Jacques Cheminade : Ce que signifie le rejet de mon compte de campagne de 1995

vendredi 23 octobre 2020, par Jacques Cheminade

Il peut paraître à première vue déplacé d’évoquer ici le rejet de mon compte de campagne de l’élection présidentielle de 1995, alors que l’abominable assassinat d’un enseignant est présent dans tous les esprits.

Cependant, le lien entre ce qui se passe aujourd’hui en France et ces tristes séances du Conseil constitutionnel de juillet-octobre 1995 est bien réel. Car la porte est ouverte à la barbarie lorsque la plus haute juridiction d’un pays bafoue l’État de droit. C’est bien ce qu’il s’est passé alors et qui est désormais indiscutablement établi par les archives du Conseil constitutionnel, qui viennent de s’ouvrir 25 ans après.

Les conseillers ont non seulement validé les comptes manifestement irréguliers d’Edouard Balladur et de Jacques Chirac, mais ont rejeté le mien en ayant recours à une argumentation juridique fallacieuse et, de leur propre aveu, « sans preuves matérielles ».

Même des membres du Conseil ont avoué

Jacques Robert, alors membre du Conseil, a reconnu dans Le Parisien du 1er décembre 2011 que « la raison d’État l’avait emporté sur le droit ».

Ainsi, le président du Conseil constitutionnel, Roland Dumas, le 4 mai 2011, dans l’émission Face aux Français sur France 2, a justifié la validation des comptes de Balladur et de Chirac et le rejet du mien en expliquant sans gêne que j’avais été « plutôt maladroit » et les autres « adroits » . Étrange conception de la justice mais plus encore, faux argument : les deux candidats de droite avaient été, non pas « adroits » mais protégés par un système dévoyé. Même le compte de Jean-Marie Le Pen a été validé, malgré son « absence de justifications », sans doute parce qu’il a été jugé comme appartenant au même monde politique au sein duquel je n’étais pas assimilable.

Exhibant son cynisme, à la question que lui posa Lyon Capitale dans son numéro de septembre 2011, « Vous passiez des valises pour financer la campagne de Mitterrand », Roland Dumas répondit « Oui, bien sûr ».

Tous les Français s’occupant un tant soit peu de politique savent que Chirac avait recours aux mêmes sources. Noëlle Lenoir, qui s’est dite « en paix avec sa conscience », a voté contre la validation du compte de Balladur mais a ardemment défendu celle de Chirac, pour lequel Maurice Faure a déclaré : « On sait d’où vient cet argent », qui a fait « crever le plafond autorisé » de dépenses du candidat. Quant à Noëlle Lenoir, sa « paix » a été validée par un ministère sous la présidence de Jacques Chirac.

Comme l’a reconnu Jacques Robert, il fallait « maquiller les comptes » et trouver des biais juridiques. Tels de vulgaires mafieux tripatouillant des chiffres, c’est à cela que se sont livrés les conseillers pendant plusieurs séances.

Quand le Conseil Constitutionnel s’assoit sur le code civil

Avant de « raboter » les comptes de Chirac et Balladur, celui de Cheminade a été rejeté à l’unanimité. Le Conseil, dans sa décision contre ce dernier, invoque l’absence de taux d’intérêt dans des prêts accordés par des particuliers et reclasse en dons les intérêts qui auraient dû être perçus, leur faisant dépasser la limite légale prévue pour des dons.

Le dispositif juridique est si bancal qu’Olivier Schrameck, secrétaire général du Conseil, a insisté pour que le dossier ne soit pas communiqué à la justice afin d’éviter le bruit d’un scandale. En effet, les dispositions de l’article 1905 du Code civil définissent un prêt par « son caractère restitutoire » et de principe sans intérêts. Ainsi, contre Cheminade, le Conseil s’est assis sur le Code civil.

On voit dans les indications des rapporteurs, reprises par les médias avec l’intention de nuire, une suspicion concernant des prêts soi-disant non justifiés et provenant en partie d’un compte en Suisse. Il s’agissait en fait de fonds justifiés, provenant de l’héritage d’une militante. Et les rapporteurs ajoutaient que le candidat avait « inventé » des dépenses, alors que les factures incriminées ont toutes été justifiées par la communication au Conseil (par lettre du 22/09/1995) d’un exemplaire des divers documents imprimés. Conclusion de Jacques Robert et de Maurice Faure rapportée par un article des Inrocks du 23 février 2012 : « Ils se sont fait une virginité sur son dos. » Même France Info et France Inter doivent le reconnaître : « Alors qu’ils ont régulièrement plaidé que ‘le doute doit profiter au candidat’ dans le cas des comptes Chirac et Balladur, les Sages ont donc décidé de sanctionner le ‘petit’ candidat. »

Au-delà de l’affaire des comptes présidentiels...

Mais il y a beaucoup plus que cela. Le « petit candidat » n’a pas seulement été un bouc émissaire pour couvrir les gros. Tout au long de ma campagne, j’ai été diffamé par les médias et je tiens à la disposition de quiconque un volumineux dossier le prouvant. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (24/04/1995) a reconnu, chiffres en mains, que mon temps de parole avait été de loin inférieur à celui des autres candidats et la Commission nationale de contrôle de la campagne (20/09/1995) a constaté que j’avais fait l’objet d’un « traitement inégalitaire ».

Jusqu’au bout, l’État français s’est acharné pour que je rembourse personnellement l’avance (171 325,46 €) qu’il m’avait versée sur mes frais de campagne, comme à chacun des candidats. Cette somme fut finalement récupérée au détriment du remboursement de mon compte de campagne de 2012, qui a été, lui, validé ! Un tel acharnement ne peut être compris que si l’on examine ce que je n’ai cessé alors d’annoncer : l’effondrement d’un système financier international aboutissant à un saccage social dont presque tout le monde alors se faisait complice. Aujourd’hui, nous y sommes.

Je ne me pose pas en victime personnelle, mais en accusateur d’une mafia politique qui a conduit au désastre. Le rejet de mon compte est un révélateur. C’est notre effort actuel pour un projet futur, proposé dans notre Feuille de route, qui est essentiel. Les membres du Conseil n’ont été, à l’époque, que les projections plus ou moins conscientes du système de la City et de Wall Street. L’enjeu est non seulement ce qui serait arrivé si ma candidature avait été justement traitée, mais aussi ce que nous devons tous faire aujourd’hui pour le bien commun et les générations futures.