Christine Bierre au Beijing Review :
« Xi Jinping appelle les intellectuels chinois à quitter leur tour d’ivoire »

mercredi 3 février 2021, par Christine Bierre

C’est avec plaisir que j’ai répondu à l’invitation de la Beijing Review [1] de faire une recension du Tome III de La gouvernance de la Chine paru en juin dernier, qui rassemble des discours importants du Président Xi Jinping sur le « Socialisme aux caractéristiques chinoises ».

« Propagande », diront nombre de Français, soumis tous les jours au matraquage anti-chinois qui nous vient d’Outre-Atlantique.

Eh bien, regardons les choses en face ! En cette deuxième décennie du XXIe siècle, contrairement à la situation calamiteuse dans nos pays occidentaux, la Chine a battu plusieurs records mondiaux : elle a mis fin à la pauvreté extrême ; elle a été la première à poser un engin sur la face cachée de la lune ; et le 4 décembre, elle a mis avec succès son réacteur expérimental à fusion nucléaire en service, une percée très importante dans la domestication de cette source d’énergie qui pourrait combler tous les besoins en énergie de l’humanité pendant les siècles à venir !

Nous aussi, hélas, nous avons battu des records... du nombre de chômeurs, des faillites d’entreprises, de chute dans les classements internationaux de l’enseignement, des morts du COVID... Il est donc urgent que nous nous ressaisissions et pour cela, que nous découvrions l’approche chinoise, car son approche est aussi celle qui nous a réussi dans la période des Trente Glorieuses.

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Prenons d’abord ce discours très intéressant, intitulé « Toujours placer le peuple en premier », du 20 mars 2018. N’est-ce pas tout à fait approprié à notre situation où la révolte des Gilets Jaunes est entrée dans sa troisième année, sans que rien ne change ? Le président Xi Jinping y rappelle d’abord à tous les responsables politiques de son pays de « toujours mettre le peuple à la place la plus haute » et de toujours servir « corps et âme… ses intérêts et son bien-être ».

« Ce sont les peuples qui créent l’histoire » , dit-il, remontant au berceau même de la civilisation chinoise. Chez les grands penseurs d‘abord, les Lao Tseu, Confucius et Mencius, comme il le précise. Puis, dans les découvertes scientifiques qui ont profondément influencé le progrès de la civilisation humaine : le papier, la poudre à canon, l’imprimerie, la boussole. Outre les chefs d’œuvres littéraires des dynasties des Han, des Tang et des Song, les Chinois ont excellé aussi dans les projets monumentaux que l’on peut encore admirer, notamment la Grande Muraille, le système d’irrigation et de contrôle des inondations de Dujiangyan, le Grand Canal et la Cité interdite.

Des pages d’histoire qui ne sont pas enseignées de façon monocorde, comme pourraient le faire chez nous des enseignants qui, mal payés et déconsidérés, finissent par perdre un peu la flamme de leur mission. « Cet esprit de la nation chinoise, dit Xi Jinping, est maintenu frais et vivant à travers l’histoire par le peuple chinois qui le cultive. »

Le président Xi souligne aussi avec raison « l’importance d’une culture populaire qui puisse être source d’inspiration » et notamment « les rêves et les mythologies », qui nourrissent l’idéal du peuple chinois « de vivre dans la prospérité tout en servant le bien commun » et de « réaliser de grandes choses ». Parmi ces mythologies connues de tous : « Pangu créant le monde, Nüwa qui répare le ciel ; Fuxi dessinant les 8 trigrammes, Kuafu poursuivant le soleil, Jingwei remplissant les mers, Yugong déplaçant les montagnes. »

Après ces remarques introductives, voici la suite de ma revue pour la Beijing Review :

Réduction de la pauvreté

Mais la vie n’est pas qu’un rêve et la Chine est aussi très pragmatique ! Malgré ses percées, c’est un pays qui vient juste de passer le cap de la sortie de la pauvreté extrême et qui se donne encore trente ans pour être pleinement développé. Dans ce contexte, j’ai apprécié les discours du président chinois consacrés aux programmes de réduction de l’extrême pauvreté, discours qu’on souhaiterait entendre aussi dans la bouche de nos dirigeants occidentaux.

Le président Xi est tout à fait qualifié pour en parler car, à la suite de son père, il a joué un rôle pionnier pour l’amélioration de ces programmes lorsque, jeune secrétaire du Parti communiste, il avait été nommé à Xiamen, puis dans le canton de Ningde, dans le Fujian, des zones d’une grande pauvreté devenues florissantes depuis. Dans son discours de février 2018, il rapporte qu’entre 2012 et 2017, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté en Chine est passé de 98,99 millions à 30,46 millions !

M. Xi explique aussi que le succès durable de ces programmes tient tout d’abord au fait que les régions pauvres ont reçu l’aide de « premiers secrétaires » du PCC déployés sur place avec des équipes chargées d’identifier les problèmes et de mettre en pratique les solutions. En 2018, pas moins de 195 000 « premiers secrétaires » du PCC y ont été affectés, assistés de 775 000 techniciens. Autre condition du succès : l’utilisation de toutes les ressources sur place et la création de secteurs et d’entreprises, notamment dans le tourisme, les technologies photovoltaïques et l’e-commerce.

Le transfert des populations des zones très inhospitalières vers des lieux offrant de meilleures perspectives économiques, ainsi que le développement des infrastructures routières, ferroviaires, fluviales, ont joué aussi un rôle important pour désenclaver ces territoires et offrir des services publics, sans lesquels rien n’aurait été possible.

Enfin, ce sont en grande partie les financements groupés de l’Etat, l’association entre provinces riches de l’Est et zones défavorisées à l’Ouest, ainsi que les contributions des entreprises privées et publiques, qui ont permis de venir à bout de la pauvreté extrême. Le budget annuel de l’État alloué à cette tâche a cru de 22,7 % par an pendant cette période.

L’âme de la nation

Le président Xi Jinping évoquant souvent la nécessité de créer une Chine non seulement prospère, mais belle, j’ai cherché à comprendre sa conception de l’art et des choses de l’esprit. Aussi parce que la présidente de l’Institut Schiller, Helga Zepp-LaRouche avec qui je collabore en France, nous a toujours appris, que pour Friedrich Schiller, ce grand poète, dramaturge et philosophe allemand, la beauté esthétique était la porte d’entrée des populations vers la Raison.

Dans son discours « Une nation ne peut pas ne pas avoir d’âme », Xi Jinping est catégorique : « Toutes les entreprises de l’esprit, la littérature, les arts, la philosophie et les sciences sociales, sont en premier lieu des créations de l’âme indispensables et avant tout, elles ne doivent jamais s’égarer ».

Pour lui la nouvelle ère que vit la Chine nécessite « des écrivains, des artistes et des théoriciens exceptionnels » pour en parler. Le président chinois appelle les intellectuels à quitter leur tour d’ivoire et à centrer leur art, lui aussi, sur le peuple. « La prose et la poésie sont composées pour refléter leur époque et leur temps », non pour s’y complaire, ajoute-t-il, mais pour mieux savoir comment continuer à aller de l’avant. « Nous devons créer des chefs d’œuvre pour le peuple ».

Les grands écrivains et chercheurs « ne doivent pas se donner de grands airs... mais produire des travaux d’excellence » !

Le président Xi prend en exemple des œuvres de Confucius et de Mencius, de Platon et de Shakespeare, et martèle son message, disant que « ceux qui cherchent des raccourcis et des bénéfices immédiats ne pourront pas devenir de grands maîtres ». Il secoue ensuite ces créateurs, leur rappelant les célèbres « Commentaires de Zuo » sur les Annales des Printemps et des Automnes, l’un des classiques du Confucianisme : 

Le plus grand accomplissement est de devenir un exemple de vertu ; le deuxième, de réaliser de grands mérites ; le troisième, de transmettre sa doctrine.

Dans le domaine de la politique, mais avec la même exigence qu’un Léonard de Vinci ou qu’un Beethoven avant lui, il rappelle aux artistes leur responsabilité sociale :

[Les créateurs] ont la responsabilité d’inspirer les esprits, d’embellir les caractères et de réchauffer les cœurs. (...) En tant que personnalités célèbres, on attend de vous que vous soyez un exemple pour la société, avec des aspirations élevées, une moralité solide et des sentiments nobles, souligne-t-il. Et d’ajouter qu’il faut résister à la Triple vulgarité que sont immoralité, bassesse et « kitsch ».

Voilà autant de raisons de souhaiter une coopération entre nos pays et la Chine.

(Recension originale en anglais)


[1La Beijing Review est un hebdomadaire chinois publié en anglais, mais aussi en français, en chinois, en allemand et en japonais et diffusé dans 150 pays