L’incendie Est-Ouest et le pyromane britannique

lundi 3 mai 2021

Chronique stratégique du 3 mai 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

L’escalade Est-Ouest se poursuit, façonnant chaque jour un climat de pré-guerre mondiale, dans l’indifférence quasi-générale des populations. Derrière les provocations du secrétaire d’Etat Anthony Blinken et des services de renseignement américains, les services britanniques ne manquent aucune occasion – agissant comme toujours depuis l’arrière-scène – pour jeter de l’huile sur le feu.

Les tensions internationales entre les forces transatlantiques d’un côté et la Russie et la Chine de l’autre atteignent un niveau sans doute jamais égalé, y compris au cours des pires moments de la Guerre froide. Le simple fait qu’il n’y ait en ce moment plus d’ambassadeur russe à Washington ni d’ambassadeur américain à Moscou en dit long sur la gravité de la crise. Ajoutons à cela que, comme nous l’avons rapporté dans notre chronique du 29 avril, les présidents russe et biélorusse ont tous deux accusé l’administration Biden d’avoir tenté de fomenter un coup d’Etat au Bélarus. Des accusations sans précédent.

Chaque jour apporte son lot de nouvelles expulsions diplomatiques et de sanctions. Dernières en date : en réponse aux précédentes sanctions prises à son encontre par l’Union européenne, la Russie a annoncé vendredi une série de sanctions contre plusieurs hauts représentants de l’UE – dont une interdiction d’entrée sur le territoire russe pour le président du Parlement européen.

Le « muscle » américain…

Le 28 avril, l’Otan a lancé en Albanie la phase opérationnelle de « Defender Europe 21 », les plus importants exercices militaires des 30 dernières années, qui mobiliseront 40 000 effectifs, s’étendront des Balkans à la mer Noire et utiliseront les principaux axes maritimes et terrestres reliant l’Europe, l’Asie et l’Afrique.

Dans le même temps, l’Otan a accru sa présence militaire dans la région de l’Arctique, après que les Etats-Unis et la Norvège ont signé le 16 avril un accord de coopération militaire. « Nous considérons cette activité, en particulier à proximité directe des frontières russes, comme un mouvement intentionnel d’Oslo sur la voie de l’escalade des tensions dans la région euro-arctique et de la destruction des accords russo-norvégiens », a réagi Maria Zakharova, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères.

De son côté, le secrétaire d’Etat Anthony Blinken — le Mike Pompeo de l’administration Biden — multiplie ses déplacements comme autant de provocations à l’encontre de la Russie et de la Chine. A la veille de sa visite à Kiev, il a affirmé dans une interview sur CBS que la Russie avait amassé « le plus important contingent militaire à la frontière ukrainienne depuis 2014 » – faisant fi du fait que Moscou a commencé à retirer lesdites troupes. Avant son voyage en Ukraine, Blinken se rendra à Londres, afin de participer au G7 des ministres des Affaires étrangères, où il réaffirmera la volonté des Etats-Unis d’ « unir les démocraties contre les autocraties », comme le précise le Département d’Etat.

Les services de renseignement américains sont également sur le pont pour alimenter la paranoïa sur les prétendues intentions « malignes » de la Russie et de la Chine. Le 29 avril, lors de son audition devant la Commission des Forces armées du Sénat US, le lieutenant-général Scott Berrier, qui dirige l’agence de renseignement militaire (DIA), a déclaré que la Russie représente une « menace existentielle » pour les Etats-Unis. Reprenant les affirmations d’un rapport de la DIA publié en 2018 prétendant que la Russie produit « des centaines d’ogives nucléaires chaque année » (affirmations non prouvées et largement mises en doute), Berrier a accusé la Russie de mener des essais nucléaires secrets en violation de la norme de rendement zéro du moratoire actuel sur les essais nucléaires.

De son côté, franchissant une nouvelle ligne rouge, la directrice du renseignement national américain, Avril Haines (connue pour avoir participé au programme d’Obama d’assassinats par drones), a suggéré le 29 avril que les Etats-Unis prennent ouvertement la défense de Taïwan contre la Chine continentale en cas d’invasion de l’île par l’armée chinoise. « De notre point de vue, si les États-Unis sortaient de l’ambiguïté stratégique quant à leur volonté d’intervenir en cas d’urgence à Taïwan, les Chinois en seraient déstabilisés », a-t-elle déclaré dans un langage sans équivoque.

… et le « cerveau » britannique

Tandis que dans cette situation les pays européens – et en particulier la France et l’Allemagne – souffrent d’une position fessière entre deux chaises, les Britanniques ne perdent pas le Nord et interviennent invariablement pour jeter des barils d’huile sur le feu, dans le rôle qui leur tient à cœur de « cerveau » manipulant le « muscle » américain.

« Le changement de régime en Chine n’est pas seulement possible, il est impératif », écrit ainsi sans détour Roger Garside, ancien diplomate britannique en Chine, dans le quotidien canadien Globe and Mail. Dressant la liste des méfaits de la Chine – « mépris du droit international en mer de Chine méridionale », violation des accords de traité vis-à-vis de Hong Kong, « génocide au Xinjiang », etc — Garside estime que « les États-Unis et leurs alliés devraient faire du changement de régime en Chine l’objectif suprême de leur stratégie envers ce pays. Ce n’est pas un objectif que les gouvernements peuvent déclarer ouvertement, mais c’est un objectif qu’ils doivent poursuivre activement ».

Le 23 avril, Chatham House, le think tank du Foreign Office britannique, a publié une note intitulée « L’Europe doit admettre que la Russie prépare la guerre », déplorant La mollesse des Européens face aux provocations de l’ours russe. Outre « le meurtre lent de Navalny » ou les troupes amassées à la frontière ukrainienne, les auteurs évoquent les récentes accusations des autorités tchèques contre la Russie à propos de l’explosion en 2014 d’un dépôt de munition, qui ont conduit Prague à expulser plusieurs diplomates russes. Selon eux, l’absence de réponse à « une attaque directe de la Russie contre un État membre de l’OTAN et de l’UE » serait « inexcusable et très dangereuse ».

Précisons que, alors que l’enquête tchèque avait initialement conclu à un accident industriel, un organisme de renseignement privé « indépendant » du nom Bellingcat — en réalité créé et parrainé par le MI6 — a redéterré cette affaire de l’explosion (quelques heures après que Poutine et Loukachenko ont dénoncé la tentative de coup d’Etat en Biélorussie), affirmant que celle-ci avait été perpétrée par deux agents des services secrets russes (GRU), les mêmes qui auraient empoisonné Sergeï Skripal en 2018. Un scénario digne d’un James Bond !

Rien de surprenant, quand on connaît le rôle joué par les services de renseignement britanniques dans la fabrication d’opérations visant la Russie, telles que le « dossier douteux » contre Donald Trump dans l’affaire du « Russiagate » (monté par l’ancien agent du MI6 Christopher Steele), les allégations selon lesquelles la Russie aurait couvert des attaques à l’arme chimique en Syrie, ou encore les accusations sur l’empoisonnement d’Alexey Navalny par le Kremlin.

On ne se refait pas !

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