Tentative de coup d’Etat en Biélorussie : un Sarajevo manqué ?

jeudi 29 avril 2021

Chronique stratégique du 27 avril 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Le 14 avril, le Bélarus, avec l’aide des forces de sécurité russes, a déjoué une tentative de coup d’Etat visant le président Loukachenko. Ce dernier et Vladimir Poutine ont tous deux publiquement dénoncé une opération orchestrée selon eux depuis le plus haut niveau du pouvoir à Washington. Dans la foulée de ces révélations, le Premier ministre tchèque, ressortant subitement une affaire vieille de sept ans, a accusé la Russie d’avoir fomenté l’explosion d’un dépôt de munition à Vrbetice en 2014 – accusation abondamment relayée dans les médias occidentaux, et dénoncée comme une manœuvre de diversion par Moscou.

Le mercredi 14 avril, deux citoyens américano-biélorusses – le politologue Alexandre Fedouta et l’avocat Iouri Zenkovitch — ont été arrêtés à Moscou par les forces de sécurité russes (FSB), puis remis à leurs homologues biélorusses. Le dimanche suivant, le président Loukachenko a expliqué publiquement que les deux individus faisaient partie d’une tentative de putsch, selon leur propre aveu. Prévue pour se dérouler le 9 mai à Minsk, jour de la fête de la Victoire commémorant la victoire sur l’Allemagne nazie, l’opération consistait à assassiner le président biélorusse, à renverser son gouvernement et à le remplacer par un gouvernement d’opposition favorable à l’Otan.

Sa mise en échec a sans doute permis d’éviter des conséquences tragiques, similaires à celle qui avaient suivies l’assassinat de l’archiduc Ferdinand à Sarajevo, en juin 1914.

Amener l’Otan à la frontière russe

« Nous avons découvert l’implication de services de renseignement étrangers, très probablement la CIA et le FBI », a déclaré Loukachenko. Dans un communiqué publié suite aux révélations du président biélorusse, le FSB a rapporté que Fedouta et Zenkovitch – après consultations avec les Etats-Unis et la Pologne – ont tenu une réunion à Moscou, lors de laquelle ils ont évoqué le plan visant à renverser le pouvoir « avec des généraux des forces armées de la République de Biélorussie favorables à l’opposition. Un plan devant passer par l’élimination physique de pratiquement tous les hauts dirigeants de la République ».

Pour le président biélorusse, « seuls les hauts dirigeants politiques d’un pays peuvent ordonner l’assassinat d’un président ». En cas de réussite du coup d’État, « l’Otan avait prévu d’envoyer des troupes dans le pays [...] pour les amener à la frontière russe. C’était un tremplin, je vous l’ai toujours dit, pour attaquer la Russie », a-t-il déclaré le 24 avril, comme le rapporte le Washington Post.

En parallèle de l’intervention publique de Loukachenko, la chaîne de télévision publique biélorusse a pointé du doigt les liens entre les deux individus arrêtés et Michael Carpenter, un conseiller de Joe Biden. En 2014, à l’époque où Biden était vice-président, et où il était secrétaire adjoint à la Défense pour la Russie et l’Ukraine, Carpenter avait soutenu le coup d’Etat néo-nazi en Ukraine. Il est aujourd’hui membre senior de l’Atlantic Council lié à l’OTAN, et dirige le Penn Biden Center. En décembre 2017, Carpenter et Biden ont co-écrit un article intitulé « Comment tenir tête au Kremlin ».

Lors de son discours du 21 avril devant l’Assemblée fédérale russe, le président Poutine a dénoncé le silence des Occidentaux sur la tentative de coup d’Etat contre Loukachenko, mettant en garde dans des termes très forts l’escalade actuelle : « Aujourd’hui, la logique de sanctions dégénère en quelque chose d’encore plus dangereux — je fais référence à l’ingérence directe récemment révélée au Bélarus dans une tentative d’orchestrer un coup d’Etat et d’assassiner le président de ce pays. (…) Cela va trop loin. Cela dépasse toutes les limites ». Poutine a prévenu les responsables de ces actes que « la réponse de la Russie sera asymétrique, rapide et dure ».

La diversion tchèque

Comme par hasard, une nouvelle carte a subitement été sortie dans le jeu. Le 17 avril, lors d’une conférence de presse, le Premier ministre tchèque Andrej Babiš a affirmé détenir des preuves « irréfutables » de l’implication de deux agents des services du renseignement extérieur russes (GRU) dans l’explosion d’un dépôt d’armes survenue en octobre 2014 à Vrbetice – les mêmes agents qui auraient empoisonné Sergeï Skripal en 2018 ! En dépit de l’énormité de la ficelle, les médias occidentaux n’ont pas hésité à relayer massivement l’accusation ; le gouvernement tchèque a annoncé l’expulsion de 18 diplomates russes ; ce à quoi Moscou a répondu en convoquant l’ambassadeur tchèque et en expulsant à son tour 20 diplomates tchèques.

Le 25 avril, le président tchèque Miloš Zeman a jeté un pavé dans la mare en affirmant que les accusations de son Premier ministre sont sans fondement, et en dénonçant « un jeu des services secrets ». Le lendemain, les factions sénatoriales des deux partis libéraux-conservateurs, emmenées par le chef du Sénat tchèque, ont annoncé leur intention de lancer des poursuites contre Zeman pour « haute trahison », pour avoir divulgué des informations sensibles sur une affaire compromettant la sécurité du pays.

Pour le ministère russe des Affaires étrangères, les accusations de Prague ne sont qu’une manoeuvre de diversion vis-à-vis des révélations sur le coup d’Etat déjoué au Bélarus. L’annonce concernant l’expulsion des diplomates russes en République tchèque est intervenue une heure seulement après les divulgations par Loukachenko. Une proximité temporelle qui ne doit rien au hasard, selon la porte-parole du ministère Maria Zakharova. « Il y a un sentiment absolu – et il est étayé par des éléments d’information concrets – que, dans l’espace médiatique, notamment occidental, nos partenaires occidentaux devaient faire en sorte que l’importance des informations publiées à la fois par la Fédération de Russie et par la République du Bélarus concernant le plan de coup d’Etat soient escamotées ».

A cela s’ajoute le fait que le dépôt de Vrbetice était aux mains d’Emilian Gebrev, un marchand d’armes bulgare. Le 24 avril, le New York Times a rapporté que le Bulgare, qui fait l’objet d’une enquête criminelle sérieuse en Bulgarie pour corruption, avait confirmé aux médias avoir stocké des munitions à Vrbetice et fourni des armes à Kiev pendant la phase active du conflit dans l’Est de l’Ukraine. De plus, le quotidien allemand Die Welt a rapporté que des mines antipersonnel auraient été stockées dans l’entrepôt, en violation de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel, dont la République tchèque est signataire.

Cette nouvelle caricature, présentée au monde par des responsables tchèques, a satisfait tous les représentants du courant mainstream non seulement en tant que version, mais comme ensemble de preuves pour appuyer des accusations de toutes sortes, a souligné Zakharova. Il s’avère que dans le monde d’aujourd’hui dans lequel nous vivons, l’évidence ne prouve rien. En revanche, quelque chose d’inventé, de monté rapidement pour être diffusé, peut mettre en marche le mécanisme de destruction, en particulier, des relations bilatérales russo-tchèques.

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