Terrorisme : la France doit dire oui à la proposition russe pour le retour des réfugiés syriens

mercredi 4 novembre 2020

Chronique stratégique du 4 novembre 2020 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

La Russie propose d’accueillir sous son patronage une conférence les 11 et 12 novembre prochain à Damas, pour organiser le retour des réfugiés syriens. Dans le contexte actuel de nouvelle vague d’attentats terroristes, il s’agit d’une initiative cruciale, qui n’a pour l’instant suscité qu’un appel au boycott par les États-Unis et un silence européen.

Le 29 octobre, lors d’une rencontre à Damas entre le président syrien Bachar el-Assad et une délégation russe dirigée par Alexander Lavrentiev, l’envoyé spécial du président Vladimir Poutine pour la Syrie, une proposition a été faite de convoquer une conférence sur le retour chez eux des six millions de réfugiés syriens, ainsi que des millions de déplacés à l’intérieur du pays, qui ont fuit la guerre depuis neuf ans. L’événement, qui sera parrainé par la Russie, aura lieu dans la capitale syrienne les 11 et 12 novembre, et aura pour but d’ « alléger les souffrances des réfugiés syriens à l’étranger et leur ouvrir la porte pour qu’ils rentrent en Syrie et mènent une vie normale », comme le précise l’agence de presse syrienne SANA.

Le forum fournira une plate-forme pour un dialogue de fond avec toutes les parties concernées sur toutes les questions liées aux Syriens qui rentrent chez eux, a déclaré Vassily Nebenzia, l’ambassadeur russe aux Nations unies. Malheureusement, nous devons dire qu’en raison de préjugés anti-syriens, certains collègues ont immédiatement discrédité cette initiative humanitaire. Nous recevons des signaux clairs sur le refus de certains États occidentaux de même discuter de cette question.

En effet, alors que la proposition venait à peine d’être mise sur la table, l’ambassadeur-adjoint américain aux Nations unies, Richard Mills, a appelé au boycott de la conférence, en prétextant que cette conférence n’est pas organisée en coordination avec l’Onu ou les pays accueillant le plus grand nombre de réfugiés (sous entendu, la Turquie). Les États-Unis « ne croient pas que l’armée russe soit un hôte crédible pour organiser une discussion significative sur le retour des réfugiés », a-t-il ruminé. Parce que les États-Unis (et ajoutons la Grande-Bretagne et la France), qui de par leurs interventions militaires des vingt dernières années n’ont su qu’engendrer le chaos, la guerre et la désolation, sont sans doute une référence crédible… En effet, accepter une telle initiative implique la reconnaissance implicite du régime de Bachar el-Assad dont le départ reste jusqu’ici le préalable absolu pour les occidentaux avant toute aide à la reconstruction de la région.

Hormis cette réaction américaine, aucune chancellerie européenne n’a daigné répondre à la proposition russe, ainsi qu’aucun média occidental, ou presque. Seule l’Associated Press a immédiatement publié une dépêche, repris mot pour mot par le Washington Post et le quotidien turc pro-gouvernemental Daily Sabah, dans laquel il est affirmé (au nom d’une autorité descendue d’on ne sait où) que « les pays occidentaux et nombreux parmi les 5,6 millions de réfugiés syriens sont opposés à une conférence internationale sur le retour des réfugiés et des personnes déplacées, à moins qu’une solution politique ne soit trouvée à cette guerre » (C’est-à-dire le départ du président syrien).

Justice sociale et développement mutuel

Par cette proposition, la Russie offre une occasion de changer la règle du jeu que nous devons absolument saisir. « Si la Chine, la Russie, les États-Unis et l’Europe s’unissent pour stabiliser la situation et créer les conditions du développement, les migrants pourront accéder au développement chez eux et nous créerons un pôle opposé à l’irrationalité du terrorisme », explique Karel Vereycken, le vice-président de Solidarité & progrès, lors d’un entretien sur la télévision chinoise CGTN.

Comme la plupart des grands enjeux mondiaux (crise sanitaire, faillite systémique du système financier, crise alimentaire, etc.), le problème du terrorisme ne saurait être résolu sans une détente, une entente et une coopération entre les grandes puissances. Et l’initiative de Poutine est précisément une invitation à une forme préliminaire de « G-5 » dont le monde a besoin.

C’est pourquoi le gouvernement français, autant que le prochain président des États-Unis, devrait soutenir cette proposition de la Russie, et envoyer une délégation à Damas les 11-12 novembre. D’une part cela enverrait au monde le signal que la France est prête à renouer avec sa vocation d’inspiratrice et de médiatrice – qu’elle a trahi, depuis la guerre en Libye, en participant aux guerres criminelles des néoconservateurs anglo-américains ; et d’autre part cela donnerait aux Français le sens que l’on peut sortir des faux débats, des manœuvres de com’ et surtout d’une approche où l’on se contente de gérer le mal sans jamais chercher à l’éradiquer – approche dont aujourd’hui tout le monde mesure amèrement l’échec complet, autant en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme djihadiste que contre la pandémie de Covid-19.

Car le retour des réfugiés en Syrie – et plus généralement dans le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord – pose immédiatement la question de la reconstruction économique de la région, seul moyen de détruire le terreau sur lequel prospèrent l’idéologie et le terrorisme islamiste. C’est-à-dire une société privée d’espoir et de perspective pour un avenir meilleur, qui casse sa jeunesse et l’envoie dans les bras des organisations terroristes.

Lors de son intervention internet du 30 octobre, où il réagissait au passage simultané à l’état d’urgence sanitaire et à l’état d’urgence attentat, Jacques Cheminade a souligné l’importance de sortir d’un débat fixé sur le plan des religions :

Il faut le mettre sur le plan du développement mutuel, du dialogue des cultures et des civilisations. (…) La clé, c’est la justice sociale et le développement mutuel, à l’échelle du monde comme à l’échelle de la France – la fin des réprouvés, comme le disait Jean Jaurès.

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