Alexandre Langlois : où en est la police nationale ?

dimanche 20 décembre 2020

Alexandre Langlois était avec nous le 30 novembre dernier sur le serveur Discord de Solidarité et Progrès, juste après sa démission de la police nationale suite à la loi de Sécurité globale. Il est l’auteur du livre L’ennemi de l’Intérieur, dérives et dysfonctionnements de la police nationale (2019). Un échange passionnant et très instructif. Retranscription des passages phares.

Ceci est la version longue d’un article paru dans le journal Nouvelle Solidarité du 18 décembre 2020. Il est donc réservé aux abonnés. Pour découvrir nos publications et s’abonner, c’est ici.

« Ils vont revenir sur l’article 24 qui interdisait de filmer les policiers. Mais il y a exactement le même article de loi qui interdit de filmer les fonctionnaires ! Il a été fait en réaction à la mort de Samuel Paty. Donc LREM est assez forte pour faire deux fois la même loi dans deux textes différents pour être sûr que ça passe ! Donc continuez de rester vigilants (…)

« L’actualité a fait que j’ai décidé de partir de la police nationale, parce que, comme j’avais expliqué dans mon livre – et au sein de tout le combat que j’ai pu mener avec le syndicat Vigi : tant que la police sera réformable de l’intérieur, je resterai à l’intérieur. Aujourd’hui, c’est impossible de réformer la police de l’intérieur : tout a été verrouillé pour verrouiller la parole des syndicalistes, des policiers. Ça ne veut pas dire que tous les policiers sont des pourris : bien au contraire, beaucoup de policiers font leur travail en conscience et essaient de faire au mieux, mais ils sont paralysés dans leur travail. Ce n’est pas pour rien qu’on a la profession en France qui a le plus gros taux de suicides, de dépressions, etc.

« Aujourd’hui on a un ministre de l’Intérieur qui a essayé de défendre une loi abjecte, il n’y a pas d’autres mots. Parce que la loi de Sécurité globale est en fait la légalisation de l’affaire Benalla. Dans l’affaire Benalla, nous avions des personnes envoyées par l’Elysée déguisées en policiers ; demain, avec cette loi, nous ne pourrions plus les filmer. Qu’est-ce qui nous garantit demain que l’Elysée ou n’importe quel responsable du gouvernement n’utilisera pas des mêmes barbouzes pour venir semer la pagaille dans les manifestations ?

Vers la privatisation de la sécurité en France

« Deuxième chose, dans cette loi il y a le transfert de la mission régalienne de l’État vers les sociétés de sécurité privée. Le but des missions régaliennes c’est l’intérêt général. La sécurité privée a un autre objectif, faire de l’argent. C’est très bien quand on vend des voitures, par contre quand on doit assurer la sécurité de tous, quand on fait de l’argent, l’objectif n’est plus du tout le même. A quel point, après, est-on prêt à se compromettre ? Cela revient à l’affaire Benalla également : M. Macron voulait enlever la protection du président de la République aux gendarmes, pour les remplacer par des agents de sécurité privée. [Pourtant] ils n’avaient jamais failli au cours de la Ve République : aucun président n’avait été blessé ou assassiné dans le cadre de ses fonctions, donc il n’y avait aucune raison de ne pas leur faire confiance sur leur savoir-faire ! Il a demandé à Messieurs Crase et Benalla de mettre ça en place : pourquoi ? La loyauté, ça s’achète dans une boîte de sécurité privée ; par contre l’intérêt général, c’est autre chose (...)

(…) Donner plus de pouvoir à la police municipale : c’est a priori le but avoué de la loi de Sécurité Globale – puisque c’est ce que plein de maires demandent. Quand on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage ! La police nationale se désengage de partout pour forcer les municipalités à renforcer leur police municipale : on est dans un jeu de dupes. Donner plus de pouvoir aux polices municipales aurait été intéressant sur un laps de temps donné, vu l’état de la police nationale actuel, pour la décharger de certaines missions. Mais auquel cas, il aurait fallu le définir dans le temps. A titre personnel je suis contre les polices municipales mais pour une intégration dans la police nationale de tout le monde, pour une sécurité générale en France. Parce que le problème de donner du pouvoir aux policiers municipaux, plus que des baronnies locales, c’est que cela va signifier une rupture de l’égalité du territoire au niveau de la sécurité. Les policiers restent des fonctionnaires donc normalement au service de l’intérêt général, mais selon les communes et les endroits, tout le monde n’aura pas la même police municipale. Moi, en tant que citoyen, je devrais avoir le droit de me déplacer sur tout le territoire avec la même garantie de sécurité. Le vrai danger je le redis, reste de donner plus de pouvoir aux agents de sécurité privés, le pouvoir de dresser des procès-verbaux, et de donner des pouvoirs d’être en lien avec le Procureur : ce sont là, les premières dérives. On les a armés, ils vont bientôt pouvoir tirer aussi sur la voie publique. Ce seront des gens qui seront payés, l’intérêt général ils n’en auront rien à faire (ou alors juste en conscience) mais leur but restera de faire de l’argent. (…)

Surveillance de masse et arbitraire

Mathieu Fevry / shutterstock.com

« Enfin, dans cette loi il y a le fait de filmer les gens par drones pour faire des belles images en temps réel. Ça peut être utile, par contre c’est la deuxième partie qui est très gênante : il y a bien marqué comment doivent être conservées les vidéos, quels délais, etc. Mais si jamais les vidéos sont détournées de leur but initial, qu’elles ne sont pas conservées dans un délai légal : quelles sont les sanctions ? Zéro. Qu’est ce qui s’est passé dans l’affaire Benalla également ? Le conseil spécial de l’Elysée, M. Emilien, a pris les vidéos de surveillance de la préfecture de police de Paris, pour montrer des vidéos qui parfois n’avaient rien à voir avec les manifestants molestés par Alexandre Benalla et M. Crase – des fois les mêmes pour essayer de les mettre en difficulté sur le plan médiatique. Du coup, il y a eu utilisation frauduleuse des images de la préfecture de police. Or personne ne sera poursuivi demain parce qu’il n’y a plus de sanctions, il n’y a rien du tout. Egalement, le directeur de la DOPC [Direction de l’ordre public et de la circulation] à l’époque avait conservé des vidéos plus de trois mois, sans que cela ne fasse sourciller personne.

« La surveillance de masse m’inquiète beaucoup, parce que plus il y a de surveillance de masse, plus on se dirige vers un Etat autoritaire, voire – l’étape suivante – totalitaire. Effectivement nous, avec le syndicat et à titre personnel aussi, on était pour que des caméras équipent les policiers ; mais pour que ce qui soit filmé soit envoyé vers une boîte noire qu’on puisse juste analyser si nécessaire par la suite – et que ce ne soit pas fait, justement, pour un filmage en direct. De toute façon ce ne sera pas les caméras piétons qui vont le faire : il y aura en plus les drones en direct, qui posent en plus la question de savoir si [et quand] on est filmé par un drone : (...) personne ne pourra accéder à ces données s’il ne sait pas qu’il a été filmé ! (…) Aujourd’hui en Ukraine dans une manifestation, ils avaient envoyé un SMS sur tous les téléphones qui bordaient la manifestation. Le message disait : « On a pris votre numéro de téléphone, la prochaine fois qu’on vous voit sur une manif, ça va mal se passer pour vous ». En France on pourra un jour arriver à ça ! (...) Quand la reconnaissance faciale a été mise en place en Chine, la France a dit : « Jamais ça chez nous ! ». Or ils sont en train de le faire, les commandes sont déjà parties ; maintenant ils vont juste légaliser pour pouvoir utiliser leurs commandes. (…)

« Cette loi est catastrophique sur tous ces points-là. Et elle est l’aboutissement du musellement de la police nationale parce que dans la police nationale – et la France est une exception quasiment [par rapport à toutes] les démocraties européennes – , c’est l’IGPN [Inspection Générale de la Police Nationale] qui contrôle les policiers. Donc comprendre que si un jour quelqu’un a un problème avec un policier, il va se plaindre... à la police ! Si au final ça doit mettre en cause la hiérarchie policière (qui est quand même responsable de la gestion des formations, de détecter les problèmes internes, etc.), elle ne va évidemment pas se mettre en cause, parce que leurs carrières sont en cause, ils sont aux ordre du ministre.

« Le fait de filmer était le dernier contrôle citoyen qui restait. Mais on a pu voir l’hypocrisie de M. Darmanin qui a dit « Ces images – sur l’affaire de Michel Zecler – me choquent ». Moi ce ne sont pas les images qui me choquent, c’est le tabassage de la personne ! Donc demain avec sa loi – c’est pour ça que c’est hypocrite – , ces images ne pourront plus être diffusées. Heureusement il y a le rétropédalage, mais comme je disais il y a cette deuxième loi, où on essaie de faire passer en douce ce qu’on n’arrive pas à faire passer par la porte. C’est cette dérive très grave qui va faire qu’on va avoir une police qui n’est plus du tout républicaine, qui va faire le nervis.

Instrumentaliser la souffrance des policiers

« Et la propagande est telle qu’on n’est plus dans un débat « Qu’est-ce qu’on veut pour la police ? » mais « Pour ou contre la police ? ». Et M. Darmanin utilise tous les procédés de la propagande les plus abjects (…) en faisant pleurer dans les chaumières. Il a instrumentalisé la souffrance des policiers pour son intérêt personnel et celui du gouvernement. Il a utilisé le drame de Magnanville où deux de mes collègues ont été assassinés chez eux par un terroriste. Pourquoi ont-il été assassinés chez eux : parce qu’il y a eu des images sur les réseaux sociaux ? Non, parce qu’il y a eu une fuite d’informations entre un syndicat de police et le ministère de l’Intérieur sur des données (...) ! Donc le fautif est le ministère de l’Intérieur, qui n’a pas su sécuriser les données personnelles de policiers. Aujourd’hui il fait pleurer les chaumières en instrumentalisant ce drame pour sa propagande personnelle.

« Deuxième chose : il a dit qu’il y avait des policiers qui se suicidaient et qui partaient en dépression à cause des images et du harcèlement sur les réseaux sociaux. La première cause de mortalité par mort violente des policiers est effectivement le suicide. Mais pas du tout parce qu’on est harcelé sur les réseaux sociaux, mais parce que nous subissons un management délétère, des conditions de travail déplorables ! Et ça, une fois de plus, c’est le ministère de l’Intérieur qui est en charge de la santé de ses personnels ! (…) Il y a eu des collègues CRS qui ont reçu des menaces de mort il y a un an ou deux chez eux, c’est sorti dans la presse également (…) Mais comment ces gens ont eu leur adresse ? Tout simplement parce que le ministère de l’Intérieur a publié au Journal officiel les noms et prénoms des CRS ! (…) S’il y a un problème de sécurisation des données – et il y a en un – il n’est pas du côté du filmage des policiers mais des failles de sécurité au niveau du ministère. (…) Il y a donc des choses à faire pour protéger les policiers mais pas au détriment de la liberté de tous, surtout quand ça n’a aucun rapport avec notre sécurité. (… )

« Pour France Télécom, le procès, qui a abouti à des peines, concernait 35 suicides pour 190 000 salariés en deux ans. Pour la police nationale, en 2019 c’était 97 suicides pour 160 000 fonctionnaires en deux ans. Donc trois fois plus, et il n’y a rien. Il n’y a aucune remise en cause. Avec le syndicat Vigi, on a posé plainte sur le modèle de France Télécom, pour faire condamner l’administration et mettre fin à cette spirale infernale. Parce que des choses avaient été proposées par l’administration, mais on avait l’impression que c’était au pire du foutage de gueule (sic), au mieux ironique : un directeur de la police nationale a proposé des barbecues conviviaux ! Mais sur notre temps personnel – alors que les policiers font tellement d’heures supplémentaires qu’il n’ont qu’une envie : ne pas rester au travail mais voir leur famille ! (…) On a eu un numéro vert de M. Castaner qui n’a tellement pas mis d’argent dans la machine que l’appel d’offre n’a même pas été pris la première fois : il a dû refaire un second appel d’offre pour trouver quelqu’un, sans aucun succès d’ailleurs comme c’était prévisible. Et quand M. Darmanin est arrivé, il a dit : « Moi je sais ce qu’il faut faire, c’est un deuxième numéro vert. »

« On en est là, et depuis le début du quinquennat de M. Macron, on est à plus de 150 policiers qui se sont donnés la mort – ce qui est la première cause de mort des policiers. Un policier a signé pour éventuellement mourir en mission contre un terroriste, un braqueur, etc. mais malheureusement dans la réalité, un policier meurt parce qu’il retourne son arme contre lui-même ou se suicide de façons diverses et variées.

Y a t-il un devoir de réserve chez les fonctionnaires ?

« Le statut de la fonction publique a été fait en 1983 par un monsieur qui s’appelle Anicet Le Pors. Dedans il avait marqué le devoir de ne pas divulguer des informations personnelles, le secret de l’enquête. Mais il a expliqué récemment, dans diverses interviews, qu’il n’a pas mis le devoir de réserve parce que si on avait un devoir de réserve, cela empêcherait les fonctionnaires de critiquer leur institution dans le but de l’améliorer. Si jamais ils ne peuvent plus faire ça, si les policiers ne sont plus au service de la population – et les fonctionnaires en général – alors ils sont au service exclusif du gouvernement. Il a dit : ce n’est pas possible de mettre ça dans une loi (…)

« En 1986, un devoir de réserve, qui est inférieur à la loi, a été mis en place. Et M. Valls en 2014 a transformé le devoir de réserve en obligation de réserve. On a passé un cran. Il a également marqué une limite de l’expression syndicale en 2014, qui a été signée par une partie des syndicats de la police nationale : c’est la première fois qu’un syndicaliste signe pour limiter sa liberté d’expression ! (…)

«  Dans la loi de 1983, il y avait quelque chose de très important : les fonctionnaires ont un devoir d’information du public. Donc la loi à l’heure actuelle permettrait aux fonctionnaires de s’exprimer. Ça a été mis dans un décret, et les sanctions pleuvent sur ça. J’en profite pour faire un petit aparté : il y a beaucoup de gens de syndicats majoritaires – voire le ministre – qui s’exclament sur divers plateaux télé en disant : la fonction publique qui a le plus sanctionné en France, c’est la police nationale. C’est vrai. Mais pourquoi les policiers sont sanctionnés ? Pour avoir mutilé des gens, pour avoir fait des erreurs, pour avoir blessé ou tué, comme Mme Zineb Redouane ? Non, pas du tout ! Il y a une bonne partie qui est sanctionnée parce qu’elle a manqué de loyauté envers la hiérarchie, parce qu’ils ont critiqué, refusé des ordres illégaux, porté atteinte au crédit et au renom de la police nationale. Y compris dans leur vie privée : ça c’est une nouveauté de 2014, qui est une reprise de l’article 5 du statut général de la fonction publique de 1941 : vous voyez à quel point on a été chercher des références pour museler les fonctionnaires en 2014 !(…) Le problème c’est que l’administration a les moyens de broyer les gens, parce qu’elle a la puissance financière pour envoyer les gens au Tribunal, les sanctionner derrière. Mais quand on veut se battre contre cette machine, ce sont ses propres petits deniers personnels. Donc effectivement le combat est assez inégal, même si la loi au final devrait donner raison au fonctionnaire qui veut se battre.

(…)

Du terrorisme à l’Etat d’urgence permanent

« Je n’aime pas quand les gens disent « Il faut s’habituer à vivre avec le terrorisme ». On n’a pas à s’habituer à quelque chose comme ça, on lutte contre le terrorisme ! (...) Les gens comme Valls ou Emmanuel Macron qui disent des choses comme ça sont surprotégés : c’est facile de dire aux autres « Bon courage à vous, moi ça va ! ». Surtout que l’arsenal juridique liberticide et répressif qui a été mis en place n’a pas beaucoup d’intérêt pour lutter contre le terrorisme (si ce n’est pour le contrôle social). Il y a eu, par exemple, sur l’état d’urgence qui a été prononcé au lendemain des attentats du 13 novembre, plus de 3 000 perquisitions administratives (sous l’ordre du préfet et pas de la Justice). La dernière fois que des perquisitions administratives ont eu lieu de cette façon, ça date des années plus sombres de notre histoire ! Résultat : sur plus de 3 000 perquisitions, 6 ont donné quelque chose sur le terrorisme. Et encore, c’est parce que c’était des procédures judiciaires qui étaient déjà en cours ! Donc ça a donné zéro. En plus, rien n’était cadré. Dans une procédure judiciaire, on accompagne la personne dans chaque pièce de sa maison pour être sûr que des preuves ne sont pas rajoutées ou supprimées ; là chacun faisait ce qu’il voulait dans toutes les pièces. Même dans un tribunal derrière, les perquisitions ne pouvaient pas tenir ! Ça a été utilisé par contre à des fins de régler des petites affaires de stup, des petites vengeances de commissariats qui n’arrivaient pas à envoyer en prison certains délinquants (…) Donc dans les faits ça a dévié du but recherché.

Manifestation en avril 2015 contre la Loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement
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«  La loi Renseignement en 2015, qui avait été faite avant les attentats – donc ça a montré sa performance pour lutter contre ça – permet également au Premier Ministre, à l’époque M. Emmanuel Valls, de mettre qui il veut sur écoute. Je m’explique sur « Qui il veut » : il a constitué un organe de contrôle qui contrôle a posteriori si jamais le ministre est pressé, et s’il agit avant, il rend un avis que le ministre n’est pas obligé de suivre ! Donc on arrive à un organe de contrôle qui ne contrôle pas grand-chose – et imaginons que c’est contrôlé a posteriori une fois que la commission de contrôle a dit qu’il ne fallait pas le faire, le ministre dit « Et bien j’annule tout »… Sauf qu’il a déjà les informations, c’est trop tard. (…)

« Si on voulait vraiment lutter contre le terrorisme, on ne prendrait pas des lois liberticides qui cassent les pieds à tout le monde et aboutissent à un contrôle social de la société. Moi j’ai toujours défendu que dans toutes les religions il y a malheureusement des dérives sectaires. Pourquoi dans l’Islam ce n’est pas possible de mettre des « dérives sectaires » ? Surtout que la plupart des attentats commis en France correspondent exactement aux critères des dérives sectaires : des gens coupés de leur milieu, à qui on bourre le crâne, et à qui on fait commettre des choses complètement ignobles. Donc on est dans la cadre parfait des dérives sectaires. A ceci près que le gouvernement a décidé de dissoudre la Miviludes, qui avait également des défauts, mais qui avait le mérite de pouvoir lutter contre cela efficacement. Donc on est en train d’appeler à la haine des populations françaises entre elles plutôt que d’essayer de régler le problème de fond ! Parce qu’une fois qu’on a mis le doigt sur : « c’est pas les musulmans le problème, c’est pas telle partie de la population mais c’est un problème de dérive sectaire dans tel [cas] ».. Et bien là, on sait où est le problème, et tout le monde est conscient et veut aider à le régler !

« Après on est passé à l’état d’urgence permanent. M. Macron avait dit qu’il allait supprimer l’état d’urgence. Et bien oui, il l’a supprimé, puisque maintenant c’est un état d’urgence permanent  ! Est-ce qu’il y a encore eu des attentats en France ? Oui ! Parce que ça ne résout pas le problème du terrorisme. Et au final on a passé encore des lois de plus en plus liberticides. On a eu la loi Asile, Immigration, avec dedans un nouveau passage qui ne s’était pas vu depuis les années 1940 en France ! Les policiers sont incités à contrôler les gens sur leur type étranger, leur apparence extérieure. Donc le contrôle au faciès a été légalisé ! Et là on passe un dernier cap avec cette loi de Sécurité globale qui est en fait un moyen de finir la surveillance généralisée (…).

(…)

Quid d’une police de proximité ?

« De façon générale la police fait des missions qui n’ont rien à voir avec ses missions réelles. On est un petit peu la poubelle de la société car il y a une démission générale de la société. Si jamais l’Education nationale fonctionnait, l’assistante sociale fonctionnait, tous les autres services publics fonctionnaient, on pourrait se concentrer sur la délinquance.

« Des expérimentations avaient été tentées dans un commissariat : il avait été demandé par des agents de mettre une antenne de l’assistance sociale avec l’idée que ce ne sont [souvent] pas des missions que [la police] doit régler avec le code pénal, mais des problèmes sociaux. Mais le commissaire avait répondu : « C’est trop compliqué à mettre en place, je ne veux pas de ça chez moi ! ». Un autre collègue avait fait venir l’Inspection du travail pour un problème interne à une entreprise et on lui avait dit « Mais qu’est ce que fait l’Inspection du travail dans les locaux de la police ? » Donc il y une réticence dans la hiérarchie policière, on ne sait pas pourquoi (…). Mais effectivement ce serait bien d’ouvrir la société civile de façon plus large, parce que la police est là pour protéger la société des crimes et des délits mais il n’est pas là pour faire le reste. Donc si chacun se recentre sur son métier chacun sera plus compétent et chacun sera formé convenablement, donc ce serait une piste intéressante.

Violences et hiérarchie des décisions durant les manifestations

« La différence entre gendarmerie et police c’est une question de compétence territoriale. Les gendarmes s’occupent de la campagne plus généralement et après, dans les grosses manifestations, il n’y a que des gendarmes mobiles. C’est comme s’il n’y avait que des CRS qui étaient sur les dispositifs de maintien de l’ordre. Ils sont formés à ça, ils sont professionnels. Le problème de la police, c’est qu’il n’y a plus assez de policiers. Et comme les plus grosses manifestations se déroulent en ville et pas à la campagne, ce sont les autres services de police qui sont mis à contribution, qui ne sont pas formés au maintien de l’ordre, qui n’ont aucun compétence pour ça.

« Ces autres services de police sont formés à diverses choses. La BAC [Brigade Anti-Criminelle] est formée à l’anti-émeute, et donc elle fait de l’anti-émeute. Ils ont peur également, parce qu’ils disent : « On nous envoie au milieu des manifestants parfois énervés et en panique, et on commence à tirer dans tous les sens ». Après il y a les BRAV [Brigade de Répression de l’Action Violente]. Là c’est le summum de tout : ce sont des gens qui sont volontaires pour aller cogner des gens (sic). A tel point qu’en 1986 il y a eu l’affaire Malik Oussekine : il y a eu les Voltigeurs, Pasqua en a fait l’expérimentation à l’époque. Il y a eu des morts et alors il a dit : « C’est terminé, il n’y a plus de voltigeurs et je présente mes excuses à la famille ». Aujourd’hui, on a un problème hiérarchique : il n’y a aucune excuse aux gens qui sont mutilés ou qui sont tués par la police alors qu’ils étaient innocents – je ne parle pas d’un terroriste qui a été abattu parce qu’il fallait protéger des vies évidemment.

« Donc sur un schéma hiérarchique ça se passe comment ? Il y a les unités constituées (donc les gendarmes mobiles), les CRS, les compagnies d’intervention qui ne peuvent pas bouger, qui n’ont aucune initiative personnelle sur le terrain. Elles sont toutes obligées de prendre leurs ordres de la salle de commandement. Ce qui fait qu’on peut voir des fois sur un 1er mai un MacDo en flammes avec un cordon de CRS devant, qui ne bouge pas d’une oreille ! Il faut voir, sur une place de la République, des gens qui scandent « Suicidez-vous ! » à des policiers et aucun qui ne bouge ! Alors qu’il suffisait de les interpeller sur place et on aurait pu voir qui c’est. Et la Justice aurait pu faire son travail, plutôt qu’avoir un M. Castaner le soir qui disait : « On va envoyer la police judiciaire, qui a vraiment d’autres chats à fouetter, pour les retrouver ». Egalement on sait où sont les black-blocs : on sait quand ils arrivent, mais on n’a pas les ordres de les interpeller ! Des fois on les laisse même passer. Lors d’une manifestation assez épique durant le mandat de M. Hollande, il y avait une occupation de la place de la République par Nuit debout. 300 personnes identifiées comme violentes viennent perturber la manifestation. Des collègues CRS sont sur leur route, on leur demande d’ouvrir le passage pour qu’ils puissent rejoindre Nuit Debout, ils y vont, ils vont dégrader un commissariat de quartier : toujours pas d’ordre de les interpeller. Mais quand ces personnes disent en rigolant « On va aller prendre l’apéro chez M. Valls, qui habite dans le quartier », en 5 minutes, toutes les compagnies de CRS sont rappelées, dispersion du mouvement ! Donc on voit que si on veut on peut : il faut donner les bons ordres.

« Après il y a ceux qui agissent de façon autonome : ce sont les BAC, qui sont au sein des manifestations et agissent de façon autonome pour faire ce qu’elles veulent sur le terrain. Car le principe d’une BAC c’est d’interpeller en flagrant délit. Donc il y a toutes les unités qui se chevauchent. Il y maintenant les unités de la police judiciaire qui sont sur le terrain. Au niveau du commandement, (...) ça se fait en tuyau d’orgue, c’est à dire que l’unité de la BAC n’a aucun contact avec les CRS, qui n’ont aucun contact avec les gendarmes mobiles. En fait, on a quelque chose de complètement désorganisé sur le maintien de l’ordre... et on arrive aux catastrophes qu’on a pu voir l’autre jour : à cause de directions et d’ordres complètement aberrants, on arrive à des policiers qui peuvent se faire lyncher par des manifestants. S’ils sont bien dirigés, ce n’est pas possible, sur une unité constituée, d’arriver à un tel cataclysme. A l’heure actuelle, le maintien de l’ordre est très dangereux parce qu’on utilise des unités qui ne sont pas spécialisées. Or ça demande un savoir-faire. (...) [Concernant] les CRS, malheureusement, dans la police nationale, il n’y a pas de budget pour former les gens aux armes dites intermédiaires comme le LBD. Le LBD c’est un tir de cinq balles tous les trois ans, donc autant vous dire que c’est quasiment zéro ! Les gendarmes mobiles, qui sont correctement formés au maintien de l’ordre et aux armes qu’ils utilisent, sont les moins mis en cause. (…)

L’ennemi de l’intérieur. Dérives et dysfonctionnements de la Police nationale — Livre publié par Alexandre Langlois en novembre 2019 aux Editions Talma Studio.

« Avoir un contrôle citoyen de la police nationale permettrait de la transparence, et que les gens qui font n’importe quoi au sein de la police soient sanctionnés. Je prends toujours comme exemple le bon sens citoyen. Les verdicts des Cours d’assises [où une partie du jury est tirée au sort parmi les citoyens] sont en général plus en adéquation avec les attentes de la population que certains jugements qui ne sont rendus que par des juges professionnels. Un contrôle indépendant permettrait en plus de libérer les contrôles en interne. Parce que bien heureusement, la grande majorité des policiers veut faire son travail correctement et sans déviance ; mais pour le moment, ils ont peur de leur hiérarchie, peur des sanctions, peur du harcèlement moral au travail. Et le fait de savoir que ce n’est plus leur hiérarchie qui contrôle l’organe qui peut les sanctionner derrière, permettrait de libérer la parole et justement de faire le nettoyage en interne des brebis galeuses (…) Ce serait la première chose à faire (…)

« Je pense qu’il y a une volonté de décrédibiliser la police, de décrédibiliser les mouvements sociaux et d’opposer la police à sa population par tous moyens. Et je pense qu’on a passé une étape avec les images qui ont tourné récemment, avec Michel Zecler molesté par des policiers. Je pense qu’il y a une volonté dans le commandement de la préfecture de police d’envoyer des policiers se faire lyncher pour avoir des images. On est dans une guerre d’images qui mettent en danger les policiers. Car je le rappelle : si un maintien de l’ordre est fait correctement avec les équipements, etc., il n’y a aucune raison qu’un policier puisse se faire lyncher. Donc soit c’est une incompétence crasse – à ce moment là j’aimerais qu’il y ait des gens qui se fassent virer dans la hiérarchie – soit c’est de la manipulation médiatique (…) Sur la finalité je ne la connais pas. Je laisse un indice [à nouveau] : dans la loi qu’ils sont en train de passer, ils mettent dans la sécurité privée de plus en plus de missions régaliennes de l’État. Pourquoi ? Il y a des réponses assez pratiques. Ça a déjà été fait sur un maintien de l’ordre par une boîte de sécurité privée. (…) A l’époque en 2015, c’était sur un terrain privé : les gendarmes assuraient la sécurité publique à l’extérieur et ils n’ont pas bougé d’une oreille. Mais ceux de la boîte de sécurité privée sont arrivés avec des battes de base-ball, des casques de moto, et s’en sont donnés à cœur joie ; car leur intérêt n’était pas l’intérêt général, mais de faire plaisir à leur employeur. Donc ce que la loi prépare, c’est que les gens riches pourront avoir une sécurité pour surtout avoir des milices, qui pourront obéir au doigt et à l’œil. (...)

Suite à la mort de Georges Floyd : quid des techniques de combat particulièrement musclées dans la police en France ?

« En France, [elles existent] dans les unités spécialisées qui interviennent sur des théâtres très spécifiques, comme le RAID [Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion] ou le GIPN [Groupe d’Intenvention de la Police Nationale], qui sont là pour lutter contre le terrorisme. Dans les unités de police normales, non. Il y a même eu un débat sur la clé d’étranglement qui était l’une des méthodes les plus violentes qu’on pouvait avoir en position de corps à corps – sachant que la clé d’étranglement a été une fois de plus mal expliquée à la grande population. Effectivement ça peut tuer – ça a été le cas pour (...) certaines personnes – mais ça peut être utile aussi. Donc une fois de plus, ce n’est pas un problème de technique, c’est un problème de formation et d’encadrement ; et de quand l’utiliser. Et derrière, si elles sont mal utilisées, c’est la question de quelles sanctions pour ne pas que cela se reproduise. J’ai un collègue qui m’a dit : « Sans cette clé d’étranglement, j’étais face à un gars qui mesurait 2 mètres de haut, qui était un tas de muscles, et qui était sous krach. Je pouvais lui donner des coups de pied, des coups de poing, il était insensible à tout. J’ai pu, grâce à la clé d’étranglement, le sonner 5 minutes et le maîtriser. » (…)

(...)

Et le renseignement dans tout ça ?

« Le renseignement est fait de plus en plus pour un contrôle social et à des fins politiques. Les renseignements généraux ou le service qui en a pris la suite, le renseignement territorial, ne faisait plus de politique depuis 1995. C’était une bonne chose (…) [Mais] M. Macron maintenant demande régulièrement aux services du renseignement territorial d’interroger les contacts qu’on peut avoir pour savoir ce que la population pense de ses discours ! (…) C’est pas du tout le rôle de la police nationale : on doit être au service de tout le monde et pas d’une telle ou telle personne !

«  Le renseignement devient également administratif  : on a des notes blanches qui reviennent, des décisions de Justice qui sont prises sur des choses qu’on ne transmet pas, donc ça pose le problème du droit à la défense. Il y a plein de choses sur ce renseignement qui posent problème. Le renseignement devrait être une première étape, sur les choses sur lesquelles on n’a pas d’élément probant, pour pouvoir se renseigner et surveiller, afin d’éviter des drames par la suite – et si jamais les éléments tombent, cela devrait passer dans le giron judiciaire pour que ces personnes soient jugées. (…) [Or] le renseignement est en train de glisser vers des choses pas très propres.

«  L’autre chose, c’est qu’il y a des gens qui se servent de leur carnet d’adresses, qui ont placé leurs successeurs, comme le montre l’affaire du Skal. C’est pour ça qu’ils sont embauchés par des boîtes privées, ce n’est pas pour rien ! C’est honteux : ce sont des services de l’État qui sont mis au service de boîtes privées. Le pire, c’est que ça a été légalisé en disant : l’État met ses services de renseignement au service de grosses boîtes privées dans l’intérêt de la défense des intérêts stratégiques et économiques de la France ! C’est à dire que les gros groupes français vont avoir les services de la DGSI (du renseignement territorial à moindre échelle), et les plus petites structures en France ne les auront pas. Donc ça permet des concurrences déloyales, d’écraser les plus petits, et sans aucune facture, sur des groupes qui sont à l’international et qui des fois n’ont de français que le nom parce qu’il payent leur impôts ailleurs, etc. (…)

« (…) Pour lutter contre Daesh, il y avait des [Français] qui étaient partis [en Syrie] pour lutter avec les Kurdes. Donc ça veut dire qu’ils sont revenus en France avec des techniques de guérilla, de combat, et si jamais ils voulaient, ils pouvaient faire des dégâts chez nous. Il n’y a eu aucun suivi des services de renseignement  : ils sont rentrés en France comme dans du beurre, et personne n’a même pensé à leur demander comment ça s’était passé là-bas… ne serait-ce que pour faire un débriefing sur Daesh ! (…)

A propos des enquêtes sur la mafia du blanchiment d’argent

« Les brigades et les gens qui sont sur les dossiers de blanchiment d’argent et d’affaires financières, leurs effectifs se sont vus réduits. Donc ça donne une idée de l’orientation politique : moins il y a de fonctionnaires, moins il y a de chances que ça aboutisse. Qu’ils soient noyés sous la masse, a priori c’est le projet (…) La dernière fois que j’avais regardé, c’était à peu près il y a six ans : ils avaient divisé par deux les effectifs des brigades, en disant : « On a besoin de vous ailleurs, travaillez sur d’autres sujets, ça prend beaucoup de temps, c’est trop compliqué, etc ».

Bureaucratie contre super flics

« Les super flics, on en a encore, mais le problème c’est qu’ils se prennent des bâtons dans les roues. Nous avons remplacé les flics par des bureaucrates, des gestionnaires. La plupart des commissaires sont des gestionnaires de service, ce ne sont plus des « flics ».

« Et c’est aussi une différence avec la gendarmerie : chez nous, on peut être commissaire à 23 ans, on peut être directeur de la police nationale sans avoir été dans la police – ce qui était le cas du précédent directeur général de la police nationale, M. Morvan, qui a fait sa carrière dans la préfectorale. Alors que dans la gendarmerie, pour devenir général, on a commencé sur le terrain en tant que lieutenant.

«  Ensuite, comme c’est le politique du « pas de vague » et du chiffre – donc faire du petit stup, (...) des choses qui rapportent au niveau des statistiques – , il y a en a assez peu qui ont de l’intérêt pour l’intérêt général des Français. (…) Les policiers ont envie d’avoir des Napoléon au pont d’Arcole, qui montrent l’exemple, qui veulent y aller, qui vont faire du terrain : ils ne veulent plus des bureaucrates, qui, dès qu’il y a un problème, vont faire des rapports administratifs pour nous embêter, nous sanctionner. (…) A l’heure actuelle, le système et la structure de la police nationale française étouffe les flics – et même s’il y en a [des super flics], ils ne peuvent pas s’exprimer, ils ne peuvent pas faire leur travail, et c’est dommageable pour tout le monde.

« Quand on va dans la police nationale, [les jeunes recrues] ne choisissent pas [leur] affectation. On se retrouve où les services ont de la place, où on recrute. Et en général, on se retrouve en Ile de France dans les endroits les moins sympas, parce que personne ne veut y rester ! Et après, soit vous êtes écœuré, soit vous aurez fait des choses qui vous auront fait virer : dans tous le cas ça ne va pas être très encourageant. C’est un mal français : (…) je pense également à l’Education nationale où les plus jeunes profs sont envoyés dans les quartiers difficiles. Alors que justement, pour apaiser les tensions, pour avoir un travail professionnel et bien faire son travail, il faut avoir de l’ancienneté et de l’expérience de la vie !

« En fait, tous les endroits ont besoin de monde, tous les services de police, quasiment, sont en sous-effectifs. (…) Dans la police nationale on n’a pas des postes en fonction de son diplôme, on a des postes par rapport au niveau du concours qu’on veut passer. Par exemple moi j’ai une licence, j’ai passé le concours de gardien de la paix, je suis sorti gardien de la paix, alors que je pouvais passer le concours d’officier. Et il n’y a pas de reconnaissance des compétences dans la police nationale ; malheureusement en général, c’est souvent du copinage (…) C’est une gestion bureaucratique, là encore, des effectifs, ce qui est dommageable par rapport à d’autres services de la fonction publique, où les gens sont utilisés en fonction de leur compétence et pas de leur grade ou du concours qu’ils ont passé. [Par exemple] comme il faut d’abord passer le concours général, les informaticiens de la police ne sont en général pas très bons. [Autre exemple] : pour être dans la fanfare de la police nationale (…), il faut quand même faire le cursus général de la police nationale ! Donc on est sur des aberrations. Dans la police, on a juste le concours qu’on a passé ; et après on peut évoluer en fonction du copinage et des relations qu’on a en interne.

(…)

Pourquoi les policiers n’arrivent pas à organiser une résistance en interne ?

« Un délégué du syndicat auquel j’appartiens avait déjà dit sur un plateau télé : le gouvernement ne tient plus que par sa police – et le présentateur avait failli s’étouffer !

« Quand on parle en interne on s’en prend plein les dents. Et quand on essaie d’organiser la résistance en interne, il faut que ce soit tout le monde et tout de suite. (...) Si jamais il n’y a pas la cohésion complète, qu’est ce qui se passe ? Ce sont les sanctions disciplinaires ou alors des brimades, du type : « Comme tu n’as pas fait ton chiffre ce mois-ci au niveau des contraventions, tu n’auras pas tes vacances en même temps que tes enfants, je vais te les décaler. » Ou : « On va casser ton rythme de travail et s’il y a des rappels ce week-end, ce sera pour toi ! », etc. Au bout d’un moment les gens craquent et rentrent en dépression. Dans la police nationale s’il y a un mal très profond, c’est que les policiers en général ont plus peur du commissaire qui tient un stylo qui peut leur briser leur vie personnelle, que du criminel qui peut les abattre dans la rue. C’est vraiment catastrophique. Parce qu’il y a des gens qui sont capables de faire de belles choses (…)

« La police nationale organise la vie des policiers avec un cycle de travail très compliqué : la plupart des policiers n’ont qu’un week-end sur six, avec jamais les mêmes jours de repos, des horaires décalées – ce qui fait que la vie sociale est compliquée. Finalement, on finit par vivre en vase clos, dont on finit par ne pas vouloir se faire jeter. Du coup la cohésion se fait des fois pour de mauvaises raisons. Ceux qui arrivent encore un peu à être solidaires entre eux, ce sont ceux qui travaillent en unités constituées, c’est à dire les CRS, s’ils arrivent à tomber malades tous le même jour. Mais ça arrive de plus en plus difficilement parce qu’ils ont changé les équipes, ils ont cassé les anciens, pour que ça ne se reproduise plus malheureusement.

(…)

Ministères et propagande

« Le système est de plus en plus répressif mais aussi de plus en plus basé sur la propagande. On va reprendre la question de l’intention de filmer les policiers qui était prévue par l’article 24. En fait, il y a déjà des lois qui existent et qui font que quand un policier est mis en pâture sur les réseaux sociaux, il y a déjà des sanctions qui tombent. Il n’y a encore pas longtemps en 2019, une personne qui avait suivi des policiers du commissariat de Versailles pour les prendre en photo, dans le but annoncé partout de pouvoir les afficher sur les réseaux sociaux, a pris 17 mois de prison. Alors que la nouvelle loi qui doit protéger les policiers n’en propose que 12 ! Donc il y a ce côté propagande et mauvaise connaissance des lois par tout le monde. Parce que le résultat est que si les policiers connaissaient bien les lois, ils se diraient qu’ils sont en train de se fiche de nous avec leurs lois répressives !

« D’autre part et de façon générale, c’est un problème de société : on doit gérer les problèmes qu’on n’a pas à gérer. Je rappelle une intervention de M. Collomb quand on était descendu à Toulouse dans une cité. Il avait dit à une dame : « Faites attention que vos enfants ne tombent pas dans la délinquance ! ». La dame avait répondu : « Moi je veux bien monsieur, mais donnez-leur du travail, on est ici à 40 % de chômage ! ». La police est utilisée pour canaliser et contrôler la misère sociale, plus que pour s’occuper des gens qui ne veulent pas vivre en société ou chasser les criminels et les délinquants. Et [il y a ceux] que l’on ne peut pas poursuivre parce qu’ils sont proches du gouvernement ! (...)

« Quand M. Bernard Cazeneuve était ministre de l’Intérieur, il a vécu les Policiers en colère. C’était à l’époque où nous avons eu des collègues brûlés à Viry-Châtillon dans leur voiture. Tous les policiers sont descendus dans la rue de façon spontanée, et là il a paniqué. Qu’est-ce qu’il a fait ? Utiliser tous les procédés les plus vicieux pour décrédibiliser le mouvement, comme le gouvernement a l’habitude de le faire. D’abord, il nous a mis clé en main un porte-parole qui était affiché d’extrême-droite – avec tout ce qu’il faut pour faire la "Une" de la presse – alors que c’était un agent de sécurité qui n’était plus policier depuis des années ! Ensuite, avec la complicité des syndicats majoritaires, il a dit au mois de décembre : « Rappelez vos troupes, moi je commence à en avoir marre. Tous ceux qui ne sont pas dans les syndicats, qui ne sont pas tamponnés et qui sont en train de faire les malins dans la rue, ils n’auront pas de mutation et pas d’avancement ». J’en veux à M. Caseneuve de ne pas avoir pris en considération la souffrance des policiers, plutôt que de venir voir comment on pourrait réformer la police pour qu’il n’arrive plus que des policiers soient brûlés dans leur voiture. Je rappelle qu’à Viry-Châtillon, [les policiers étaient dans leur voiture] pour surveiller une caméra de surveillance, même pas pour surveiller le trafic !

« Quand on parle avec les collègues, ils citent deux ministres de l’Intérieur qui les ont marqué : Charles Pasqua et Pierre Joxe. Donc ça fait un moment qu’on n’a pas eu quelqu’un qui tient les commandes pour le bien de la police nationale et le bien de la population.

(…)

Conclusion

« La police doit permettre à chacun de vivre le plus librement possible sans aller nuire ou empiéter sur la liberté de son voisin. C’était le but de mon engagement dans la police nationale. (...)

« Le rôle de la police c’est de garantir la liberté de chacun. (…) Bien malin sait ce qui arrivera. Les lois veulent nous faire deviner les intentions des gens : moi je n’aurais pas cette prétention. J’espère qu’il y aura un sursaut : le peuple français est capable de se réveiller quand il est au pied du mur. C’est ce qu’on peut espérer : un sursaut républicain.

« Le débat actuel est malheureux. Ce n’est pas : « Pour ou contre la police ? » mais « On est pour quelle police ? Qu’est ce qu’on veut que la police fasse ? »

L’espoir que j’ai, c’est qu’on arrête d’être dans des monologues mais qu’on soit plus dans le dialogue, l’apaisement ; qu’on puisse trouver des solutions collectives et non des postures, des oppositions, des débats manichéens (…)

« Pour moi le plus bel exemple des décisions de justice, c’est que ce ne sont pas [toujours] les juges professionnels qui donnent les [décisions] les plus cohérentes, mais des fois les Cours d’assises qui sont des gens tirés au sort, mais qui essaient de faire au mieux par rapport à leur vision de la société. (...) »