L’agression contre la Syrie, un crime contre la paix

mardi 6 avril 2021, par Tribune Libre

Intervention du Dr Bouthaina Shaaban, conseillère politique et de l’information de la présidence syrienne, lors de la visioconférence de l’Institut Schiller des 20 et 21 mars 2020 sur le thème : « Deux mois après l’investiture de Biden, le monde à la croisée du chemin. »

Pour voir le programme complet de la conférence et des liens vers les différents discours, cliquez ICI.

L’agression contre la Syrie, un crime contre la paix

Par le Dr Bouthaina Shaaban,
conseillère politique et média de la présidence syrienne, Damas. Le 20 mars 2021.

Je voudrais tout d’abord remercier Mme Helga-Zepp LaRouche et vous tous de m’avoir invitée à m’exprimer lors de cette conférence très importante, avec laquelle je trouve de nombreux points communs.

Etant donné que notre sujet est « La crise stratégique à laquelle est confrontée l’espèce humaine », je voudrais commencer par la « directive stratégique intérimaire sur la sécurité nationale » qui a été présentée par le président Biden en mars 2021, tout d’abord pour clarifier l’orientation que prend cette nouvelle administration américaine, et quelles sont nos attentes, ou comment devons-nous lire cette directive – nous qui sommes toujours soumis aux politiques américaines au lieu de participer à la formulation de la politique mondiale ?

L’orientation stratégique (Interim National Security Strategic Guidance) présentée par le président Biden en mars 2021 part du concept de suprématie occidentale.

Ce que le président Biden promeut, c’est l’alliance et le partenariat américains avec l’Europe, ou avec l’OTAN. Et il invite et pousse les pays du monde à mettre sur pied une « OTAN mondialisée », au lieu d’une OTAN transatlantique.

Le problème est que cette orientation stratégique considère ce bloc de pays, les pays de l’OTAN, comme ceux qui promeuvent la démocratie, qui reconnaissent les droits de l’homme et qui devraient enseigner au monde comment se doter de systèmes similaires.

Tout pays ou individu qui ne répond pas à ces critères est considéré comme un « autocrate » ou un « agresseur », y compris la Russie et la Chine. Ce sont, selon cette orientation, des systèmes autocratiques, qui constituent une menace pour cette démocratie.

Voilà donc le problème : nous avons un certain nombre de pays qui forment une alliance et qui considèrent qu’ils détiennent la valeur suprême au niveau mondial. Cependant, lorsqu’ils parlent de leurs « valeurs », ils parlent avant tout de leurs intérêts…

Ces pays sont donc ceux qui ont, ou qui détiennent, ces « valeurs » et quiconque se joint à eux fait partie de cette alliance et de ce partenariat, alors que quiconque ne le fait pas, ou a une idée différente de la gouvernance ou un mode de vie différent, est considéré comme un autocrate ou un agresseur.

L’autre menace qui vient à l’esprit de ce groupe de pays est la technologie, la montée de la Chine qui semble être une obsession pour ce courant, et comment arrêter l’émergence de la Chine.

Le problème est qu’on ne regarde pas – ou du moins, ils ne l’envisagent nullement dans cette directive – le monde en tant que communauté humaine.

Ils le voient du point de vue des suprématistes blancs, et d’autres pays qui devraient agir comme eux, au nom de la démocratie, des droits de l’homme – peu importe...

En tant que femme syrienne ayant vécu dix ans de guerre dans ce pays, je trouve cette logique extrêmement dangereuse, d’autant plus que je sais, et nous le vivons, que la démocratie dont ils parlent ne sert qu’à faire de nos pays des États satellites de leurs pays, c’est-à-dire qu’il n’y a aucun sentiment d’égalité ni de fraternité humaine entre leurs pays et le nôtre. La logique que j’entends de la Chine et de la Russie est tout autre, c’est une logique qui dit « la prospérité devrait prévaloir pour tous ».

Nous devrions combattre la pauvreté. La Chine le fait chez elle, mais elle lutte également contre la pauvreté partout ailleurs dans le monde, car nous vivons tous dans un seul monde. Nous devrions en partager les ressources et agir ensemble pour sa prospérité.

Dans le cas de la Syrie, les appels occidentaux à la démocratie et à la liberté, qui ont provoqué l’arrivée de milliers, de centaines de milliers de terroristes sur notre territoire, qui ont provoqué la destruction de nos écoles, de nos infrastructures, tous ces appels ont rejeté notre pays un siècle en arrière !

De mon point de vue de femme syrienne, qui a toujours vécu sur cette terre et y vivra toujours, quoi qu’il arrive, je peux vous dire que la cause de cette guerre contre la Syrie, c’est qu’elle a un esprit politique indépendant et une politique souveraine.

Cela n’est pas bien accueilli par ces milieux, qui veulent que le monde tout entier soit une copie de ce qu’ils pensent, de ce qu’ils veulent. Personne n’a le droit d’avoir, par exemple, une démocratie différente, ou un mode de vie différent, ou une culture différente qui apporte des choses que nous apprécions probablement, ici en Syrie, où d’autres personnes apprécient des choses différentes !

Le problème, dans cette stratégie, est qu’elle ne laisse aucune place à la diversité de la nature humaine, à la richesse de la culture humaine, à la variété des goûts et des aversions de l’homme.

Ainsi, la Syrie, par exemple, figurait en 2010 au quatrième rang mondial des économies en développement. Aujourd’hui, ils ont détruit notre économie, ils ont détruit nos écoles, ils ont détruit notre mode de vie ! Ils ont détruit notre identité, à travers un déferlement de terrorisme, passant, bien entendu, par la Turquie pour arriver chez nous.

Le problème est que vous êtes tous convaincus, j’en suis sûre, que les États-Unis sont déployés dans le nord-est de la Syrie pour combattre Daech et le terrorisme. Or, si nous combattons le terrorisme – ce que nous faisons, bien sûr, parce que c’est dans notre intérêt et notre mode de vie – et s’ils sont ici pour combattre le terrorisme, pourquoi ne pas unir nos forces pour le combattre ensemble ?

Je vous le dis, les États-Unis et leurs alliés sont en Syrie pour protéger les terroristes, et c’est ce qu’ils font. Sans la présence de troupes dans la garnison américaine d’Al-Tanf et sans leur offensive militaire contre nos forces, nous aurions déjà libéré tout le sol syrien du terrorisme.

L’autre objectif pour eux est d’empêcher toute relation entre l’Irak et la Syrie, car cette relation est vitale pour nos deux peuples.

Le monde d’aujourd’hui est donc confronté à une crise. La nouvelle administration Biden se concentre sur les alliances et les partenariats face à la Chine et à la Russie, et face à tout pays qui ose être différent dans son mode de vie démocratique, qui ose avoir sa propre démocratie, qui ose avoir ses propres ressources indépendantes.

Sinon, comment les États-Unis pourraient-ils justifier le pillage de notre pétrole et de notre blé, et empêcher notre peuple d’accéder à ses propres ressources naturelles ?

J’en viens au deuxième problème de leur stratégie, qui est la différence entre les inventions du langage et les pratiques sur le terrain. La pratique sur le terrain est que ce bloc occidental, comme Biden l’appelle, avec ses partenaires et ses alliances, ne nous considère pas comme des êtres humains : ils voient notre pétrole, ils voient notre blé, ils voient notre position géographique, mais ils ne se soucient pas du tout du type de vie que nous menons, du type de problèmes qu’ils engendrent chez nous.

J’en tire comme enseignement que nous avons besoin d’un autre paradigme pour l’avenir de l’humanité, et je vois que la Chine, la Russie, l’Iran, la Syrie, le Venezuela, l’Institut Schiller et vous tous qui croyez à la dignité de la personne humaine, à l’indépendance et la souveraineté de chaque État du monde, petit ou grand, travaillez à cette fraternité entre tous les pays du monde, sans qu’aucun ne soit supérieur ou inférieur, libérés de ceux qui veulent imposer à tous « la même taille ». Non, une taille unique ne convient pas à tous : nous venons d’une culture différente, nous avons un point de vue différent, nous aimons construire notre avenir en fonction de ce que nous voulons, de ce que nous apprécions.

Ce qui sauverait le monde serait de reconnaître que Dieu nous a tous créés en des lieux différents, avec des cultures différentes, avec des langues différentes, mais uniquement pour profiter de ces différences et non pour donner carte blanche à ceux qui se croient supérieurs aux autres, comme ils l’ont fait avec les civilisations indigènes qu’ils ont anéanties, causant une énorme et terrible perte à l’histoire de l’humanité, à la richesse, à l’éducation et à la civilisation humaine.

J’espère que nous unirons nos forces, l’Est et l’Ouest, afin de créer un monde où les gens se sentent respectés, où ils sentent que leur différence culturelle est un atout plutôt que quelque chose à réprimer, ou à éradiquer.

Je vous remercie de m’avoir invitée à cette conférence, et j’espère vraiment que nous pourrons mettre en place un partenariat qui garantira un avenir bien meilleur pour le monde, sans suprématie, sans occupation, sans terrorisme.

Je vous remercie beaucoup.