D’Hôpital 2002 au Ségur de la Santé 2020

Guérissons enfin notre système de santé !

lundi 13 juillet 2020, par Agnès Farkas

Il faut que tout change pour que rien ne change.
(Extrait du film Le Guépard de Visconti)

Après sept semaines de discussions et près de onze heures de tractations, au soir du mercredi 8 juillet, le ministre de la Santé Olivier Véran et les syndicats sont parvenus à un projet d’accord sur la répartition des 7,5 milliards d’euros promis aux salariés des hôpitaux. Le lendemain, le gouvernement proposait un protocole d’accord pour une hausse de salaire de 180 euros net mensuels pour l’ensemble des personnels hospitaliers (infirmiers, aides-soignants, mais aussi agents techniques et administratifs), sur lequel les syndicats se sont prononcés aujourd’hui.

Le Ségur passe, la gestion financière reste...

Cette « avancée », hélas, reste totalement insuffisante pour mettre fin au long processus de destruction de cet outil formidable au service de la population qu’est l’hôpital public. Cette destruction est le résultat direct de la mise en œuvre de réformes inspirées des principes du « nouveau management public », imposant des logiques comptables dans la gestion des soins. Notamment la « tarification à l’activité » (T2A), visant à obliger les établissements à passer d’« une obligation de moyens » à « une obligation de résultats ». En appui à la T2A, la réforme de la « nouvelle gouvernance » (NG), qui contraint tout établissement public à se restructurer sous forme de centres de responsabilité, regroupant plusieurs services de soins au sein d’un « pôle ». Théoriquement doté d’une autonomie de gestion, le chef de pôle, issu des professions médicales, s’y retrouve cornaqué par un cadre de santé et un responsable financier.

A l’origine du démantèlement de l’hôpital public

Au cœur de cette dérive, le plan Hôpital 2002. Or, il s’avère qu’entre 2005 et 2007, sous le ministre de la Santé de l’époque Xavier Bertrand, c’est Jean de Kervasdoué, ancien directeur des hôpitaux (1981/86), qui s’est attelé hardiment à la tâche, aidé par un certain... Jean Castex, alors fraîchement nommé à la tête de la DHOS (Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins au ministère de la Santé), « pour introduire la notion d’objectifs dans l’hôpital et une rationalisation des coûts », dixit Patrick Bourdillon, de la CGT Santé, dans Society (avril 2020).

« Plus l’activité est soutenue, plus l’hôpital gagne de l’argent, exactement comme dans une entreprise », persistait le même Jean de Kervasdoué, dans L’Opinion du 11 février 2018. Et plus le gestionnaire est « efficace », plus il impose la réduction du nombre de lits « non rentables » — c’est-à-dire la fermeture de services entiers avec leur personnel — tout en décourageant celui qui reste et se trouve soumis à des cadences horaires insoutenables, pour le plus bas salaire de toute l’Europe.

Quand S&P tirait la sonnette d’alarme...

Déjà, en octobre 2006, nous mettions en garde dans notre article « Hôpital 2007 : tarification à l’activité et triage social » : « L’idée est de passer du système de dotation globale (une enveloppe budgétaire annuelle régionale, attribuée aux services hospitaliers publics et privés participant au service public), mis en place le 19 janvier 1983, à un système de (...)‘tarification à la pathologie’, copié sur le mécanisme d’allocation des ressources appliqué aux Etats-Unis par les HMO (Health Maintenance Organisation) depuis plus d’une quinzaine d’années, dans le cadre du programme Medicare. Ce mode de fonctionnement censé juguler les dépenses médicales a provoqué la fermeture de nombreux centres hospitaliers, contraints au dégraissage de secteurs jugés non rentables. »

Cette orientation destructrice fut malheureusement confirmée par Roselyne Bachelot et sa réforme HPST (Hôpital, patients, santé, territoires), dont nous avons pu mesurer l’efficacité criminelle dans la période de crise épidémique de la Covid-19.

Le nouveau casting du gouvernement, une offense aux soignants ?

En clair, on retrouve dans ce « nouveau » gouvernement, deux des artisans de la fameuse gouvernance administrative et de sa T2A. Ce sont eux qui, en se soumettant à la demande des présidents de la République de l’époque, ont poussé l’hôpital public au bord du burn-out et provoqué, 12 ans plus tard, la vague de manifestations portées par le CIU (Collectif Inter-Urgences) et le CIH (Collectif Inter-Hôpitaux), début 2019.

En 2019, Agnès Buzyn se plaignait amèrement d’être la victime des politiques des précédents gouvernements, ayant mené à une rupture du dialogue entre le ministère de la Santé et le personnel soignant. Mais qui l’empêchait de changer de cap ?

Pour sa part, interrogé sur l’arrivée de Castex à Matignon, l’avocat de trois médecins qui ont lancé des poursuites contre trois ministres pour leur gestion calamiteuse de la crise liée à l’épidémie de Covid-19, précise : « Vous ne trouverez pas plus fervent défenseur de la gouvernance de l’hôpital telle qu’elle est actuellement, que Jean Castex. Je trouve que c’est une offense aux soignants quand on connaît un peu leurs revendications. »

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Alors, me direz-vous, ce calumet de la paix qui doit être allumé après les négociations sur les réformes que porterait le Ségur de la santé, passera-t-il entre les soignants et le nouveau gouvernement ? Il y a fort à penser que l’allumette fera flamber de nouvelles manifestations des personnels hospitaliers, qui pensent à juste titre que le gouvernement « ne tient pas compte des constats faits pendant la crise Covid, montrant que les circuits de décisions courts et très médicalisés étaient les plus efficaces », selon le CIH.

La suppression de la T2A (tarification à l’activité), tant promise par Emmanuel Macron, ne fait pas non plus partie de l’accord. Il est pourtant crucial d’annuler immédiatement ce mode de financement dans les hôpitaux, pour le remplacer par une rémunération à la pathologie et selon le cas de chaque patient. On doit également annuler la dette hospitalière de 33 milliards, afin de donner aux soignants la liberté de soigner sans le poids des contraintes administratives.

S&P soutient pleinement les réformes demandées par le CIH, qui vont dans le sens du bien public.


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