c’est-à-dire l’oligarchie financière de Wall Street et de la City de Londres, a mis le pied à l’étrier au fascisme et au nazisme. L’émergence d’un Empire nazi sur le continent européen était parfaitement en accord avec la devise « diviser pour régner » chère à la Perfide Albion. C’est ainsi qu’en grande majorité, les élites britanniques furent (parfois furieusement) pro-nazies, jusqu’au jour où le monstre de Frankenstein échappa à son maître, et décida d’attaquer à l’Ouest au lieu de l’Est…

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Une nouvelle architecture de sécurité internationale

Avant même la publication de la tribune du président russe, les médias occidentaux lui sont tombés dessus comme un seul homme, de façon caricaturale : : « Quand Vladimir Poutine tente de réécrire l’histoire de la Seconde Guerre mondiale » (France culture) ; « Poutine réécrit l’histoire de la Seconde Guerre mondiale » (CNN) : « Poutine donne des leçons d’histoire aux Européens sur la Seconde Guerre »  (Courrier International), etc. Une hypocrisie sans nom, venant de pays où, lors des cérémonies commémorant le 75e anniversaire de la victoire contre le nazisme, l’URSS a été systématiquement exclue de la coalition anti-Hitler, effaçant de la mémoire les 27 millions de morts soviétiques !

Depuis plusieurs mois, Poutine demande la réunion d’un sommet du P5, rappelant à leurs responsabilités les cinq pays qui ont assuré la Victoire contre le nazisme. Après tout, souligne-t-il, la Seconde Guerre mondiale a bien conduit à la création du système moderne de relations internationales : « Même les contradictions les plus insurmontables – géopolitiques, idéologiques, économiques – ne nous empêchent pas de trouver des formes de coexistence et d’interaction pacifiques, s’il y a le désir et la volonté de le faire ».

Il est de notre devoir – à tous ceux qui assument une responsabilité politique et principalement aux représentants des puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale – de garantir que ce système soit maintenu et amélioré. Aujourd’hui, comme en 1945, il est important de faire preuve de volonté politique et de discuter de l’avenir ensemble. Nos collègues – M. Xi Jinping, M. Macron, M. Trump et M. Johnson – ont soutenu la proposition russe de tenir une réunion des dirigeants des cinq États dotés d’armes nucléaires, membres permanents du Conseil de sécurité. Nous les en remercions et espérons qu’une telle réunion pourra avoir lieu en face à face le plus rapidement possible.

L’initiative de Poutine est très bienvenue, même si elle comporte des difficultés particulières. En 2009, Lyndon LaRouche avait préféré défendre l’idée d’un « Sommet des quatre grandes puissances » – États-Unis, Chine, Russie et Inde – afin d’exclure la perfide Albion et ses intrigues visant à « diviser pour régner ». Les actuelles tensions entre la Chine et l’Inde ne faciliteront pas la tâche. Cependant, seule une telle alliance permettra de court-circuiter le complexe militaro-financier de Wall Street et de la City de Londres et de poser les bases d’une nouvelle paix, cette fois-ci avant un conflit mondial, pas après.

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