Taïwan, TikTok, Iran… Points de tensions d’une guerre froide bien réchauffée

mercredi 26 août 2020

Chronique stratégique du 26 août 2020 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Étant donnée la situation sanitaire, économique et sociale – qui reflète en réalité la faillite générale du modèle néolibéral –, il ne faut pas croire une seule seconde que l’Empire anglo-américain ne va pas tout faire pour pousser au conflit avec la Russie et la Chine. De Taïwan à la militarisation de l’espace, en passant par l’Iran et les géants chinois du numérique, les provocations se multiplient en effet, et il devient urgent que Trump dise à Mike Pompeo, le plus illuminé des va-t-en-guerre de son gouvernement : « You’re fired ! »

Comme le rapporte Helga Zepp-LaRouche, la présidente internationale de l’Institut Schiller, dans son webcast hebdomadaire, de plus en plus d’experts s’inquiètent à l’idée qu’un affrontement militaire entre les États-Unis et la Chine ne soit plus impensable. « Certains pensent même que cela pourrait arriver avant les élections – il sera très facile de créer un incident, qui placerait Trump dos au mur, comme on a pu le voir dans le passé », a-t-elle souligné.

Taïwan

La situation est en effet de plus en plus tendue autour du détroit de Taïwan et de la mer de Chine. Selon les médias chinois, 67 avions militaires américains ont traversé la mer de Chine méridionale au cours du mois dernier. Les exercices militaires de l’OTAN côtoient dangereusement ceux de l’Armée populaire de libération. « Les tensions dans cette région du Pacifique, en particulier dans le détroit de Taïwan, vont en spirale croissante, lit-on dans la presse chinoise. Il n’y a pas de confiance mutuelle entre la Chine continentale et les États-Unis ou l’île de Taïwan. (…) L’histoire montre que les guerres éclatent souvent non pas parce que l’une des deux parties souhaite le conflit, mais parce que leur incapacité à résoudre leurs différents les prépare au pire. Et le pire scénario survient brusquement à un certain moment en raison d’erreurs d’appréciation mutuelles ».

Cependant, la partie américaine ne manque aucune occasion pour jeter de l’huile sur le feu. Dimanche, lors de la cérémonie commémorant le 62e anniversaire de la résistance taïwanaise face à l’attaque chinoise sur les îles Kinmen, la présence de Brent Christensen, le directeur de l’Institut Américain à Taïwan – qui fait office d’ambassade officieuse –, a représenté une véritable provocation. La semaine dernière, Marshall Billingslea, le représentant américain dans les négociations sur les armes stratégiques, a déclaré dans un entretien à la Nikkei Asian Review que les États-Unis envisageaient de déployer des missiles de portée intermédiaire en Asie, afin de contrer la « menace chinoise ».

Balkanisation d’Internet et militarisation de l’espace

L’administration Trump, sous l’influence du néocon en chef Mike Pompeo, s’est engagée au cours de l’été dans une véritable guerre contre les géants chinois du numérique – dans l’intention explicite de découpler les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) de leur concurrents BHATX (Baidu, Huawei, Alibaba, Tencent et Xiaomi). Début août, Trump a signé deux décrets pour interdire aux Américains toute transaction avec TikTok et WeChat (du groupe Tencent), en les accusant d’espionnage, donnant à ByteDance, la maison-mère de TikTok, un ultimatum de trois mois pour vendre ses opérations américaines – que Microsoft se verrait bien racheter pour mettre la main sur des millions de données personnelles…

Par ailleurs, le gouvernement américain a publié la semaine dernière le document décrivant sa nouvelle doctrine des forces spatiales, exposant clairement son intention de militariser l’espace. Lors d’une conférence de presse le 21 août, James Dickinson, le nouveau commandant du US Space Command, n’a laissé aucun doute, évoquant même la nécessité de développer une « culture de guerre spatiale ». C’est désormais ouvertement que les États-Unis ne tiennent plus compte du « Traité de l’espace » de 1967, qui pose le cadre juridique de l’exploration spatiale, empêchant la militarisation de l’espace extra-atmosphérique.

Iran : Pompeo en croisade seul contre tous

Le 20 août, le secrétaire d’État américain, tout entier à sa mission évangélique, a fait pression sur le Conseil de sécurité de l’ONU pour obtenir un « Snapback » contre l’Iran – c’est-à-dire le rétablissement de toutes les sanctions qui avaient été progressivement levées depuis la signature de l’accord sur le nucléaire (JCPOA). Plutôt gonflé, quand on sait que ce sont les États-Unis qui ont quitté l’accord, et non l’Iran, qui n’en est toujours pas sortie. A l’exception de la République dominicaine, tous les membres du Conseil de sécurité ont rejeté la demande de Pompeo, la Russie et la Chine posant leur veto. « Se tenir aux côtés des Russes et des Chinois sur cette question importante à un moment crucial à l’ONU est, je pense, vraiment dangereux », a fulminé Pompeo, à l’intention des autres membres, et en particulier de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne et de la France.

Si Pompeo voulait agir de façon à créer une ambiance délétère au sein-même du Conseil de sécurité, à l’approche d’un potentiel « Sommet du P5 » pouvant jouer un rôle essentiel de détente, il ne s’y prendrait pas autrement. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a d’ailleurs affirmé que le rétablissement des sanctions « ne produira aucun résultat, si ce n’est de provoquer le scandale et la querelle au sein du Conseil de sécurité et, au final, de saper son autorité ».

En tous cas, il faut espérer que l’état d’esprit paranoïaque « seul contre tous » de Pompeo ne fera pas l’unanimité dans les hautes sphères politiques et militaires américaines, et que Trump retrouvera bien vite son instinct d’homme d’affaires et lui lancera un théâtral : « You’re fired ! »

Pas de fatalité

Contrairement aux préjugés des néocons – et malheureusement de nombreux citoyens américains et européens –, un conflit sino-américain n’est pas une fatalité. Après tout, en créant le concept des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU, avec leur pouvoir de veto, l’intention du président Franklin Roosevelt était, rappelons-le, d’empêcher les intrigues impérialistes de « diviser pour mieux régner », si chères aux Britanniques.

Nous avons besoin d’une coopération entre les États-Unis et la Chine dans tous les domaines importants – l’économie, la pandémie, la situation sanitaire mondiale… –, estime Helga Zepp-LaRouche. C’est l’existence de la civilisation qui en dépend. Considérés un à un, la crise financière, l’effondrement économique, la pandémie, le danger de guerre, ne peuvent pas être résolus en soi, ou au niveau régional. Une approche entièrement nouvelle est nécessaire.

C’est pourquoi une rencontre au sommet des cinq membres permanents de l’ONU – les États-Unis, la Chine, la Russie, la France et la Grande-Bretagne –, telle que l’a proposée Vladimir Poutine, doit avoir lieu très rapidement. Non pas pour résoudre tous les problèmes, mais pour couper l’herbe sous le pied des va-t-en-guerres et des milieux financiers qui y sont associés, pour amorcer une détente internationale, et pour établir les grands chantiers qui permettront au monde de rentrer dans un nouveau paradigme de paix par le développement mutuel.

Vous venez de lire notre chronique stratégique « Le monde en devenir ». ABONNEZ-VOUS ICI pour la recevoir sans limitation. Vous aurez également accès à TOUS les dossiers de ce site (plus de 400 !)...