Vaccins : l’inégalité Nord-Sud, un défi moral pour l’humanité

mercredi 7 avril 2021

Chronique stratégique du 7 avril 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

L’inégalité d’accès aux vaccins anti-Covid jette une lumière crue sur le fossé entre les pays du Nord et du Sud ; elle met en exergue l’obscénité du modèle économique en place, le « moi d’abord » des Etats-Unis et du Royaume-Uni faisant figure de caricature. Allons-nous continuer ainsi comme des aveugles, ou allons-nous changer la donne et nous engager dans une véritable coopération pour éradiquer enfin cette pandémie ?

Plus que jamais, l’irruption de la pandémie de Covid-19 en 2020 a rendu concrète cette simple vérité énoncée un jour par Martin Luther King : « Si nous ne vivons pas comme des frères, nous finirons comme des fous » . Car il est devenu évident que nous n’en viendrons jamais à bout sans un esprit de coopération entre nations, autant en ce qui concerne les traitements, les tests et les vaccins. Pourtant, un an après, en dépit des belles déclarations d’intention, les dirigeants occidentaux semblent incapables de prendre les mesures nécessaires.

Le 22 mars, le directeur de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus a dénoncé l’inégalité d’accès aux vaccins anti-Covid, et le fossé « grotesque » qui se creuse de plus en plus entre les pays pauvres du Sud et ceux plus riches du Nord. Il a rappelé qu’en janvier dernier, il avait prévenu que « le monde était au bord d’un échec moral catastrophique si des mesures urgentes n’étaient pas prises pour assurer une distribution équitable des vaccins ».

« Moi d’abord »

En effet, malgré le système Covax créé par l’OMS, qui a permis à ce jour de distribuer 36 millions de doses dans 86 pays, sur les 680 millions de doses administrées au total dans le monde, 0,1% seulement concernent les pays à « faible revenu », tandis que les pays à « revenu élevé » (16% de la population mondiale) concentrent la moitié des doses injectées (56%), les Etats-Unis ayant injecté à eux seuls un quart du total (qui a dit que le « America First » de Trump était fini ?).

Un nouveau graphique publié par Statista (voir ci-contre), basé sur des données collectées par Airfinity fin mars, en dit long sur l’attitude des pays qui font la leçon aux autres sur les droits de l’homme.

Il apparaît ainsi que les États-Unis et le Royaume-Uni, qui ont produit respectivement 164 et 16 millions de doses, ont exporté jusqu’à présent zéro vaccin à l’étranger. Seuls certains ingrédients du vaccin Pfizer devraient être exportés du Royaume-Uni vers les usines Pfizer se trouvant dans les États membres de l’UE. Si la Maison Blanche a déclaré qu’elle se préparait à fournir un total de 4 millions de vaccins à ses voisins (1,5 au Canada, et 2,5 au Mexique), le porte-parole de la Maison Blanche Jen Psaki a souligné que « notre première priorité reste la vaccination de la population américaine ».

Les données de Statista indiquent par ailleurs que depuis l’apparition de la pandémie de Covid 19, la Chine, qui est parvenue à contenir l’épidémie sur son territoire, a produit 229 millions de doses de vaccin, et a pu en exporter 48 %, soit 109 millions, dans 27 pays, dont le Pakistan, le Cambodge, le Laos, la Guinée équatoriale, le Zimbabwe, la Serbie, le Pérou, le Chili, le Mexique, etc. L’agence de presse Xinhua rapporte de plus que la Chine fournit une aide vaccinale gratuite à 53 pays dans le besoin. Ce que les atlantistes de Londres et de Washington n’ont eu aucun scrupule à dénoncer comme la « diplomatie du vaccin »…

L’Inde, dont l’industrie pharmaceutique est une fierté nationale, a produit 125 millions de doses et en a exporté 44 % (55 millions), notamment vers le Royaume-Uni et Djibouti. Cependant, alors que l’épidémie circule de nouveau dans le pays, et que seuls 4 % des 1,4 milliard d’Indiens ont été vaccinés, les exportations indiennes en cours vers 70 pays seraient pour l’instant suspendues.

On veut bien exporter, mais…

L’Union européenne a quant à elle produit 112 millions de doses, dont 42 % (46 millions) aurait été exporté, selon Airfinity. La présidente de la Commission européenne Ursula Van der Leyen, qui s’exprimait lors du dernier sommet du Conseil de l’UE, a affirmé que 77 millions de doses de vaccin auraient en réalité quitté le continent, en direction de 33 pays, dont la Chine, le Mexique, le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni. La Commission assure également être le principal donateur à Covax.

Cependant, les dents grincent depuis la découverte des 21 millions de doses produites sur le sol européen et envoyées au Royaume-Uni, alors que les vaccins manquent à l’intérieur des frontières de l’UE, et Bruxelles envisage de resserrer les règles. D’autant qu’à ce jour le Royaume-Uni a administré 31 millions de doses à sa population, ce qui laisse penser qu’environ deux tiers de ces vaccins proviennent de l’UE.

Mercredi 7 avril, le gouvernement australien s’est plaint du fait que l’UE bloque l’exportation de trois millions de vaccins AstraZeneca, ce que la Commission a immédiatement démenti, rejetant la faute sur le laboratoire anglo-suédois. Ambiance !

D’un autre côté, certains pays membres comme la Belgique et les Pays-Bas expriment des inquiétudes à l’idée d’un durcissement des règles d’exportation, souhaitant que les chaînes d’approvisionnement restent ouvertes. Ils craignent que ces règles ne déclenchent une logique de guerre commerciale avec les parties du monde qui produisent les matières premières nécessaires à la production de vaccins, et qui pourraient cesser de les expédier en Europe.

Refonte du système

Dans son rapport annuel du 7 avril, Amnesty International dénonce le « quasi-monopole » des pays riches sur les approvisionnements en vaccins. Agnès Callamard, la nouvelle Secrétaire générale d’Amnesty International souligne que la pandémie « a jeté une lumière crue sur le désintérêt sidérant de nos dirigeants à l’égard de notre humanité commune. En conséquence des politiques créant des divisions, des mesures d’austérité malavisées et du choix qu’ont fait les autorités, depuis des décennies, de ne pas investir dans des infrastructures publiques qui tombaient en ruine, de très nombreuses personnes ont été des proies faciles pour le virus ».

Comme nous le montre l’exemple du Chili, qui reconfine en dépit du fait que le quart de la population a reçu deux injections, la pandémie ne pourra être vaincue que grâce à une solidarité internationale et à un effort global des nations, non seulement pour mettre en commun les moyens de production et de distribution des vaccins, mais également pour se libérer enfin de l’emprise du système financier qui, depuis Wall Street et la City de Londres, induit le pillage, l’exploitation et l’appauvrissement des populations.

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