La cause végane, un nouvel intégrisme ?

Ils veulent nous « Gaffamer » ! Revue de livre

jeudi 25 mars 2021, par Vincent Crousier


Frédéric Denhez est l’auteur de La cause végane, un nouvel intégrisme ? (Buchet-Chastel, 2019, 224 p.). Il a mené l’enquête sur les végans – doctrine qui proscrit la consommation et l’utilisation de tout produit issu de près ou de loin de l’animal – et les antispécistes – ceux qui nient la différence entre l’Homme et l’Animal.

Ceci est la version longue d’un article paru dans le journal Nouvelle Solidarité du 25 mars 2021. Il est donc réservé aux abonnés. Pour découvrir nos publications et s’abonner, c’est ici.

Par Vincent Crousier

Démanteler EDF en se servant de l’idéologie écologiste malthusienne pour vendre au peuple les « énergies douces » et la privatisation de l’énergie : ça, c’est fait. Promouvoir le covoiturage via l’idée de solidarité pour se dédouaner d’avoir à améliorer les infrastructures de transport de masse : ça, c’est fait. Pointer du doigt les excès de l’industrie de la viande pour, à terme, faire disparaître éleveurs, fermiers et tout leur écosystème : ça, c’est en cours. Impossible ? C’est sans compter sur le relativisme culturel, souligne l’auteur :

La mise en équivalence de l’homme et de l’animal entraînerait la société vers la relativisation totale. Car tout se vaudrait, tout serait égal, donc rien n’aurait de valeur.


Frédéric Denhez
Frédéric Denhez, écologue, écrivain et journaliste

D’où vient ce discours ? Pour l’auteur, c’est un discours de riches. Naguère, manger de la viande était le privilège du patron : les paysans n’en mangeaient pas. Trop chère. Mais les Trente Glorieuses ont démocratisé la viande :

Ainsi, pour être au-dessus du lot, il fallait auparavant manger de la viande et avoir une voiture ; aujourd’hui, c’est vélo et quinoa. C’est un discours de classe dominante, comme au temps du puritanisme anglo-saxon de la seconde moitié du XIXe siècle.

Les végans n’ont rien inventé, se plaît à souligner Frédéric Denhez : quand une société se dégoûte d’elle-même, elle se tourne vers un puritanisme.

C’est d’ailleurs un grand argument des végans : manger de la viande n’est pas naturel, c’est culturel.

Et pourtant, depuis des décennies, les études paléoanthropologiques ne cessent de prouver le contraire : nos ancêtres mangeaient certes 70 % de végétaux, mais aussi environ 15 % de viande. […] Vouloir abolir l’élevage, c’est ainsi remettre en cause le néolithique, c’est nier l’histoire en créant une mythologie.

En niant la différence entre l’homme et l’animal et en allant jusqu’à défendre l’idée de « personnalisation juridique des animaux » pour mieux les protéger, les végans ouvrent la voie vers l’impensable. Sébastien Arsac est cofondateur de l’association L214, qui s’est fait connaître en révélant par des vidéos choc la souffrance animale dans l’industrie de la viande. Lorsque l’auteur lui demande si la personnalisation juridique des animaux n’est pas un danger, la réponse tombe : « Pas du tout. Le tabou de l’euthanasie est dépassé, déjà, alors l’intouchabilité [sic] de la vie humaine… ». Le syllogisme est classique : « Les hommes ne sont déjà pas égaux devant la loi, alors que celle-ci est en principe garante de cette intangibilité ». La ligne rouge est franchie : celle des marchés financiers.

Car c’est là que les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) entrent en scène. Dans les comptes de L214 publiés en 2018, sur 5 millions d’euros, 1,5 million provient d’une organisation américaine : l’Open Philanthropy Project (OPP), elle-même financée par la Silicon Valley Community Foundation (SVCF). Les deux entités sont largement financées par des milliardaires et les GAFAM. Leur intérêt ? Le marché de la viande de synthèse.

La méthode : la philosophie dite de « l’altruisme efficace ». Altruisme Efficace est une association internationale « qui a pour but de faciliter l’orientation de ressources vers les actions altruistes les plus bénéfiques sur la base d’une réflexion rationnelle sur les fins et sur les moyens. » En clair : L214 a réussi à convaincre les supermarchés de ne plus vendre des œufs de batterie, donc Altruisme Efficace les finance pour aller encore plus loin. Et qui donc finance Altruisme Efficace ? Les cofondateurs de Facebook et de PayPal. La philosophie a quant à elle été fondée par Peter Singer, théoricien de l’antispécisme. L’auteur précise que Peter Singer

trouve que les altruistes les plus efficaces sont les milliardaires Warren Buffet et les époux Melinda et Bill Gates, auxquels on peut ajouter Jeremy Coller.

Ce dernier est un milliardaire britannique, dont le but officiel et public est d’abolir l’élevage.

A ce sujet, on peut lire un rapport de l’École de Guerre Économique de Paris publié en juillet 2018, intitulé : « Comment perdre une guerre économique : l’exemple de la filière viande en France ».

Aujourd’hui, une dizaine de groupes contrôlent l’élevage industriel. Ils ont tout rationalisé de sorte que la prochaine étape est de « réduire la vache et le cochon à un assemblage de gènes dont ils auraient le monopole de l’hybridation et de la sélection. Et quand il deviendra trop coûteux d’affronter les externalités environnementales et sociales de l’élevage, ils passeront à ce qu’ils préparent déjà, la viande "in vitro". »

Le premier steak in vitro (août 2013)
CC World Economic Forum

C‘est là qu’intervient Jeremy Coller. Le rapport explique : « Il met sous pression une industrie entière pour obtenir une modification de ses pratiques, avec, à terme, l’ambition publiquement exprimée de la supprimer ». La méthode ? Faire imposer, par des ONG très introduites dans les milieux institutionnels, des normes qui deviendront praticables uniquement par des entreprises qu’il aura financées. En parallèle, « des produits de substitution sont développés par des entreprises dans lesquelles il aura investi ». La viande animale va bientôt devenir trop chère, « alors hâtons l’inéluctable, mieux, provoquons-le en finançant les associations qui la dénoncent, en menaçant les industriels du secteur de ne plus les soutenir et en investissant sur ce qui remplacera demain la viande d’aujourd’hui ».

Relativisme culturel poussé à l’extrême, science instrumentalisée par des milieux financiers jouant d’une Greta Thunberg comme d’une marionnette :

 [le véganisme] s’approche dangereusement de la négation de la science par son refus de considérer l’homme pour ce qu’il est, une espèce tellement douée qu’elle est autant capable de tuer que de préserver la vie, de décrire le monde comme de le détruire. » Frédéric Denhez poursuit : « Décidons en conséquence que l’homme n’est pas omnivore, qu’il n’est pas une espèce à part. Le corollaire est évidemment que la nature n’est pas, car elle n’existe que par nous qui, jusqu’à preuve du contraire, sommes la seule espèce à l’avoir étudiée pour la nommer et la comprendre. »

Début juillet 2019, a eu lieu à Launac, en Haute-Garonne, le festival Wassa’n African, sur la culture africaine. L’Institut Schiller y était présent pour présenter des projets d’industrialisation de l’Afrique, d’amélioration des conditions de vie des Africains par la transformation de la nature. Des projets que les végans qualifieraient probablement de titanesques, pharaoniques, démesurés. Pour les Africains rencontrés sur place, ces projets sont juste « ce qui est nécessaire ». D’un point de vue relativiste, peut-être que les Africains sont finalement plus humains que les Occidentaux…