Visioconférence de l’Institut Schiller

La « Coïncidence des opposés » de Cues et l’immortalité potentielle du genre humain

vendredi 25 décembre 2020

Voici l’intervention de Helga Zepp-LaRouche, fondatrice et présidente internationale de l’Institut Schiller lors de la visioconférence internationale des 12-13 décembre 2020 organisée par cet Institut.

Les auditeurs ont pu découvrir sa contribution lors de la deuxième table ronde qui avait comme thème « Les buts communs de l’humanité. Pour échapper au danger d’une IIIe guerre mondiale ».

Voici également la vidéo de sa présentation suivie d’une transcription.

La « Coïncidence des opposés » de Nicolas de Cues et l’immortalité potentielle du genre humain

Par Helga Zepp-LaRouche.
12 décembre 2020.

Bonjour, bonsoir ou bon après-midi, selon l’endroit où vous vous trouvez.

Lorsque nous avons décidé de tenir cette conférence, peu après le scrutin présidentiel américain du 4 novembre, nous avons en quelque sorte anticipé que ce serait un moment très dangereux de l’histoire, et nous avons choisi comme titre : « Créer un monde fondé sur la raison. »

Cela peut sembler très abstrait, mais cette conférence n’est pas destinée à discuter uniquement de manière académique des questions soulevées. Elle se veut un appel à tous les gouvernements, institutions, élus et personnes de bonne volonté à rejoindre l’Institut Schiller pour organiser une alliance internationale d’individus intervenant dans la situation actuelle, car les solutions sont à portée de main.

Il est tout à fait possible de trouver une issue à toutes ces crises, mais il faut pour cela que les gens s’activent et agissent en tant que citoyens d’une République.

Si l’on regarde le monde tel qu’il est, on peut facilement commencer à désespérer, parce que si vous pensez au dicton : « Ceux que les dieux veulent détruire, ils commencent par les rendre fous », vous en trouvez un écho en de nombreux endroits. On peut également se demander si l’humanité a la capacité morale de survivre, parce que le comportement de nombreuses institutions et de nombreuses personnes semble parfois indiquer le contraire.

Pandémie, famine, faillite et guerre

Cette combinaison de crises est vraiment sans précédent. Permettez-moi d’en évoquer quelques-unes. Prenons d’abord la pandémie. Si elle a été relativement bien gérée en Asie, dans plusieurs pays asiatiques, elle est complètement hors de contrôle aux États-Unis, en Europe ainsi que dans de nombreux pays en développement. Rien que le 10 décembre, le nombre de nouvelles contaminations constatées aux États-Unis a été de 217 729 cas. En une semaine, du 3 au 9 décembre, 16 850 personnes y ont perdu la vie à cause de la Covid-19.

En Allemagne, où la situation avait été relativement bien gérée au début, on rapporte, rien que pour hier, 27 217 nouvelles contaminations et 524 décès en 24 heures. Les différents gouverneurs et le gouvernement évoquent un possible confinement strict, y compris avant Noël et pour le réveillon. Cela n’a pas lieu d’être, car si nos gouvernants avaient adopté des méthodes dont l’efficacité a été amplement démontrée – campagne massive de tests ciblés, recherche des cas contacts, en utilisant la numérisation et la technologie moderne, puis, éventuellement, isolement et mise en quarantaine – la situation aurait pu être maîtrisée.

Une famine de proportions bibliques menace le monde en 2021.

En plus de la crise COVID, et en fait aggravée par elle, nous avons une grave famine qui, selon le Programme alimentaire mondial (PAM) de l’ONU, risque d’atteindre des « proportions bibliques », ce qui signifie que si rien n’est fait pour y remédier, l’année prochaine, on pourrait déplorer la mort de 270 millions de personnes. Une intervention énergique implique une aide alimentaire d’urgence, tout en doublant la production mondiale. Cette démarche s’avérerait également bénéfique à l’agriculture américaine et européenne et à celle d’autres pays avancés.

Ce n’est évidemment que la partie visible de la crise sous-jacente, celle de l’effondrement systémique en cours. Le système financier est désespérément en faillite, et les milliards injectés par la Banque centrale européenne (1850 milliards d’euros, principalement par le biais du PEPP, un programme d’achat d’urgence d’actifs pour faire face à la pandémie) et par la Réserve fédérale (entre 6000 et 7000 milliards de dollars) sont allés sauver, non pas l’économie réelle, mais le système financier spéculatif.

Le Green New Deal

En plus de cet effondrement en cours, il y a l’effort insensé de l’Union européenne pour imposer son Green New Deal. Ses membres se sont réunis hier et ont décidé que la réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, des 40 % initialement prévus, passerait à 55 %. Les États-Unis prévoient la même chose avec le Green New Deal, si Joe Biden devient le nouveau président. C’est pure folie, car cela signifierait affaiblir une économie déjà à l’agonie en concentrant les investissements exclusivement sur les technologies « vertes », rendant ainsi totalement impossible la survie de nos sociétés industrielles modernes.

L’année dernière, le PIB des économies européenne et américaine s’est effondré d’environ 10 % en moyenne, alors que la Chine, par exemple, après s’être très bien remise de la crise COVID, avait déjà, au troisième trimestre, un taux de croissance de 4,9 %, avec en novembre, des exportations en hausse de 25 % en moyenne.

L’hystérie contre la Chine et la Russie

C’est la véritable raison, ou l’une des raisons majeures qui contribuent à cette campagne anti-chinoise absolument hystérique. Car derrière, se profile l’effondrement du vieux paradigme, ce système néolibéral transatlantique qui incarne le soi-disant « système financier occidental ». C’est pourquoi Pompeo enchaîne les discours, provoquant une hystérie anti-chinoise allant bien au-delà du maccarthysme. Ainsi, dans l’État de Géorgie, il vient de déclarer que tout étudiant, tout professeur chinois aux États-Unis est un espion au service de Beijing.

[Marshall S.] Billingslea, l’envoyé spécial du Président pour le contrôle des armements, vient de faire un discours devant l’Institut national de politique publique, où il s’est livré à une attaque en règle contre la Russie et la Chine, déclarant qu’on ne peut pas faire confiance à la Russie en matière de contrôle des armements, que la Chine est responsable du déclenchement de la pandémie de coronavirus dans le monde entier, et que Moscou soutiendrait une doctrine nucléaire, encourageant l’utilisation préventive des armes nucléaires avec sa stratégie d’« escalade pour l’emporter ».

Tout cela n’est que mensonge. Alors qu’il s’agit en fait de sa propre doctrine, l’OTAN prétend que c’est la Russie qui a un plan pour l’attaquer, en comptant sur sa capitulation. Dans son discours, Billingslea a également dit qu’il avait conseillé à l’administration américaine, et au président Trump personnellement, de ne pas reprendre à son compte la déclaration Reagan-Gorbatchev selon laquelle une guerre nucléaire ne peut être gagnée par personne.

C’est pourquoi le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a récemment mis en garde à plusieurs reprises contre l’illusion très dangereuse qu’une guerre nucléaire limitée puisse être gagnée. En effet, comme l’affirment de nombreux experts, notamment la Fédération des scientifiques américains, il ne peut y avoir de guerre nucléaire « limitée », car il est dans la nature même de ce type d’armes qu’une fois qu’on en a utilisé une, toutes les autres suivront.

Billingslea accuse également la Chine de bâtir son arsenal d’armes nucléaires derrière une « Grande Muraille » du secret. En réalité, alors que les États-Unis et la Russie possèdent entre 6000 et 7000 missiles nucléaires, la Chine n’en possède que 290, et avec l’extension de la campagne antichinoise, elle se sent naturellement obligée de renforcer son arsenal nucléaire. Cette dynamique entraîne de toute évidence un durcissement en Chine. Il y a un proverbe allemand qui dit : « Si vous criez dans la forêt, l’écho vous reviendra. » Nous sommes donc dans une escalade extrêmement dangereuse. Maria Zakharova, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, a déclaré que pour les États-Unis, tout cela n’est qu’un prétexte pour moderniser leurs missiles nucléaires à moyenne et courte portée.

Il est ironique que cinq jours seulement avant ce discours délirant de Billingslea, l’administration Trump ait rejeté la demande de la Fédération des scientifiques américains de publier les chiffres de leur stock d’ogives nucléaires, comme ils le faisaient habituellement jusqu’en 2018. Le directeur du département d’information nucléaire de la Fédération, Hans Kristensen, a dit en substance que les accusations de Billingslea contre la Chine seraient beaucoup plus crédibles si les États-Unis révélaient leurs propres chiffres.

Les élections américaines

Nous avons donc une situation inédite sur tous ces fronts. Avec tout ce que nous avons évoqué lors de la dernière table ronde, les événements incroyables aux États-Unis, les cinq années de coups fourrés contre Trump, d’abord en tant que candidat, puis pendant toute sa présidence, le Russiagate, dont on n’a jamais pu apporter la preuve, la procédure de destitution, entièrement basée sur des mensonges, et maintenant, pour finir, la tentative, ou plutôt la fraude réelle lors de l’élection présidentielle, avec la censure incroyable pratiquée par les grandes chaînes de télévision, s’arrogeant le droit de déclarer qui a remporté l’élection, et par les médias sociaux qui censurent les contenus ! La situation échappe vraiment à tout contrôle. C’est pourquoi nous devrions réfléchir et nous demander comment élaborer une approche de pensée différente, parce que je suis convaincue que c’est la question la plus urgente. Or, le titre de cette conférence c’est précisément la « Coïncidence des opposés ».

Je voudrais revenir sur ce que mon défunt mari, Lyndon LaRouche (1922-2019), mettait en avant dans chaque pays où il se rendait : il demandait, aux jeunes en particulier, de réfléchir à l’idéologie particulière qui leur est propre. Pour un Américain, par exemple, il est facile de voir qu’outre Atlantique, les gens pensent différemment dans chaque pays européen ; en Amérique du Sud, c’est encore différent. Mais, quand vous vivez sur place, cela vous échappe ; vous tenez votre comportement pour évident. Lyndon LaRouche est réputé (et vous pouvez le vérifier en lisant ses nombreux livres, ce qui vous occupera pendant un certain temps…) pour son engagement à faire prendre conscience aux gens de leur propre mode de pensée.

La confusion des opinions

De pair avec cet effondrement civilisationnel, nous connaissons une véritable crise de la méthode de pensée. Il règne une grande confusion d’opinions, qui a atteint un niveau critique après l’éclatement de la pandémie : on voit des gens, plus ou moins rationnels jusqu’alors, se lancer dans les interprétations les plus folles et les théories conspirationnistes les plus exotiques pour tenter d’expliquer un phénomène évidemment très effrayant. La plupart des gens ne remettent pas en question le fondement axiomatique de leurs opinions. Ils les considèrent comme des vérités évidentes, des faits établis, comme la seule vérité vraie. Mais si l’on examine ces opinions sur le plan épistémologique, on constate qu’elles sont souvent forgées sur une base nominaliste : on prend juste un mot, puis on se rue à la conclusion, ou sur l’empirisme, le positivisme, tirant alors des conclusions suivant la méthode réductionniste, par pure déduction, ou encore comme si l’on regardait le monde à travers des lentilles concaves. En procédant ainsi, vous projetez l’image de votre propre esprit et de vos propres croyances sur les intentions supposées de l’autre personne.

C’est ce que nous constatons aujourd’hui. C’est typiquement le cas de ceux qui, par exemple, définissent l’intérêt géopolitique supposé – de l’UE, par exemple – par rapport à celui de la Russie et de la Chine. Ou encore ce que l’on voit aux États-Unis, où certains cercles accusent la Chine des desseins impériaux qu’ils promeuvent eux-mêmes.

Or, quiconque étudie honnêtement la question doit reconnaître que le modèle de développement mis en œuvre par la Chine a non seulement éradiqué l’extrême pauvreté chez elle (elle en est venue à bout il y a deux semaines, après avoir sorti, au total, 850 millions de ses citoyens de la pauvreté pour en faire une grande classe moyenne en pleine expansion), mais qu’elle offre également ce modèle aux pays en développement, ce qui vient évidemment perturber les desseins impériaux de l’accusateur…

La Coïncidence des opposés

Le cardinal-philosophe, mathématicien et juriste allemand Nicolas de Cues (1401-1464).

Comme je l’ai dit précédemment, le thème central de cette conférence est le concept de Coincidentia Oppositorum, la « coïncidence des opposés », développé par [le cardinal philosophe allemand] Nicolas de Cues (1401-1464), le plus remarquable penseur de la vie intellectuelle européenne du XVe siècle.

Parmi ses apports majeurs, il fut le premier à poser les principes de l’État-nation souverain moderne, résumés dans son traité De Concordantia Catholica (1432-33), où il énonce pour la première fois l’idée qu’un gouvernement doit exercer le pouvoir avec le consentement des gouvernés et qu’il doit exister une relation de réciprocité entre les gouvernants, leurs représentants et les gouvernés.

Considéré également comme le père de la science moderne, il élabora une méthode de penser, de concevoir quelque chose d’entièrement nouveau, dont il était parfaitement conscient que personne n’en avait eu l’idée avant lui. C’est cette méthode qui sous-tend tous les écrits philosophiques et économico-scientifiques de mon mari, Lyndon LaRouche, ainsi que sa conception de l’économie physique.

En résumé, elle s’appuie sur l’idée que la raison humaine est capable de définir une solution à un niveau complètement différent et plus élevé que celui auquel sont apparus les problèmes et les contradictions. Elle traite de la capacité à penser un « Un » d’une magnitude et d’une puissance plus élevées que le « Multiple ». Dès lors que vous aurez entraîné votre esprit à penser de cette façon, vous détenez la clef infaillible pour accéder à la créativité, et cette méthode s’applique à pratiquement tous les domaines de la pensée.

Le Un est cause, le sujet majeur opposant Platon à Aristote. Eau-forte de 2014 de Karel Vereycken à partir de l’oeuvre de Luca della Robia au Dôme de Florence.

Pour avoir une idée approximative de ce que peut être cette « coïncidence des opposés », il faut commencer par rejeter la méthode aristotélicienne. En effet, pour Aristote, « si une chose est A, elle ne peut être B en même temps ». Mais la « coïncidence » n’est pas non plus : A plus B, divisé par 2, ou tout autre formule algébrique ou arithmétique.

Nicolas précise son concept dans plusieurs de ses écrits, mais de façon plus poussée dans son De Docta Ignorantia (De la docte ignorance, 1440), qui fut aussitôt attaqué par Jean Wenck, un professeur et scolastique de Heidelberg, dans un écrit intitulé De Ignota Litteratura (De l’ignorance des lettres). Ne l’ayant reçu que quelques années plus tard, Nicolas lui répond avec un petit texte que je vous recommande à tous de lire, intitulé Apologia Doctae Ignorantiae (Apologie de la docte ignorance, 1449), dans lequel il déplore que la tradition aristotélicienne, prédominante à l’époque, considère la « coïncidence des opposés » comme une hérésie, puisque cette école rejette totalement cette approche comme étant radicalement opposée à la sienne. Or cette démarche était réellement de nature oligarchique, même si Cues ne le dit pas. Pour lui, ce serait donc un miracle, et même une transformation complète de leur école de penser, s’ils abandonnaient Aristote pour se tourner vers une perspective plus élevée.

Contrairement à la méthode aristotélicienne, qui s’enlise dans le conflit entre les multiples contradictions, la vision de la coïncidence des opposés regarde le processus d’un niveau supérieur, comme l’a montré la petite vidéo que vous avez vue au début [dans le panel 1], dans laquelle j’insiste sur la nécessité de publier la collection des œuvres de Lyndon LaRouche. L’approche qui caractérise « la coïncidence des opposés » peut être comparée au fait de regarder les événements du haut d’une tour : vous voyez à la fois le chasseur, le gibier et le déroulement de la chasse. Cela vous donne un point de vue complètement différent que si vous étiez le chasseur ou le gibier, évoluant au niveau du sol.

Mais se hisser à ce niveau de pensée demande un immense effort, une tension de l’esprit. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut démarrer en appuyant sur un bouton, c’est un combat intellectuel. Mais une fois que vous y êtes parvenu, vous vous donnez le pouvoir d’accéder à des zones de la pensée qui, autrement, vous resteraient complètement fermées. Nicolas se réfère à la façon dont des penseurs comme Ibn Sina (Avicenne) ont eu recours à la « théologie négative » afin de faire perdre à l’esprit l’habitude de s’accrocher aux simples certitudes fournies par les sens.

A gauche, Parménide, visiblement en désaccord avec Platon (à droite), ici dans l’Ecole d’Athènes de Raphaël.

Cependant, l’argument le plus intelligent, selon Cues, est celui de Platon dans le dialogue du Parménide (peut-être le plus difficile, pour ceux qui ont du mal avec les dialogues de Platon). Parménide d’Elée (VIe siècle av. JC) était le chef de file de l’école éléatique, un courant de pensée totalement réductionniste. Cette école enseignait que l’on ne peut atteindre l’essence des choses que par la pensée, et non par quoi que ce soit se rapportant à la matière, mais que cette essence doit être d’une stricte simplicité, sans aucune multiplicité ni diversité – et surtout, sans aucun changement ni mouvement. Pour Parménide, la multiplicité suggérée par les sens et le changement qu’elle implique ne sont que des apparences. Elles sont illusoires, ce qui fait que toute diversité et tout changement ne peuvent appartenir à l’essence des choses, ni y participer.

Dans son dialogue, Platon attire l’attention de Parménide sur le paradoxe flagrant de sa pensée, à savoir qu’il a laissé de côté le principe du changement. Or, dans la tradition établie par Platon, le « changement » n’est pas l’extension linéaire d’un espace euclidien, mais l’enchaînement continu d’actes originaux de découvertes axiomatiques et révolutionnaires, conduisant à un ensemble imbriqué de découvertes de principes physiques universels, qui approfondit notre connaissance de l’univers physique et perfectionne les pouvoirs créateurs de tous les individus à qui ce progrès est transmis. Pour Nicolas, cette éducation permet à chacun de recréer dans son esprit l’évolution de l’univers entier jusqu’à ce moment donné.

C’est la correspondance entre ce microcosme de l’esprit et l’ensemble du macrocosme, c’est-à-dire l’univers, qui donne à chaque être humain le potentiel de prévoir exactement quelle devrait être la prochaine découverte nécessaire à la poursuite du processus légitime de création.

C’est particulièrement important, car cela rejoint le concept de « potentiel relatif de densité démographique » (PRDD) élaboré par LaRouche, tout en établissant un critère plus précis concernant cette prochaine découverte absolument nécessaire.

Pour Platon, chaque découverte individuelle résulte d’une découverte adéquate, c’est-à-dire que l’esprit humain peut la générer « intuitivement », et c’est pourquoi Einstein souligne que « l’imagination est plus importante que la connaissance. Car la connaissance est limitée, alors que l’imagination embrasse le monde entier, stimulant le progrès, donnant naissance à l’évolution ».

Platon répond donc à Parménide par sa notion ontologique du « devenir », en tant que capacité continue de l’esprit humain à générer de telles hypothèses, ou « l’hypothèse de l’hypothèse supérieure », dans laquelle ce changement global est le Un, englobant le Multiple à un niveau supérieur.

Quadrature du cercle

Nicolas de Cues a su dépasser la méthode d’Archimède pour tenter de carrér le cercle.

Cette méthode de pensée fut utilisée par Nicolas pour résoudre un problème qui privait de sommeil tant de penseurs et de mathématiciens depuis les temps anciens : la « quadrature du cercle ».

Le mathématicien grec Archimède avait tenté de résoudre le problème par la méthode de l’épuisement, en inscrivant et en circonscrivant des polygones dont le nombre de cotés se multipliaient à l’infini, à l’intérieur et à l’extérieur d’un cercle. L’hypothèse, erronée, est que les périmètres des deux polygones finiraient par coïncider avec la circonférence du cercle. Certes, de cette façon, Archimède finit par trouver une approximation utilisable du nombre pi, mais en réalité, le problème n’était pas résolu pour autant. Or, comme le souligne Cues, plus un polygone comporte d’angles, plus sa nature s’éloigne du cercle !

Il a fallu la méthode de pensée révolutionnaire du Cusain pour résoudre le problème de la quadrature du cercle, en précisant qu’un cercle ne peut être construit par une géométrie basée sur l’hypothèse axiomatique de points et de droites évidents, mais qu’il faut appliquer une géométrie axiomatiquement différente, l’action circulaire remplaçant l’hypothèse euclidienne évidente du point et de la droite.

Le « principe isopérimétrique », comme on l’appelle, de la primauté du cercle, indique clairement que si, à partir du cercle on peut fabriquer un polygone, l’inverse est impossible. Nicolas fournit ainsi la preuve formelle qu’il existe une différence entre le domaine des mathématiques, limité aux commensurables, et celui, complètement distinct, des incommensurables.

Par ailleurs, cette progression entre la compréhension de la quadrature du cercle par Archimède, et celle, supérieure, du Cusain illustre le rôle de la découverte par l’homme d’un principe universel préexistant et sa transformation en potentiel, un potentiel échappant jusqu’alors au champ de la connaissance humaine, mais se « réalisant » à travers l’acte de découverte par l’homme.
C’est ce processus continu de découverte, ontologiquement primaire, c’est-à-dire le Un, qui a la primauté sur le contenu de tous les multiples et de chacun d’eux.

Bernhard Riemann (1826-1866), dont la méthode scientifique s’est prêtée à désigner « le modèle économique LaRouche-Riemann », élabora la même idée dans un écrit, Zur Psychologie und Metaphysik (A propos de la psychologie et de la métaphysique), décrivant l’âme humaine comme un corps compact d’idées étroitement et multiplement connectées, les Geistesmassen (notion qui avait déjà été développée par Johann Friedrich Herbart (1776-1841)) ou « objets-pensée », comme LaRouche les a baptisées.

Chaque nouvelle Geistesmasse, ou idée, entre en résonance avec toutes celles accumulées précédemment et interagit réciproquement avec elles, d’autant plus qu’il existe une affinité intérieure entre elles. Riemann affirme aussi que ces Geistesmassen compactes continuent d’exister, même après la mort de la personne qui les a créées, et font partie de ce qu’il nomme « l’âme » de la Terre.

C’est essentiellement la même idée que celle formulée par Vladimir Vernadski (1863-1945), lors d’une conférence à Paris en 1925, où il décrivit l’espèce humaine et l’esprit humain collectif comme une « force géologique » dans l’univers.

Vernadski insiste sur le fait que toute l’histoire de l’univers prouve que la Noosphère (l’ensemble du domaine façonné par l’activité de la raison humaine) va dominer de plus en plus la Biosphère. Et c’est ce caractère anti-entropique de la créativité de l’esprit humain, en tant qu’élément le plus avancé de la force motrice de l’univers, qui justifie l’optimisme quant à l’avenir de l’humanité.

Il implique que de plus en plus d’hommes, de toutes les nations et cultures, seront capables de s’élever au-dessus du niveau infantile de la certitude des sens et de surmonter les traditions idéologiques défaillantes, telles que l’école rhétorique du sophisme, qui ne s’intéresse pas à la vérité, mais à la victoire de telle ou telle affirmation que le sophiste aura envie d’énoncer pour promouvoir son ego.

Ce concept de « coïncidence des opposés » peut s’appliquer à la situation stratégique actuelle et, en fait, à tous les domaines de la connaissance humaine. L’intérêt de l’humanité, si vous le définissez, non pas comme celui des hommes vivant aujourd’hui, dans l’ici et maintenant, mais en prenant en compte l’intérêt des générations futures, est l’idée que l’on retrouve dans le préambule de la Constitution américaine : ce n’est pas seulement le présent, mais les générations futures qui doivent être servis par le bien commun et, à l’heure où nous parlons, le monde entier, avec toute sa population.

Pour bien comprendre ce que cela signifie et comment cette théorie s’applique à la situation mondiale actuelle, voyez chaque nation comme un microcosme, en ayant à l’esprit que, comme pour Nicolas de Cues, la paix dans le macrocosme n’est possible que si chaque microcosme atteint son développement optimal, chacun considérant le développement de tous les autres comme de son propre intérêt.

On ne se situe donc pas du point de vue de l’intérêt géopolitique d’une nation ou d’un groupe de nations, contre l’intérêt supposé de tous les autres, mais selon une conception bien différente, en rejetant la méthode aristotélicienne de la contradiction.

Ainsi, si l’on tient pour ontologiquement premiers les concepts de « changement » et de « devenir » de Platon, alors le développement de chaque microcosme peut être vu comme faisant partie d’une composition musicale contrapuntique, par exemple une fugue, où chaque note et chaque idée contribue au développement ultérieur de toutes les autres.

Il existe des exemples probants, donnant une idée approximative de la façon dont cela peut être fait. C’est le cas de la coopération internationale pour ITER, le réacteur expérimental de fusion thermonucléaire de Cadarache, en France, impliquant 34 nations qui profitent chacune des découvertes des autres.

C’est tout aussi vrai pour la recherche dans le domaine spatial. Nous avons actuellement trois missions passionnantes vers Mars, qui arriveront dans quelques semaines sur la planète rouge. Ne serait-il pas logique d’unir les efforts de recherche ? Car la question n’est pas de savoir qui sera le premier à planter son drapeau sur Mars, ou qui y enverra la première femme ou le premier homme, mais de comment conquérir le système solaire pour le rendre habitable par l’homme.

La taille de notre système solaire dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Avez-vous récemment levé les yeux, par exemple, vers les étoiles, la Voie lactée, et au-delà de notre galaxie, qui n’est que l’une des deux milliards découvertes jusqu’à présent par le télescope Hubble ?

Il suffit de penser à l’existence de l’humanité à long terme. Si l’humanité existe depuis quelques millions d’années, selon nos connaissances historiques, en réalité nous en savons un peu sur les 5000 dernières années, un peu plus grâce à l’archéologie, mais ce n’est vraiment qu’une très courte période.

En fin de compte, voulons-nous que l’humanité soit une espèce immortelle, ou simplement l’une de ces nombreuses espèces qui vont et viennent, et disparaissent à chaque fois que se produit une grande extinction ? Qu’importe ! L’évolution crée alors d’autres espèces dotées d’un métabolisme plus poussé, peu importe donc si l’humanité disparaît dans le processus. Eh bien, je ne suis pas d’accord. Parce que, pour moi (et quoi que nous puissions découvrir dans l’immensité de l’univers, s’il existe une autre vie intelligente quelque part), l’humanité est absolument unique. A ce jour, nous sommes la seule espèce réellement créative qu’on ait découverte !

Dans quelques milliards d’années, le Soleil cessera de rendre vivable notre Terre. Les vols habités et l’exploration spatiale deviendront alors une question de survie pour notre espèce. Or, cette exploration ne sera possible que si nous cessons de nous comporter comme des enfants, comme des gamins qui se donnent des coups de pied dans les tibias, et que nous développons tout notre potentiel, en coopérant avec d’autres humains, d’autres cultures, pour accomplir le destin à long terme de l’humanité : celui d’être l’espèce capable de susciter consciemment le changement dans l’univers, accomplissant ainsi son véritable destin en tant qu’espèce.

Je pense que c’est à nous de réaliser cette transformation, et de nous sortir ainsi de cette crise, vivants et heureux.