Laïcité, islamophobie, islamogauchisme

lundi 22 mars 2021, par Jacques Cheminade


« Islamophobe », « islamogauchiste »  : mots-étiquettes pour assigner l’autre à sa différence. Nous devons au bien commun de rechercher les causes vraies de ce qu’ils désignent pour les désarmer.

Islamophobie : il est vrai qu’il existe en France une xénophobie anti-musulmane, comme la désigne le politologue Rachid Benzine. Trois choses rendent la situation tragique pour les musulmans.

La première est bien entendu les effets des guerres coloniales. Dans les départements algériens, nous avons dévoyé notre prétention à l’universel. Le double collège électoral en a été le marqueur politique et le développement inégal son expression économique : essor des centres urbains et abandon de l’intérieur. Pour échapper à la répression, les militants se battant pour l’indépendance ont dû peu à peu s’adapter à une base rurale pour qui l’islam était devenu la seule référence inspirant leur résistance. La situation a été aggravée par la prise de contrôle progressive de la « rébellion » par les groupes armés du FLN, repliés en Tunisie ou au Maroc. Une fois parvenus au pouvoir, ceux-ci ont exploité le filon victimaire du colonialisme vis-à-vis de leur peuple, d’autant plus qu’ils ont pactisé en affaires et en pétrole avec l’oligarchie du colonisateur. Que cela se soit retourné contre eux, d’abord avec le Front islamique du salut puis aujourd’hui avec le Hirak, n’est qu’un mouvement légitime de l’histoire, dont le défi est de sortir en changeant la règle du jeu.

La seconde raison est le conflit israélo-palestinien, les gouvernements israéliens successifs se comportant en forces d’occupation avec le soutien des pays occidentaux.

La troisième raison tient au dévoiement islamiste, bien défini par le Conseil d’Etat en 2016 : « C’est la revendication publique de comportements sociaux présentés comme des exigences divines et faisant irruption dans le champ public et la politique. » Cet islamisme a été encouragé par tous les impérialismes hostiles à l’existence même de l’Etat-nation et donc des « nationalismes arabes », comme celui de Nasser. Le Coran, en tant que « livre descendu d’Allah en langue arabe pure », et les hadiths du Prophète, historiquement trafiqués, ont ainsi été utilisés pour justifier les opérations djihadistes et communautaristes.

Cet islamisme, sans autre projet qu’un retour aux institutions du passé, a été vu par une gauche de la gauche, elle-même en errance politique, comme un allié : ainsi s’explique « l’islamogauchisme », mariage de la carpe d’un discours coranique immuable avec le lapin d’un discours anarcho-marxisant fossilisé.

Nous ne pourrons sortir de ce dilemme qu’en nous demandant : qu’est-ce qui nous réunit encore qui puisse attirer l’autre ? Je répondrai : la connaissance de nos vraies sources et de celles du monde musulman, pour les réactiver dans un projet politique.

Leurs sources sont en partie les nôtres : de nombreux mots d’origine arabe ont enrichi le français. Le « recul islamiste » est, lui, dû au soutien des pouvoirs terrestres par les gestionnaires musulmans du sacré. La dynastie abbasside de Bagdad, avec la Maison des sciences du calife Al-Mansur, qui avait adopté la philosophie grecque comme philosophie officielle, montre qu’il peut en être autrement. L’essayiste et juriste tunisien Yadh ben Achour vient de publier un livre explorant cette possibilité d’un islam guidé par la raison humaniste : L’islam et la démocratie (Gallimard, 2021).

De notre côté, c’est en retrouvant sans complexe nos valeurs républicaines laïques que nous pourrons accompagner cette renaissance. Cela suppose de réprimer sans complaisance les crimes et les délits, non parce qu’ils ont un motif religieux, mais parce qu’ils sont des crimes et des délits. En considérant, comme Jean Jaurès, que la laïcité est un lieu de débat public où l’on respecte non seulement la liberté de conscience, mais surtout où doit s’accomplir « la fin des réprouvés ».

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