Nucléaire :
le point de vue d’un étudiant étranger

samedi 20 février 2021


Camilo Cordero Ramírez est venu en France depuis son pays natal, le Costa Rica, pour étudier la physique nucléaire. Il poursuit actuellement un doctorat au CEA de Saclay. Chérine Sultan, militante avec S&P, s’est entretenue avec lui. (Remarque : Camilo est également intervenu le 22 janvier dernier sur notre serveur Discord avec Tristan Kamin, ingénieur en sûreté nucléaire, sur le thème Le nucléaire, une chance pour le monde !  ; l’émission peut être ré-écoutée ici.)

Ceci est la version longue d’un article paru dans le journal Nouvelle Solidarité du 18 février 2021. Il est donc réservé aux abonnés. Pour découvrir nos publications et s’abonner, c’est ici.

Chérine : Pourquoi as-tu choisi ce domaine d’études ? Le nucléaire fait-il rêver les jeunes ?

Camilo : J’ai choisi la voie du nucléaire car je trouve que des problématiques telles que la quantité de production d’énergie autorisée pour la sauvegarde de l’environnement, ou la disponibilité des ressources, qui bloquent le développement de l’humanité, ne se poseraient plus si le nucléaire atteignait son potentiel réel. On pourrait finalement se concentrer à construire au lieu de réduire.

La France propose des formations très en lien avec la physique nucléaire, ce qui me convient très bien, car j’aime la physique et les technologies qui font avancer l’humanité et car j’ai fait toutes mes études dans le système français.

Mon idée c’était de participer à la mise en place de réacteurs de génération 4 pour brûler les déchets et rendre le cycle du combustible plus efficient, mais la réalité a corrigé mes rêveries…

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En plus, mon ami de Solidarité et Progrès m’a aidé à me demander pourquoi je suis pro-nucléaire et j’ai compris après maintes réflexions que la réponse va bien plus loin que l’absence de production de CO2. Je suis pro-nucléaire car je crois que tous les gens de la planète ont le droit de vivre en abondance énergétique et que cette abondance met en place un essor d’idées nouvelles qui pourrait nous donner une alternative aux pensées qui ne mènent plus l’humanité vers l’avant. Peut-être que si le violon a inspiré le jeune Einstein, la guitare pourrait en faire de même à un jeune nigérien, pourvu que l’Allemagne et le Niger se rapprochent du même niveau de développement social. Quand on voit comment le charbon et le pétrole ont permis aux gens des pays riches de produire arts et sciences, je rêve de voir la même chose pour tous les autres pays mais en utilisant l’uranium, qui est un million de fois plus dense énergétiquement que les hydrocarbures, dans l’optique du développement mutuel et pacifique.

En quoi la jeunesse me donne un avis potentiellement différent ? Je ne suis pas encore habitué à l’idée que les humains sont méchants et cupides, je crois encore aux vertus qui doivent être nourries avec les outils de l’amour et de la raison. Si le gouvernement nous proposait des programmes nucléaires de 5, 10, 20, 40 ans qui nous feraient comprendre les enjeux du potentiel de croissance, cela nous donnerait envie de travailler ensemble, et j’aurais plus envie de rester en France. Mais même les autres jeunes avec qui je suis au labo ne me font pas rêver, ils ne sont pas très enthousiastes d’un avenir nucléaire.

En tant qu’étudiant étranger, trouves-tu que la France est leader pour la formation ?

Au niveau de la formation académique, selon mes camarades internationaux du master, c’est un peu déplorable et je suis d’accord avec eux, même si j’ai bien aimé ma spécialité en master car elle est différente des autres, car plus théorique, moins axée sur l’ingénieur. C’est sûr, pour la théorie en France, vous êtes forts. Par contre, les cours en anglais sont pitoyables à cause du niveau en anglais des professeurs. Je suis sûr que si les cours avaient été en français on aurait appris beaucoup plus. C’est quand même très dommage de perdre autant de temps à attendre que le professeur trouve le mot pendant qu’il répète mille fois « euh ».

Comparé à l’expérience que mes camarades ont eue à Barcelone, très dynamique académiquement et très riche au niveau du contact humain en ville, où ils se sentaient bienvenus et ils sentaient vraiment qu’ils apprenaient des choses, ça n’a rien à voir avec Saclay où on nous explique ce qu’est la fission à chaque début de cours. Tout n’était pas mauvais, mais il ne faut pas rêver au classement Shanghai...

Et, très important, il faut apprendre aux enfants dès le début comment fonctionne l’énergie électrique en France et dans le monde, les avantages et les désavantages de chaque source. Peu de gens connaissent les implications de basculer vers une société plus dépendante de l’électricité que des hydrocarbures…

Qu’en est-il pour la construction ?

Il suffit de voir le cas de Flamanville, les conséquences de ne pas avoir construit pendant plus de 20 ans. Les compétences se perdent si on ne les utilise pas. Regardez l’EPR construit dans les temps en Chine, pays qui va sûrement vendre ses réacteurs à la France un jour si rien ne change.

Que fait-on pour le développement des pays pauvres ?

La France n’y contribue pas ! On voit rarement des progrès, comme par exemple Bolloré au Cameroun qui perd son contrôle, bien que ce ne soit pas voulu. Les petits projets France-Afrique sont en général « win-lose » alors que la population francophone d’Afrique connaît l’une des croissances les plus importantes au monde. La France devrait les voir comme de futurs partenaires, pas comme des non-colonies qui sont là pour acheter des panneaux solaires en francs CFA.

Mon opinion est que la France a une énorme dette envers ces pays et qu’elle devrait proposer un partenariat non lucratif pour y construire une infrastructure intégrale (transports, santé, réseau électrique, universités, industrie, logements) et une fois que les pays africains auraient atteint une stabilité politique et économique, la France pourrait commencer à grandir avec eux, contrairement à grandir grâce aux miettes que la France leur vole. Grandir, par exemple, en construisant des réacteurs nucléaires en Afrique qui peuvent être utilisés en France après, comme un réacteur qui puisse désaliniser l’eau, ou produire de l’hydrogène, ou en général produire la chaleur nécessaire pour les applications industrielles (sidérurgie, bâtiment, etc).

L’idée est belle, mais en a-t-on vraiment les moyens ?

Nous venons de voir certaines faiblesses qui montrent déjà où il faut s’améliorer. Vous avez tout de même un point fort avec le savoir-faire français dans le cycle du combustible : et si vous utilisiez l’uranium appauvri et l’uranium irradié ? Le sol français dispose déjà d’un stock gigantesque de ces deux types d’uranium.

De plus, grâce au retour d’expérience des réacteurs à sodium et à la capacité de séparation du plutonium, le cycle de combustible peut devenir un cycle fermé. Il y aurait donc aussi moins besoin d’extraction. La France n’exploite pas ces conditions extrêmement rares.

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Malgré ces promesses, il y aura toujours des limites avec tous ces déchets, et puis cela reste une filière très coûteuse !

Le combustible usé n’est pas complètement usé, seuls 5 % ont été consommés. Le déchet nucléaire n’est pas un déchet, c’est une ressource précieuse car les 95 % qui n’ont pas été consommés, peuvent l’être avec des technologies déjà connues. L’extraction de toute cette énergie contribuerait à une forte diminution de la radiotoxicité du combustible en fin de vie, c’est à dire qu’il y aurait moins d’atomes lourds (car ils seraient cassés en deux par fission) et cela contribue à moins de temps de refroidissement après l’irradiation du combustible dans le réacteur et donc moins d’énergie à dissiper, plus d’énergie libre pour notre société. Le combustible en fin de vie, même s’il n’a plus d’atomes lourds, n’est pas vraiment un déchet car il contient des terres rares et autres.

La question du prix c’est un peu comme avec les transports. La RATP n’est pas rentable mais sans elle il n’y aurait pas de business du tout à Paris ! Donc quand les gens disent que le nucléaire est cher, pour moi ça n’a aucun sens. Le gouvernement pourrait investir beaucoup pour avoir un retour encore plus important, comme dans un bon système de transport.

Certains disent que le nucléaire n’est qu’une étape dans la transition écologique, et qu’il faudra l’abandonner tôt ou tard. Qu’en penses-tu ?

C’est quoi l’écologie ? C’est utiliser la logique pour rendre la vie abondante et riche, avec la certitude qu’un environnement sain nous permet de vivre sainement. You don’t poop where you eat.

La logique dit : si on utilise des machines pour cultiver la terre, il y a plus de nourriture pour moins d’effort, et moins de gens à travailler avec les mains, plus de gens à travailler avec la tête. C’est une vision que les gens qui ont travaillé la terre avec les mains apprécient. Les gens qui croient que les machines sont données, faciles à avoir, et qui veulent imposer aux autres de planter des tomates dans leur jardin, ce sont des enfants gâtés qui n’utilisent pas leur capacité de logique.

Les français qui sont sortis avec des efforts inimaginables de l’occupation, de la collaboration, qui ont profité de l’aide américaine pour moderniser leur pays, puis qui ont demandé de l’or en échange de dollars, puis qui ont construit leur propre modèle de réacteur, ils ont construit un beau pays, un pays qui n’existe plus, dans lequel je n’habite pas — même si je suis là — et j’ai envie de quitter le pays qui reste maintenant. Je n’ai pas envie de vivre avec des gens qui trouvent cool d’être une puissance coloniale et de planter des tomates dans leur jardin. Ils collaborent pour être occupés par la pénurie.

Il n’y a pas de logique. Liberté, égalité et fraternité ne sont que de l’hypocrisie prise comme vérité par ceux qui ne sont jamais venus en France, ou ceux qui n’utilisent pas la logique. Ce qui me fait le plus mal c’est que le potentiel pour faire du bien est là. La France pourrait faire avancer le monde entier et faire du jamais-vu, mais vous êtes tellement pessimistes pour tout ! Vous dites toujours que les choses sont « pas mal » mais jamais « bien ». Il faut changer ce discours !

Certains écologistes ont au moins le mérite de sensibiliser sur le changement climatique. Le nucléaire peut-il le stopper ?

Même s’il n’y avait pas de changement climatique à régler je serais pro-nucléaire tout simplement car E=mc2 est le nouveau feu Prométhéen. Et si la question était vraiment sur les gaz à effet de serre, la réponse on l’a. On les capture et on les stocke, ou mieux encore on les utilise, dans le ciment par exemple.

Il n’y a pas de logique non plus sur la question de la neutralité carbone. Pour que leur discours soit cohérent avec l’urgence exprimée, il faudrait atteindre la négativité carbone d’ici peu, ce qui est largement faisable avec l’organisation des ressources comme planter des arbres, donner des réacteurs à tout le monde et utiliser l’énergie nucléaire excédentaire pour faire tourner des machines qui extraient les « méchants » gaz à effet de serre et les particules de l’air dangereuses pour les poumons jusqu’à atteindre les niveaux préindustriels.

La vraie question qui se pose aujourd’hui est comment tromper les gens pour leur donner l’impression qu’ils participent à une meilleure société, une société aux panneaux solaires et aux éoliennes, où il faut réduire la qualité de vie.