Pour combattre Mario Draghi en Italie : coulons le Britannia !

mardi 16 février 2021

Chronique stratégique du 16 février 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

L’arrivée au pouvoir du banquier Mario Draghi renvoie l’Italie aux heures sombres des années 1990, à l’époque où le saccage du pays était planifié sur le « Britannia », le yacht d’Elizabeth II. Compte tenu du rôle de laboratoire conféré depuis 30 ans à l’Italie en matière de réformes néolibérales, ces développements en disent long sur la thérapie de choc (verte) que l’oligarchie financière mijote pour les pays de l’Union européenne. Y compris pour la France, où elle espère voir Macron triompher en 2022, grâce à la contribution de sa meilleure ennemie Marine Le Pen – elle-même amie de Matteo Salvini, qui vient de s’allier à Mario Draghi…

Le 12 février, le banquier fils de banquier Mario Draghi, ancien gouverneur de la Banque centrale européenne (BCE), a présenté son gouvernement censé sauver l’Italie. Face au verdict général de faillite de la précédente coalition gouvernementale, Draghi a obtenu un chèque en blanc de la plupart des factions politiques au Parlement italien, afin de mettre en œuvre la politique de « Great Reset » vert préconisée par Bruxelles — du Parti démocrate de Matteo Renzi à la Lega de Matteo Salvini, en passant par Forza Italia de Berlusconi. Du côté du parti « anti-système » M5S (Mouvement des cinq étoiles), son fondateur Beppe Grillo s’est félicité, au sortir de son entrevue avec Draghi, de voir « l’un des nôtres » arriver au pouvoir, et Luigi Di Maio s’est parfaitement accommodé de son maintien au poste de ministre des Affaires.

Beaucoup se sont étonnés de cette nouvelle histoire d’amour entre Salvini et Draghi. Que penser de cette reconversion pour l’UE, en compagnie d’un homme qui, alors qu’il était vice-président de Goldman Sachs en Europe, fut le fossoyeur de la Grèce ?... Des esprits mal placés y trouveraient toutefois une cohérence avec la trajectoire suivie en France par le « Rassemblement national » de Marine Le Pen, qui cherche, en vue de la présidentielle de 2022, à se refaire une image de prétendante « raisonnable » à l’Elysée – en délaissant le souverainisme pour revenir à l’identité historique du FN, c’est-à-dire un national-libéralisme compatible avec la ligne européenne…

« Je préfère m’impliquer et gérer 209 milliards plutôt que rester en dehors », se défend Salvani. Il faut dire qu’une partie du patronat italien en Lombardie et en Vénétie, qui constitue une base électorale pour la Lega, pense d’abord à ses intérêts. Et comme l’explique le Pr. Farro, « l’argent qui va arriver de Bruxelles dans le cadre du plan de relance extraordinaire a poussé les chefs de partis à composer car ceux qui ne seraient pas entrés au gouvernement n’auraient pas participé à l’opération qui va remettre le pays sur le rail ». On comprend mieux alors la conversion du ligueur aux convictions pro-européennes de Mario Draghi, qui lui a permis de propulser l’un des siens, l’économiste Giancarlo Giorgetti, à la tête du ministère du Développement économique ; d’autant que ce ministère devra jouer un rôle clef dans le plan de relance.

Greta Reset et destruction créatrice

Après Carlo Azeglio Ciampi (1993) et Lamberto Dini (1995), voici donc qu’un banquier central s’empare de nouveau de la présidence du Conseil italien. Après le gouvernement Monti, imposé en 2011 par le gouverneur de la BCE – un certain Mario Draghi —, l’Italie fait de nouveau office de laboratoire d’essai pour l’oligarchie financière qui, soucieuse de maintenir la pyramide de Ponzi globale, espère y appliquer in vivo sa politique d’austérité drapée de vert.

Le gouvernement présenté le 12 février par Draghi a en effet les allures d’une « dream team » du Great Reset et du Green New Deal si cher à Christine Lagarde, Ursula von der Leyen et leurs amis de Wall Street et de la City de Londres. Outre le ministre des Finances Daniele Franco, pur produit comme lui de la Banque d’Italie, Draghi a nommé comme ministre des Transports et des Infrastructures Enrico Giovannini. Ce membre du très malthusien Club de Rome est l’homme qui avait accompagné Greta Thunberg à Rome en 2019, pour son audition devant le Sénat italien. Giovannini a récemment co-écrit un manifeste pour le Great Reset, dans lequel il prétend que le plan de transition verte de la Commission européenne s’inscrit dans la continuation New Deal de Franklin Roosevelt.

Par ailleurs, le poste de super-ministre de « la Transition écologique, de l’Environnement et du Plan de reprise », modelé sur le ministère français de la Transition écologique, a été confié au physicien Roberto Cingolani. Ce dernier s’est exprimé récemment en faveur de la réduction de la production et de la consommation de viande pour réduire l’impact de l’élevage sur le changement climatique. Ironisant sur l’intitulé du ministère, le philosophe de gauche Luciano Confora a suggéré que « Draghi devrait plutôt créer un ‘ministère de la Procession des Equinoxes’, puisque c’est la principale cause des réchauffements climatiques ».

Dans une tribune publiée dans le Financial Times, les deux économistes italiens Emiliano Brancaccio et Riccardo Realfonzo ne s’y trompent pas : l’avènement de ce nouveau gouvernement technocrate est bien destiné à soumettre l’Italie à l’austérité budgétaire, ce qui ne fera qu’enfoncer davantage l’Italie dans la crise, comme l’avait fait le gouvernement Monti après 2011. Selon eux, Draghi n’a rien du techno-keynesien qu’on voudrait faire croire. Rappelant qu’il avait appelé les gouvernements à soutenir une « destruction créatrice » favorable au libre-marché dans son récent rapport du G30, ils écrivent : « Ce n’est pas du Keynes, mais une version laissez-faire de Schumpeter ».

Love Britannia

« Le gouvernement Draghi s’inscrit dans la ’Grande Réinitialisation’ annoncée lors du Forum économique mondial, la transformation verte de l’économie mondiale, qui selon Eric Heymann, économiste à la Deutsche Bank, ne sera possible qu’avec une ‘dictature verte’ », explique Liliana Gorini, la présidente de notre parti frère italien Movisol, dans une interview sur Ionoblog. « Une dictature qui impose des coupes drastiques dans la consommation et le niveau de vie, et dans laquelle à terme la politique budgétaire et économique ne devra plus être décidée par les gouvernements, mais par les banques centrales ».

Comme le rappelle Gorini, le « sauveur de la patrie » Mario Draghi était présent en 1992 sur le « Britannia », le yacht de la Reine d’Angleterre, lors de la réunion secrète où furent planifiées l’attaque spéculative sur la lire et la vague de privatisations qui s’en est suivie. En présence de grands noms de la banque et de la finance de Londres, d’Elizabeth II en personne, et des grands patrons italiens, Draghi, qui était à l’époque ministre du Trésor, avait signifié que l’Italie était prête à brader ses fleurons industriels et à se livrer corps et âme à la mafia financière anglo-américaine, comme le révéla l’année suivante le mouvement de LaRouche, dans un dossier publié par l’Executive Intelligence Review (EIR).

« Dans ce dossier, nous expliquions également la philosophie de ce projet, poursuit Gorini : la financiarisation de l’économie, qui a conduit à la déréglementation et à la bulle spéculative, en particulier depuis l’abrogation de la loi Glass-Steagall grâce à laquelle laquelle Roosevelt avait sorti les États-Unis de la dépression économique en faisant une séparation claire entre les banques d’affaires et les banques commerciales ». LaRoucheet l’EIR défendaient à l’époque l’idée de remplacer le système monétaire par un système de crédit publicun « nouveau Bretton Woods ». Cette idée a culminé en 2009 avec notre demande de restauration de la loi Glass-Steagall, et avec la présentation d’un projet de loi sur la séparation bancaire au Parlement italien. « Je me souviens très bien d’une audition de LaRouche à la commission des finances à la Chambre des députés en 2009, que j’ai eu le plaisir d’organiser, explique-t-elle. De nombreux députés, dont un ancien syndicaliste, étaient d’accord avec lui, d’autant qu’il avait prévu le krach financier (…). Mais en 2011, avec Draghi et Monti, au lieu du nouveau Bretton Woods proposé par LaRouche, la politique de coupes budgétaires a été adoptée pour renflouer les banques. Et l’assouplissement quantitatif de Draghi s’est transformé en déluge d’argent pour les spéculateurs ».

Le Britannia est en train de couler ; il s’agit de ne pas finir au fond avec lui.

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