« FinCEN files » : les banques casino, le crime et la City

mercredi 30 septembre 2020

Chronique stratégique du 30 septembre 2020 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Des milliers de documents secrets concernant des transferts bancaires « suspicieux » ont été révélés le 20 septembre. Ils mettent en lumière l’implication de plusieurs banques systémiques – Deutsche Bank, JP Morgan, HSBC, Standard Chartered Bank, Bank of New York Mellon et Société Générale, etc – dans des activités criminelles. Bien qu’ils soient très limités, ces documents montrent une fois de plus que Londres se trouve au cœur d’un capitalisme devenu criminel.

Dimanche 20 septembre, 2500 documents, analysés par l’ICIJ (Consortium international des journalistes d’investigation), ont été dévoilés au grand public, mettant en cause certaines des principales méga-banques internationales. Il s’agit de « rapports d’activités suspectes », portant sur 2000 milliards de dollars, envoyés par les banques elles-mêmes, en cas de détection de transfert de fonds douteux, à l’autorité américaine de lutte contre le crime financier, la FinCEN.

Ces documents, qui ont été obtenus par BuzzFeed News, sont en grande partie issus de la fuite de dossiers collectés dans le cadre de la commission d’enquête de Robert Mueller sur le « Russiagate ». En dépit de ce prisme géopolitique américain et anti-russe, ils exposent le rôle central des grandes banques dans la circulation des flux d’argent sale liés à la fraude, la corruption, le crime organisé et le terrorisme. « Les réseaux par lesquels l’argent sale transite dans le monde sont devenus des artères vitales à l’économie mondiale », souligne BuzzFeed News.

Des méga-banques dopées au crime organisé

Les FinCEN files concernent 2000 milliards de dollars de transactions entre 1999 et 2017, et impliquent des sociétés fictives blanchissant de l’argent à des fins de trafic de drogue ou d’armes, de financement du terrorisme, ou à des fins d’évasion et de fraude fiscales. Les principales banques mises en cause comptent parmi le top 30 des « banques systémiques » :

  • tout d’abord, la Deutsche Bank, la première banque européenne – qui n’a plus grand-chose d’allemande ni d’européenne puisque son centre opérationnel se situe à Londres et qu’elle investit majoritairement dans le casino financier mondial. D’après les FinCEN files, la DB est impliquée à elle seule dans 1300 milliards de dollars de transactions douteuses (sur les 2000 milliards) ;
  • le nom de la JP Morgan apparaît de nombreuses fois, la banque américaine ayant procédé à des transactions suspectes à hauteur de 514 milliards de dollars ; rappelons qu’en 2014, elle avait du verser 2,6 milliards de dollars aux victimes de Bernard Madoff…
  • la HSBC, également emblématique de ces banques casino qui ont poursuivi leurs activités criminelles contrairement à leurs belles déclarations d’intention. La banque britannique avait en effet été condamnée en 2012 par la Justice américaine à payer 1,9 milliard de dollars pour avoir blanchi 881 millions pour le compte de cartels de la drogue en Amérique latine ;
  • côté français, les FinCEN files font apparaître le nom de la Société Générale, dont plusieurs de ses clients – notamment une société immatriculée dans les îles Vierges britanniques —, ont tranquillement pu déplacer des millions de dollars douteux, via des filiales de la banque en Suisse et à Monaco.

Bien entendu, les FinCEN files n’offrent qu’un angle de vue très étroit sur l’ensemble des activités financières criminelles. En effet, les 2500 documents épluchés par l’ICIJ ne représentent que 0,02 % des plus de 12 millions de déclarations d’activités suspectes rédigées entre 2011 et 2017. Selon les Nations unies, à peine 1 % des 2400 milliards de dollars (estimés) blanchis chaque année dans le monde sont détectés par les autorités.

Toutefois, les FinCEN files démontrent, pour ceux qui en doutaient, que rien n’a changé depuis la crise financière de 2008 ; à l’époque, le directeur exécutif de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime organisé, Antonio Maria Costa, avait dit que les revenus du crime organisé avaient sauvé le système financier mondial du krach systémique. Ce qui n’empêche pas le journal Le Monde – qui fait partie de l’ICIJ et qui a donc relayé les FinCEN files – de croire encore que les grandes banques mondiales sont devenues « l’un des secteurs les plus régulés du monde »… Autant publier une étude sur le dopage systémique au sein du cyclisme professionnel tout en affirmant, sans rire, qu’il s’agit du sport le plus contrôlé du monde !

En finir avec la City de Londres, la grande lessiveuse

Rares sont les journalistes de l’ICIJ à avoir souligné le fait que le Royaume-Uni, et surtout la City de Londres, apparaissent au cœur des FinCEN files, comme l’éléphant au milieu de la pièce. Comme nous l’avons dit, la Deutsche Bank est basée à la City ; il en est de même pour la HSBC ; la filiale londonienne de JP Morgan a permis à une société mafieuse de transférer plus d’un milliard de dollars. La division du renseignement du FinCEN qualifie le R-U de « juridiction à haut risque ». Plus de 3000 sociétés britanniques sont en effet mentionnées dans les fichiers, soit plus que tout autre pays.

Depuis un demi-siècle, l’économiste américain Lyndon LaRouche et Jacques Cheminade appellent à la fermeture de la City de Londres — la grande « blanchisseuse » mondiale – en tant que centre financier, ainsi que de l’ensemble des opérations de manipulations et de déstabilisations géopolitiques des services secrets britanniques qui sont associés à la City. Pour cela, il faut raviver l’héritage et la vision du président Franklin D. Roosevelt – et de Charles de Gaulle en France – avec un « nouveau Bretton Woods », c’est-à-dire un nouveau système monétaire basé sur le crédit public productif, et non sur la spéculation, l’endettement et la fausse monnaie des banques centrales.

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Comment la City de Londres a pris le contrôle de nos vies

Faut-il davantage d’éléments montrant que cela est urgemment nécessaire ? Les derniers chiffres fournis par la Banque des Règlements internationaux (BRI) montrent que le ratio de la dette globale par rapport au PIB mondial devient hors de contrôle, comme le rapporte le site ZeroHedge. Il est passé de 241 % du PIB mondial à la fin de 2019 à 252 % fin mars 2020, soit une augmentation de près de 25 000 milliards de dollars en termes absolus – sachant que ces chiffres ne concernent que le secteur non-financier (dettes publiques, dettes d’entreprises et dettes des ménages) et non les dettes des banques et autres acteurs financiers.

Ce processus, qui ne peut que s’aggraver sous l’effet de la pandémie et des injections monétaires massives des banques centrales, a en réalité débuté il y a 50 ans, lorsque les intérêts financiers de la City de Londres ont réussi à mettre à terre le système monétaire de Bretton Woods, à travers le découplage du dollar et de l’or opéré par Nixon le 15 août 1971. Les cinquante années qui ont suivi, de taux de change flottants, de financiarisation et de spéculation de plus en plus sauvages, et la perte de notre industrie productive, sont les conséquences de ce changement désastreux imposé par la City. Il est temps d’en finir.

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