Célébrons le 700e anniversaire de Dante Alighieri

dimanche 11 avril 2021, par Tribune Libre

Intervention de Liliana Gorini, présidente du mouvement italien Movisol, lors de la visioconférence de l’Institut Schiller des 20 et 21 mars 2020 sur le thème : « Deux mois après l’investiture de Biden, le monde à la croisée du chemin. »

Pour voir le programme complet et accéder aux liens vers les différents discours, cliquez ICI.

Divine comédie de Dante :
de l’enfer à la science et l’exploration spatiale

Par Liliana Gorini,
présidente du Movimento Internazionale per i Diritti Civili « Solidarietà », Italie.

Dante Alighieri, représenté ici par son ami, le peintre Giotto, chapelle du Bargello à Florence.

Nous célébrons cette année le 700e anniversaire de la mort de Dante Alighieri (1265-1321).

Le poète italien permit l’émergence de la langue italienne à une époque où l’Italie n’était qu’un ensemble de cités-Etats, souvent en guerre les unes contre les autres, et où la haute société parlait un latin décadent tandis que le peuple ne parlait que des dialectes.

Comme le penseur américain Lyndon LaRouche l’a souvent souligné, l’existence d’une langue nationale est consubstantielle à celle de tout État-nation, et Dante a consciemment créé la langue italienne afin de libérer l’Italie de l’oligarchie qui dominait à l’époque, et de l’ériger en État-nation souverain.

Avant la Commedia, il a écrit De Vulgari Eloquentia, qui se moque de tous les dialectes italiens et de la façon dont l’oligarchie les utilisent pour maintenir la population dans l’ignorance et l’esclavage. Dans son De Monarchia, il présente un projet d’État-nation fondé sur le bien commun et demande à l’empereur Heinrich VII (Henri VII d’Allemagne) de libérer l’Italie des cités-États et des guerres.

Dante était donc un leader de la faction gibeline, par opposition à la faction guelfe loyale au pape Boniface VIII, un pape corrompu qui finit par exiler Dante pour son rôle politique de premier plan, l’empêchant à jamais de retourner à Florence, sa ville natale. Ainsi, Dante écrivit la Commedia pendant ses années d’exil, entre 1307 et sa mort en 1321, à Ravenne, où il est enterré.

La Divine Comédie

Sa Commedia ou Divine Comédie n’est pas seulement un chef-d’œuvre de poésie, mais aussi un traité d’histoire, de religion, de politique, d’économie et de science.

Comme le rapporte Boccace dans sa Vita di Dante (Vie de Dante), dès sa publication, elle devint très populaire dans la population, qui la lisait, la récitait et en discutait dans les églises et sur les places publiques (piazza), ce qui demeure aujourd’hui encore une tradition pour certains acteurs classiques, comme Vittorio Gassman ou Roberto Benigni, avec leur Lectura Dantis — des récitations et explications publiques de la Commedia de Dante.

Comme pour Giuseppe Verdi et ses opéras, Dante devint un héros national en tant que poète et leader politique. De nombreux aphorismes de la Commedia sont encore couramment utilisés aujourd’hui dans le langage quotidien, comme « non ti curar di lor, ma guarda e passa », version populaire de « non ragioniam di lor, ma guarda e passa » (ne parlons pas d’eux, mais regardons et passons), ou « Fatti non foste a viver come bruti ma per seguir virtute e canoscenza » (ce qu’Ulysse disait à ses compagnons : vous n’êtes pas faits pour vivre comme des brutes, mais pour suivre la vertu et la connaissance).

Cependant, Dante n’est pas seulement cher à la nation italienne, surtout en cette dernière année de souffrance à cause de la pandémie de Covid.

Enfer

La descente aux Enfers en fonction de la gravité des péchés.

Il est un exemple de ce qu’Helga Zepp-LaRouche appelle souvent un « dialogue des cultures ». Dans sa Commedia, il place dans ses « limbes » [1] le plus important scientifique arabe, le médecin et philosophe Ibn Sina (Avicenne), aux côtés de Platon et de Socrate, parmi ces philosophes qui ne pouvaient accéder au Paradis parce qu’ils n’étaient pas chrétiens, mais qui étaient justes et constituaient une référence pour le poète. Il cite Avicenne également dans son Convivio, lorsqu’il donne une description assez précise de la voie lactée.

En 1919, l’écrivain islamologue espagnol Don Miguel De Palacios publia un essai intitulé La escatologia musulmana en la Divina Comedia, où il compare le voyage de Dante dans l’au-delà à des œuvres majeures de la Renaissance arabe, dont celle d’Avicenne, dans lesquelles l’enfer est décrit de manière similaire comme un puits en forme d’entonnoir, formé de cercles concentriques (7 dans l’islam, 9 chez Dante, qui y ajoute les limbes). En citant Avicenne, Dante transmit le flambeau de la Renaissance arabe, fondée sur les anciens savants grecs et indiens, rendant possible la Renaissance européenne.

Aujourd’hui, il n’est pas inutile de visualiser son voyage de l’enfer au paradis, afin de rendre possible une nouvelle Renaissance, fondée sur la poésie et la science. En recherchant sur YouTube la vidéo du premier chant de l’Enfer, de Gassman, j’ai trouvé de nombreux commentaires de personnes ordinaires qui l’écoutaient et le relisaient, parce que pendant l’année de la pandémie de Covid, au cours de laquelle l’Italie fut presque continuellement en état d’urgence – et l’est toujours, avec 100 000 morts à déplorer – beaucoup ont compris ce que Dante voulait dire au début de la Commedia, dans son tercet d’ouverture évoquant la peur de la mort et la forêt sombre dans laquelle il se trouvait alors.

Ce sont les premiers tercets de la Commedia de Dante, où l’on aperçoit déjà la puissance et la musicalité de son langage poétique, et l’utilisation qu’il fait des onomatopées, utilisant des sons qui donnent l’idée du concept, ou du sentiment, qu’il cherche à transmettre. Dans ce cas, la peur, soulignée par les nombreux « r » roulés de « esta selva selvaggia e aspra e forte che nel pensier rinnova la paura. Tant’è amara che poco è più morte » (paura, morte, amara sont la peur, la mort, l’amertume).

Arrivé au milieu de sa vie (le poète a 35 ans), exilé, Dante est terrifié et ne sait pas comment sortir de cette forêt sombre. Heureusement, il rencontre Virgile, qu’il appelle « il sommo poeta » (le poète suprême), mais aussi « Duca e Maestro » (guide et maître), qui le guidera dans ce difficile voyage à travers l’Enfer et le Purgatoire, tandis que son guide au Paradis sera Béatrice, la « femme semblable à un ange » du Dolce stil novo.

Béatrice

Béatrice apparaît déjà dans le deuxième chant, lorsque Dante, doutant de sa capacité à parvenir au terme de ce voyage, dit « je ne suis ni saint Paul ni Énée » (saint Paul parle de son voyage au Paradis dans sa deuxième lettre aux Corinthiens, tandis que dans l’Énéide, le héros de Virgile, Énée, visite l’Hadès, le royaume des morts).

Trois femmes aideront alors Dante à surmonter ses peurs et ses doutes. La première, Béatrice, lui dit : « Io son Beatrice, che ti faccio andare » (je suis Béatrice, qui te demande de partir), la deuxième est la Madone, qui demande à Béatrice d’intercéder pour Dante auprès de sainte Lucie.

Béatrice jouera un rôle très important dans le Paradis, où elle incarne non seulement la femme ange du Dolce stil novo (« amor mi mosse, che mi fa parlare »), mais aussi la révélation de Dieu et de la science, expliquant à Dante l’astronomie ou la physique des sphères.

Dans l’Inferno, Dante découvre les grands pécheurs de son temps, dont Boniface VIII, le pape qui l’a exilé, ou encore le comte Ugolin, emprisonné avec ses enfants par un autre membre corrompu de l’Église, et qui a vu ses enfants mourir de faim en prison (épisode que Goethe a qualifié d’un des plus hauts faits de poésie et de tragédie).

Mais le chant le plus révélateur de la conception de la justice économique de Dante est sans doute le XVIIe, dans lequel il rencontre des usuriers qui, avec les sodomites, sont punis pour leurs « péchés contre la nature et le travail » (« natura ed arte »), mais ici « l’art » n’est pas entendu comme une production artistique, mais simplement comme le travail, par opposition à ce que Dante appelle « sùbiti guadagni », les gains subits, un concept dans lequel de nombreux spécialistes de Dante voient une critique très forte non seulement contre les usuriers mais aussi les spéculateurs (c’était l’époque où les grandes familles bancaires commençaient à faire de l’argent avec de l’argent, par opposition au travail).

Dans ce chant, Dante poursuit sa mise en accusation de la noblesse et de l’oligarchie florentines commencée au chant précédent. Les usuriers sont jetés dans du sable bouillant et meurent par le feu.

Dans ce cercle, Dante et Virgile rencontrent le géant à trois têtes Géryon, l’un des nombreux démons de l’Enfer, qui représente la fraude (« quella sozza immagine di frode », cette immonde effigie de la fraude). Les usuriers ont un sac d’argent avec le blason de leur famille accroché au cou, et c’est ainsi qu’il les reconnaît. S’il avait écrit la Commedia aujourd’hui, l’on retrouverait dans ce cercle des gens comme Mark Carney, George Soros, Klaus Schwab ou Mario Draghi et tous les défenseurs du Great Reset, tous brûlés par le feu dans l’éternité.

En quelques minutes, il m’est difficile de vous en dire plus sur l’Enfer et le Purgatoire, mais je peux terminer par l’ascension de Dante au Paradis, qui commence quelques jours après le dimanche de Pâques. Enlevés au ciel par une sorte de force d’attraction céleste, Dante et Béatrice visitent toutes les sphères célestes (la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter, Saturne, les étoiles fixes et enfin le Primum Mobile, la cause première du mouvement, qui est Dieu lui-même).

Au cours de leur ascension, ils discutent de questions de religion, notamment du rôle de la Providence qui agit par des moyens indirects, mais aussi à travers les âmes individuelles, en dirigeant les gens de différentes manières. Ils abordent également des questions scientifiques, Béatrice expliquant, par exemple, la physique des sphères et les 9 hiérarchies des pouvoirs angéliques.

Dante parvient à maintenir quelques instants son regard vers le soleil flamboyant (la lumière du Ciel représentant Dieu) et termine le dernier chant du Paradis, et de sa Commedia, par ces belles paroles : « L’amor che move il sole e l’altre stelle » (l’Amour qui déplace le Soleil et les autres étoiles).

Et comme chez Beethoven ou Mozart, où le thème du début revient à la fin de l’œuvre, il nous rappelle le dernier vers de l’Enfer, « e quindi uscimmo a riveder le stelle » (et enfin nous sortîmes pour revoir les étoiles).

Grâce à Dante, et à sa poésie, nous comprenons que nous sortirons de l’enfer, nous sortirons de la crise pandémique, économique et sociale, si nous levons les yeux vers les étoiles.

Merci.

France : nouvelle traduction en édition de poche !

Source : France-Info

Actes-Sud, mars, 2021
11.00 x 17.60 cm
928 pages
ISBN : 978-2-330-14769-3
Prix indicatif : 13,50€

On fête cette année les 700 ans de la mort de Durante Degli Alighieri plus connu sous le nom de Dante (1265-1321). De nombreux événements rythment l’année 2021 en Italie, mais aussi en France, pour célébrer ce grand poète, considéré comme le « père de la langue italienne ».

Une occasion de se plonger dans la traduction audacieuse de La Divine Comédie signée Danièle Robert, connue pour ses traductions des grands textes d’Ovide, de Catulle ou dans un autre registre, de la poésie de Paul Auster.

L’intégrale de cette traduction, parue en grand format en trois volumes et en version bilingue, L’Enfer, Le Purgatoire, et Le Paradis, entre 2016 et 2020, est à retrouver dans un volume en format poche (Babel), publié en mars 2021.

Danièle Robert, membre de la Société dantesque de France, a consacré dix ans à la traduction de ce texte, écrit au début du XIVe siècle, qui compte plus de 14000 vers et dont la structure, très élaborée, est construite sur la base de la « tierce rime », motif inventé par Dante, que Danièle Robert décrit comme le « germe à partir duquel la structure s’épanouit en une arborescence vertigineuse ».

La traductrice, contrairement à d’autres, a choisi de respecter la structure élaborée par Dante. Cette nouvelle version, accueillie avec enthousiasme (et quelques grincements de dents de certains), permet aux lectrices et lecteurs français de goûter le souffle, l’âme en quelque sorte, de ce texte universel.

Lire la suite sur le site de France-Info.


[1Dans la religion catholique, la doctrine des limbes (du latin limbus, « marge, frange ») désigne un état de l’au-delà situé aux marges de l’enfer. Par extension, ils désignent un état intermédiaire et flou.