Biden appuie son genou sur le cou de la Syrie

mardi 20 avril 2021

Chronique stratégique du 20 avril 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Trois mois après l’arrivée de Joe Biden au pouvoir, tout porte à croire que sa politique en Syrie est revenue à 100% au vomi de la politique de « changement de régime » des administrations Bush et Obama. Comme l’écrit le célèbre journaliste américain Patrick Lawrence sur le site Consortiumnews : « On devine déjà les grandes lignes de la politique syrienne de l’administration Biden. D’après ce que l’on peut voir, elle est sombre, vicieuse et d’une cruauté inadmissible pour le peuple syrien ».

Le choix est d’ors et déjà fait de maintenir le pire de la politique de l’administration Trump, et surtout du secrétaire d’Etat « fou de Dieu » Mike Pompeo : occupation illégale du sol syrien, pillage des champs pétrolifères et des récoltes céréalières… un dispositif complété et amplifié par les « sanctions Caesar » qui, comme nous l’avons montré dans notre chronique du 16 avril, soumettent le pays à un véritable blocus économique, asphyxiant et affamant la population syrienne, dans le but à peine caché de soulever cette dernière contre le gouvernement d’Assad.

Les frappes du 25 février, qui ont visées des sites à la frontière syro-irakienne où se trouvaient des forces pro-iraniennes, ont démontré que la nouvelle administration américaine était prête à tout – y compris à s’asseoir sur le droit international. Patrick Lawrence souligne que cette attaque a coïncidé à peu près avec des entretiens à Washington avec de hauts responsables des services de renseignement et de l’armée israélienne, au sujet des négociations sur l’accord nucléaire iranien. Ainsi, le message était clair : « l’administration Biden ne fera aucun geste en direction de l’Iran sans l’approbation d’Israël. Idem dans le cas de la Syrie », écrit-il.

Hypocrisie

Le secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken, dans une intervention qui lui vaudra sans doute un aller simple pour la sixième fosse du huitième cercle de l’enfer de Dante (où séjournent les hypocrites), a tweeté le 30 mars :

Quand je pense à la souffrance du peuple syrien, notamment des enfants syriens, je pense à mes deux propres enfants. Comment ne pourrions-nous pas prendre des mesures pour les aider ? Notre humanité commune l’exige. Honte à nous si nous ne le faisons pas.

Ce à quoi le journaliste Max Blumenthal a répondu :

Affameriez-vous vos deux enfants, les priveriez-vous de médicaments par des sanctions, et voleriez-vous leurs biens sous la menace d’une arme ? Si vous traitiez vos enfants comme vous traitez le peuple syrien, vous seriez emprisonné pour maltraitance des enfants.

Tous les ingrédients sont donc présents montrant que l’opération de changement de régime, sous couvert de la « Responsabilité de protéger » (R2P) — la doctrine élaborée par Tony Blair pour justifier les guerres impérialistes menées depuis le 11 septembre — est à nouveau en cours. « Les troupes américaines resteront sur le terrain, et leur nombre augmentera presque certainement au fil du temps, écrit Lawrence. Les États-Unis, de concert avec les mêmes fanatiques qu’ils ont jusqu’à présent financés, entraînés et approvisionnés, continueront à séquestrer les champs de pétrole de la Syrie et les champs de blé fertiles qui devraient nourrir la population ».

Nos amis les djihadistes

C’est ainsi que le 2 avril, la chaîne américaine PBS a accordé une interview très complaisante à Abu Mohammad al-Jolani, le chef de Hayat Tahir al-Shalam (HTS). Ancien commandant de Daesh, Al-Jolani est le fondateur du Front Jabhat Al-Nusra, la branche d’Al-Qaïda en Syrie – dont l’ancien ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius avait dit en 2012 qu’il faisait « du bon boulot ». Plusieurs ONG de défense des droits de l’homme ont mis en cause Al-Jolani et HTS dans de nombreux cas de torture, de violence, d’abus sexuels, d’arrestations arbitraires, etc.

Le chef djihadiste syrien Abu Mohammad al-Jolani, interviewé le 2 avril sur PBS

Tout en évoquant les crimes Al-Jolani – pour se couvrir —, PBS et l’interviewer Martin Smith ont permis au terroriste d’apparaître comme un « militant islamiste de premier plan », une figure devenant incontournable dans la rébellion contre Bashar al-Assad, « une force influente dans l’avenir de la Syrie ». La chaîne américaine cite notamment James Jeffrey, l’ancien envoyé spécial du président Donald Trump en Syrie, qui vient de déclarer que le dirigeant d’HTS représentait pour les Etats-Unis « l’option la moins mauvaise des différentes options sur Idlib ».

La Syrie pourrait bientôt avoir sa version de Juan Guaidó et d’Alexey Navalny, les deux Dummköpfe [imbéciles] que Washington a ridiculement élevés au rang de saints démocrates respectivement au Venezuela et dans la Fédération de Russie, conclut Patrick Lawrence. Je parle au conditionnel car le projet Al-Jolani pourrait s’avérer si grotesque qu’il risque d’échouer avant même d’avoir décollé.

Selon le journaliste, nous assistons au redéploiement de la stratégie conçue en 1979 par Zbigniew Brzezinski, l’ancien conseiller à la sécurité nationale, qui, antisoviétique fanatique, avait persuadé Jimmy Carter d’armer les djihadistes d’Al-Qaïda pour faire plier les Soviétiques en Afghanistan. « Face à la foire aux monstres fondamentalistes qui se déroule en Syrie depuis près de dix ans, faut-il en dire plus sur les conséquences de l’idiotie de Zbig ? »


A voir : les interventions de SE Michel Raimbaud, ancien ambassadeur de France, et du colonel Richard Black, ancien sénateur d’Etat de la Virginie occidentale, lors de la visioconférence de l’Institut Schiller des 20 et 21 mars 2020.
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