Discours de LaRouche à Abu Dhabi

Proche-Orient, croisée des chemins stratégique

mercredi 5 juin 2002, par Lyndon LaRouche

Lyndon LaRouche, pré-candidat présidentiel aux Etats-Unis, a tenu ce discours le 5 juin à Abu Dhabi, lors d’une conférence du Centre Zayed pour la coordination et le suivi, sur le thème« Le rôle du pétrole et du gaz naturel dans la politique mondiale ».

Nous sommes à une croisée des chemins de l’histoire mondiale. Si le monde devait poursuivre sur la voie actuellement adoptée par mon gouvernement et d’autres, la civilisation s’en trouverait plongée, pour une génération ou peut-être plus, dans un âge des ténèbres comparable à celui qui frappa l’Europe il y a quelque 750 ans. Nous ne devons pas faire comme si ce danger n’existait pas, tout nous engageant en faveur de l’alternative porteuse d’espérance que préféreront les gouvernements sages. Par conséquent, je parlerai franchement, mais avec optimisme, d’une autre croisée de chemins, le Proche-Orient.

L’histoire du pétrole dans cette région remonte aux plans conçus par la Marine britannique en vue de ce qui allait devenir la Grande Guerre de 14-18. L’Empire britannique entendait utiliser ce pétrole pour donner à sa marine l’avantage stratégique décisif que représentait son utilisation comme combustible pour les bâtiments de guerre, à la place du charbon. Depuis cette époque, comme le savent toutes les nations représentées ici, cette région a été dominée par les luttes entre grandes puissances pour le contrôle des avantages économiques et stratégiques spécifiques du pétrole exploité ici. Toutefois, le pétrole seul n’a jamais déterminé le sort du Proche-Orient ; car aussi loin que remonte l’histoire connue de la civilisation, bien avant la découverte du pétrole, le Proche-Orient représentait la croisée des chemins entre l’Eurasie et l’Afrique, comme il l’est encore aujourd’hui. Avec ou sans pétrole, le Proche-Orient gardera toujours cette signification stratégique historique.

Aujourd’hui, il existe des plans irréfléchis, comme ceux qui ont fait l’objet de discussions entre mon gouvernement et celui de la Russie, pour tenter de soustraire le monde à sa dépendance actuelle vis-à-vis du pétrole proche-oriental. Une telle politique ne pourrait qu’apporter un facteur supplémentaire de chaos à une situation monétaro-financière et économique mondiale, déjà globalement explosive. J’espère pouvoir persuader les puissances d’abandonner des impulsions économiques et géopolitiques aussi imprudemment incompétentes que celles-ci.

Dans tout ordonnancement sain des affaires économiques stratégiques du monde, le pétrole proche-oriental continuera d’être - pour au moins une génération - un facteur exceptionnel d’approvisionnement énergétique pour l’économie mondiale, et ce pour des raisons économiques qui devraient être évidentes. Cependant, pour tout ce qui touche aux affaires du monde aujourd’hui, étant donné la situation désespérée, nous ne devons pas être assez naïfs pour présumer que les nations, qui sont peut-être grandes - ou simplement puissantes - auront de ce fait une réaction saine face aux faits stratégiques pertinents.

Si je me concentre sur le pétrole, c’est dans le contexte des options stratégiques historiquement déterminées pour un Proche-Orient défini par son rôle ancien et actuel de carrefour stratégique de l’Eurasie. Après avoir défini ce contexte, je reviendrai sur la question du pétrole en tant que tel, abordant sa production et sa commercialisation en tant que facteur crucial d’une importance stratégique vitale pour le Proche-Orient, région dotée de qualités écologiques spécifiques et de caractéristiques culturelles implicites.

J’aborderai trois facteurs distincts mais liés, à prendre en compte dans toute tentative de prévoir l’avenir de la région et de son pétrole : le facteur écologique, l’économique et le politico-stratégique.

Pour commencer, observons avec un zoom, comme depuis une station spatiale en orbite, l’écologie passée et présente de cette partie de la biosphère mondiale. En pensée, revoyons le long processus historique de la fonte du grand glacier eurasiatique, il y a quelque 19 000 ans, quand le niveau des océans était à peu près 120 mètres plus bas que leur niveau actuel. Observez l’évolution de la région méditerranéenne au cours du millénaire suivant. Considérez la phase ultérieure de la grande dessiccation des régions, autrefois riches, du Sahara, du Golfe et de l’Asie centrale. Ce panorama, vu en accéléré, nous rappelle fort utilement ce que nous savions déjà : le facteur économique et stratégique le plus déterminant de cette région n’est pas le pétrole mais l’eau douce. La caractéristique de cette partie d’une civilisation à prédominance islamique, qui s’étend du « toit du monde » en Asie jusqu’au Moyen-Orient et à travers l’Afrique du Nord, est la lutte continuelle contre la désertification qui avance depuis six à huit mille ans.

Aujourd’hui, nous avons la capacité scientifique de commencer à contrôler, sinon de renverser, certains effets de ce processus. Voilà le principal défi écologique stratégique qui entrave la réalisation d’un potentiel autrement énorme, présent dans la civilisation arabe depuis presque deux millénaires. C’est dans la mesure où nous faisons des progrès significatifs dans l’application et l’amélioration des méthodes de production et de distribution de l’eau douce, que d’autres facteurs décisifs de développement verront le jour. Dans ce cas, le potentiel stratégique implicite du Moyen-Orient au carrefour de l’Eurasie pourra se réaliser. Toute prévision à long terme sur l’avenir du pétrole moyen-oriental doit se situer dans le cadre de ce défi.

Le développement de la production et de la gestion de l’eau douce, qui est lié au rôle du pétrole, est le fondement indispensable de toutes les autres perspectives optimistes pour un développement pacifique et politiquement stable de la région proche-orientale. Si les gens manquent de l’essentiel pour la vie, il n’y pas de paix. Ils vivront comme les vagues successives de « pirates terrestres » de l’empire mongol, qui déferlèrent en Europe et au Moyen-Orient depuis l’Eurasie dans un passé lointain. Il n’y aura pas de paix sans approvisionnement adéquat en eau.

Le concept du pont terrestre

Ceci m’amène aux questions économiques centrales. A cette fin, considérons que le plus grand potentiel économique du Proche-Orient est sa position de carrefour pour l’ensemble de l’Eurasie. Bien que l’importance stratégique du canal de Suez reliant la Méditerranée et l’océan Indien soit évidente, je vais démontrer pourquoi les routes terrestres traversant le Proche-Orient sont des formes de transport beaucoup plus intéressantes pour l’Eurasie, mais aussi comme liaison entre l’Afrique et l’Asie.

C’est une règle comptable élémentaire que le coût du transport d’un produit, que ce soit par mer ou autrement, doit être comparé à son coût de production jusqu’à son chargement. Par conséquent, nous tendons à transporter des produits ayant un prix par tonne relativement faible, comme le pétrole et les céréales, par voie maritime ou fluviale, ce qui coûte moins cher. L’augmentation du travail productif, sous forme de valeur ajoutée au produit, au cours des diverses phases de production, réduit la part des coûts de transport dans la valeur totale de ce produit. Donc, plus la valeur ajoutée à un produit brut ou semi-fini est élevée, plus la prospérité relative que l’exportation de ce produit apportera à la région ou au pays exportateur augmente. C’est un fait que les meilleurs économistes et hommes politiques d’Europe et des Etats-Unis ont compris depuis plus de 150 ans.

Jusqu’à l’époque moderne, le transport par voie d’eau constituait le principal fondement de l’amélioration des conditions matérielles de la vie humaine. Ceci jusqu’à ce que, voilà 170 ans, l’économiste germano-américain, Friedrich List, esquisse un concept de ce qui allait devenir la révolution des chemins de fer. Ce développement a été accéléré par la mise en place aux Etats-Unis, à l’époque du président Abraham Lincoln, d’un système de chemins de fer transcontinental, qui contribua de façon décisive à faire de ce pays une puissance économique mondiale. Après 1876, les « méthodes américaines », illustrées par le système de chemins de fer transcontinental, furent adoptées en Allemagne, en Russie, au Japon et ailleurs, y compris en Chine.

Il est vrai que l’effort pour relier par rail l’Atlantique au Pacifique, vers l’est, tout comme les Etats-Unis l’avaient fait en direction de l’ouest, était considéré par l’empire britannique comme une menace à sa suprématie maritime stratégique dans le monde, ce qui allait donner les deux guerres mondiales géopolitiques du XXème siècle. Il est vrai aussi qu’il existe aujourd’hui aux Etats-Unis une faction « utopiste » influente, prête à déclencher une guerre géopolitique dans toute l’Eurasie continentale afin d’empêcher le développement interne des continents asiatique et africain. Cependant, bien que cette géopolitique soit totalement contraire à toute définition rationnelle des intérêts d’une économie américaine en proie à l’effondrement monétaro-financier mondial, elle est malheureusement soutenue par certains cercles très puissants, du moins pour le moment.

Dès lors, quelle que soit la politique américaine, la réalité de la crise mondiale va probablement nécessiter quelques changements fondamentaux dans cette politique et la façon de penser de ses dirigeants. Il n’y a aucun espoir que les Etats-Unis se remettent de la crise économique mondiale s’ils ne lancent pas une coopération en vue du développement des continents eurasiatique et africain, basé sur les voies de transport terrestre, et si les Etats-Unis doivent trouver une solution aux inévitables désastres que provoquera bientôt leur politique actuelle, elle doit réserver au Proche-Orient un rôle spécial.

La solution à cette crise stratégique n’est pas à chercher dans le pétrole en tant que tel, mais dans la façon d’utiliser sa production et sa commercialisation de manière à servir les intérêts plus globaux et à plus long terme de la région. Des gouvernements stables, des relations stables avec d’autres régions constituent la première ligne de défense contre les forces et les dangers qui la menacent actuellement. Le développement du transport est un excellent exemple des mesures de défense nécessaires.

L’avantage spécifique du rail moderne, ou des lignes à lévitation magnétique, par rapport au transport maritime, réside dans le fait élémentaire qu’à quelques exceptions près, le produit transporté par mer ne s’améliore pas, en tant que tel, pendant le trajet. Dans les conditions optimales, et sur le long terme, les corridors de transport basés sur le rail moderne ou la lévitation magnétique sont plus rapides et nettement moins coûteux que le transport maritime. Comme ce fut le cas des premiers réseaux de chemins de fer américains, ces routes n’étaient pas simplement vouées au transport ; c’est le système qui a transformé des zones économiquement insignifiantes en régions riches, jouissant d’un développement économique redoutable. Les investissements dans chaque kilomètre du réseau, le long de ces routes principales et secondaires, ont engendré un gain net pour la nation sous forme d’activités agricoles, minières et industrielles, dépassant de loin le coût de la construction et de maintenance du système.

Au lieu de penser à relier deux points par une ligne ferroviaire ou un système à lévitation magnétique, considérez cette ligne comme l’épine dorsale d’un corridor de développement s’étendant sur 50 à 100 kilomètres de part et d’autre. Parallèlement à cette épine dorsale, on installera l’infrastructure nécessaire pour l’approvisionnement en eau et en électricité. En certains endroits, le long de ce corridor, on construira des complexes agro-industriels à côté de centres urbains. D’autres complexes de ce type, plus petits, peuvent aussi être créés ailleurs. Ce que je décris ici sommairement est l’équivalent moderne des méthodes utilisées pour créer une révolution agricole et industrielle aux Etats-Unis il y a un siècle et demi.

En concentrant dans ces corridors les ressources pour le transport, l’eau et l’électricité, on en tire la gestion la plus efficace. Et en s’efforçant d’y concentrer le développement, on obtient l’utilisation la plus économique de la superficie totale disponible. Dans des conditions de croissance continue, des corridors de développement secondaires se développeront rapidement à partir des corridors principaux.

Cette méthode peut aussi être appliquée, à l’aide d’une combinaison de technologies existantes ou en cours de mise au point, pour transformer l’intérieur de l’Asie, y compris ses déserts et toundras.

En appliquant la bonne politique, le coût net de tels corridors de développement est inférieur à zéro. Les biens et marchandises étant acheminés le long de l’épine dorsale du corridor, on génère de nouvelles richesses dans chaque complexe agro-industriel et résidentiel situé le long de cette route et aux alentours.

Maintenant, considérons le cœur du monde arabe, de l’Atlantique aux frontières de l’Iran, de la Turquie et de la Transcaucasie. Tournons notre regard vers le canal de Suez et le Sinaï, là où l’Afrique rejoint l’Asie. Considérons le transport maritime entre la Méditerranée et l’océan Indien, ainsi que le réseau de routes naturelles pour les corridors de développement terrestres qui rallieront aussi les ports maritimes. Prenons en compte les volumes de matières premières et de produits semi-finis qui passeront par le Proche-Orient en provenance d’Asie, à l’est, et d’Europe, à l’ouest.

Le Proche-Orient est aujourd’hui, comme il l’a été depuis des milliers d’années, avant même la construction des grandes pyramides d’Egypte, l’un des carrefours naturels du développement de la civilisation.

Je souligne encore qu’à chaque fois que nous transformons du matériel et des pièces en produits semi-finis ou finis, nous diminuons le pourcentage du coût du transport dans le coût total de ce produit. Le Proche-Orient ne doit pas être une simple route de transit pour les biens et marchandises ; il doit être aussi un théâtre dans tout le processus de production des richesses mondiales.

Que deviendra le pétrole proche-oriental dans ces conditions ? On assistera à une évolution naturelle des tendances de la consommation. La consommation domestique augmentera avec le développement productif. Aussi, le pétrole et le gaz naturel seront de plus en plus utilisés comme matières premières chimiques dans la production, notamment au Proche-Orient même.

Les questions stratégiques

Que peut-on donc prévoir pour l’avenir proche du pétrole ? Nous devons nous poser trois questions. D’abord, quelles sont les alternatives disponibles ? Deuxièmement, laquelle sera probablement retenue et par qui ? Troisièmement, le résultat sera-t-il un succès ou un désastre, comme les politiques de ces 35 dernières années qui ont amené le monde au bord de la catastrophe ?

S’il est intelligent, le monde comparera l’échec du système monétaire et financier de 1971 à 2002, avec ses taux de change flottants, au système qui a relativement bien fonctionné de 1945 à 1965 avec des taux de change fixes. Si la raison l’emporte, les aspects centraux de ce dernier système devront être intégrés dans la formulation de réformes globales d’urgence. Dans ce cas, nous rétablirons une forme protectionniste de système monétaro-financier à taux fixes, un nouveau système à réserve or, similaire à celui de la période 1945-65.

Au cours des 35 dernières années, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et d’autres puissances industrielles, autrefois fortes, se sont laissés démolir par l’absurde illusion d’une « société postindustrielle » ou « société de consommation ». Cette politique utopiste mena à la destruction, en 1971, du système monétaire et financier mondial, lorsque les dirigeants américains abandonnèrent le système en vigueur entre 1945 et 1965, déclenchant ainsi le démantèlement accéléré des systèmes de régulation sur lesquels reposaient la stabilité du développement économique et la prospérité.

Maintenant, ce système adopté en 1971 ne peut plus être sauvé. L’illusion de la « nouvelle économie » s’effondre. Ainsi, il y a 35 ans, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont opéré un changement dans la politique mondiale qui s’est avéré une terrible erreur. Il est temps de corriger cette erreur, de revenir à des principes sains, ayant fait leurs preuves, et de coopérer dans l’organisation de la reprise économique globale dont on a urgemment besoin.

Dans un contexte de faillite générale du système financier mondial, alors que la réorganisation à grande échelle des actifs faillis est en cours, le facteur décisif de la reprise économique sera la création de nouveau crédit à long terme et bon marché, principalement destiné à des programmes essentiels de mise en place d’infrastructures économiques de base. Ces investissements dans l’infrastructure permettront ensuite l’expansion du développement agricole et industriel. Ce sont les Etats-nations parfaitement souverains qui fourniront ces investissements, sous forme de prêts à très faible loyer, sur 25 ans ou plus.

Dans ce contexte, on doit augmenter massivement l’afflux de technologies de pointe vers des régions souffrant d’un manque critique d’apports technologiques.

Nous devons aussi conclure des accords à moyen ou long terme prévoyant des prix justes, relativement fixes, pour certaines catégories de biens, notamment dans le commerce mondial. Ce système de prix justes s’appliquera aux ressources énergétiques, notamment au pétrole, qui a une relation sensible avec la circulation du crédit dans le monde. Prix juste veut dire le prix auquel le pays fournisseur moyen peut continuer à produire, avec profit, la quantité et la qualité dont l’économie mondiale a besoin. Des prix stables pour les matières premières essentielles, comme le pétrole, conjugués à de faibles intérêts nominaux à long terme sur les flux internationaux de crédit, représentent une nécessité cruciale pour assurer un processus durable de reconstruction.

Ces mesures ne sont pas une question de goût, mais de survie, il faut les adopter. Si le bateau coule, aucun passager rationnel n’ira dire : « Je ne supporterais jamais qu’on me voie sur un canot de sauvetage ! »

Certains protesteront que nous sommes en temps de guerre et non pas dans les conditions de paix qui marquèrent le système monétaire de 1945 à 1965. C’est vrai. Cependant, si les nations ne sont pas prêtes à établir les préconditions institutionnelles d’une paix durable, notamment les conditions économiques essentielles, alors l’avenir immédiat de la civilisation, partout dans le monde, est sans espoir. Mieux vaut se sauver en embarquant sur le canot. Le premier pas à faire consiste à reconnaître, enfin, le fait tout simple que le bateau - le système financier et monétaire actuel - est en train de couler, irréversiblement. Alors, peut-être, les gouvernements et autres prendront-ils les mesures qui s’imposent pour assurer la paix et la prospérité.

 

Conférence d’Abu Dhabi 
Discussion en direct avec Lyndon LaRouche

Q : Vous avez accusé certains cercles américains d’être à l’origine des attaques du 11 septembre. Pouvez-vous préciser votre pensée à ce sujet et donner votre opinion sur Oussama Ben Laden ? Deuxièmement, comment interprétez-vous le favoritisme américain envers Israël et contre les Arabes ? Pensez-vous que la cause de ce favoritisme soit la domination du lobby sioniste ?

R : Ce qui s’est passé le 11 septembre n’aurait pu arriver sans la connivence d’éléments de haut niveau au sein même du commandement militaire américain. Peut-être vous rappelez-vous que le 10 septembre encore, le président George W. Bush s’était engagé à oeuvrer en faveur de la création d’un Etat palestinien. (...) Je participais à une émission de radio au moment même où se déroulaient les attaques. Comme je l’ai dit alors à l’antenne, j’espérais que quelque sot n’allait pas essayer d’en faire porter la responsabilité à Oussama Ben Laden qui, même s’il en avait eu l’intention, n’aurait jamais pu le faire. C’était une opération de l’intérieur, destinée à produire l’effet que l’on sait.

Les Etats-Unis sont engagés dans un type de guerre auquel je suis totalement opposé. Il s’agit d’une guerre généralisée, basée sur le choc des civilisations et, dans ce cadre, le gouvernement Sharon, en Israël, constitue un important détonateur. Les bombardements en Afghanistan compliquent la situation et, plus encore, la menace de bombardement ou d’attaque contre l’Irak. A ce stade, je suis préoccupé par le danger qu’une guerre de type choc des civilisations, dans le style de celles de l’empire romain, ne gagne rapidement toute l’Eurasie. Mais les auteurs [du 11 septembre] - ou ceux que je soupçonne, sans toutefois pouvoir le prouver, même si je sais que ce sont les réseaux de Brzezinski et de Huntington - voulaient pousser les Etats-Unis à adopter ce type de politique. Ils entendaient utiliser la terreur pour intimider le gouvernement américain et la population pour les amener à adopter cette politique que, sans cela, ils auraient rejetée.

Pour moi, Oussama Ben Laden n’est pas significatif. Il avait une certaine importance quand il travaillait pour les Américains et les Britanniques, mais je ne pense pas que ce soit encore le cas aujourd’hui.

Le rôle du Président

Q : M. LaRouche, je voudrais savoir dans quelle mesure le président américain peut exercer un pouvoir de décision stratégique. Existe-t-il d’autres cercles aux Etats-Unis, des cercles officieux, qui puissent peser activement sur cette prise de décision stratégique pour le pays ?

R : Permettez-moi d’être très franc, et aussi délicat que possible, concernant un certain aspect de cette question. [George W. Bush] n’est certes pas le président des Etats-Unis le plus compétent que nous ayons jamais eu. Ses limites sont connues. Il est donc vulnérable aux influences extérieures. Lorsqu’on est le dirigeant d’un pays, et des Etats-Unis en particulier, on doit mettre de côté toutes les considérations politiques secondaires. On doit répondre de ses décisions auprès de la population de cette nation, et des générations futures. On doit devenir la conscience de la nation. Ce pauvre gars [Bush] est incapable de faire cela.

Le problème fondamental (...) n’est pas le lobby sioniste en tant que tel, car la force principale qui pousse le Président à soutenir Sharon n’est pas la communauté juive. (...) Le facteur le plus important, c’est ce qu’on appelle les sionistes chrétiens, les chrétiens fanatiques. Ce sont eux qui soutiennent Sharon sur le plan international. D’autres exploitent ensuite cette situation pour amener le Président à accepter ce qu’il refuserait autrement.

Si vous connaissez l’histoire de ce conflit [au Moyen-Orient], vous connaissez la position qu’avait James Baker III, lorsqu’il était secrétaire d’Etat, sur la question d’Israël. Ses propos, plutôt raisonnables, en tant que porte-parole du gouvernement sont à comparer à la politique de l’administration Bush ; on a affaire à des politiques divergentes. Bush et les siens ne sont pas hostiles aux Palestiniens ni aux Arabes ; ils sont peut-être opportunistes sur la question, mais ils n’ont rien contre eux. Ils aimeraient des arrangements mutuellement profitables, mais dans cette situation, ils ont été poussés (...) par une faction puissante aux Etats-Unis, qui partage les idées de Brzezinski, Huntington et Kissinger. C’est de là que vient le danger.

Mes efforts pour infléchir cette politique, de l’intérieur même des Etats-Unis, s’appuient sur ces considérations. Il y a beaucoup d’Américains, en dehors du monde politique de Washington, qui ne sont vraiment pas satisfaits de la politique [proche-orientale] de Bush et voudraient qu’il en change. Nous devons donc amener le Président à changer de politique, car ce n’est pas le genre de personne à comprendre tout seul la voie à suivre.

Occupation des champs pétroliers

Q : Les médias font souvent état d’un plan, à Washington, visant à occuper les champs pétroliers du Golfe. Y a-t-il une menace contre les intérêts américains dans la région ? Que pensez-vous de ces plans ?

R : Il n’y a aucune raison rationnelle que les Etats-Unis envisagent une telle action. Mais cela ne veut pas dire qu’elle n’aura pas lieu. A Washington, il s’est passé beaucoup de choses, ces derniers temps, qu’aucun Président sain d’esprit n’aurait souhaité faire. La situation est hors de contrôle. N’oubliez que, contrairement à ce que vous disent CNN et d’autres médias, les Etats-Unis se trouvent déjà dans un processus de dépression économique bien plus grave que celui de 1929-1933. Ce n’est pas un processus qui pourrait arriver, il se déroule déjà. On le voit tous les jours si on regarde en détails ce qui se passe au niveau de l’économie américaine et en Europe. Et cela va aller en s’aggravant.

Pourtant, le gouvernement prétend qu’il n’y a pas de crise économique. On injecte tous les jours des millions de dollars - ou plutôt de l’argent japonais - dans le système, pour tenter de dissimuler la faillite irréversible qui se développe. Mais si le yen n’est plus au rendez-vous, si la bulle immobilière éclate, etc., alors tout sautera.

Ce sont surtout les 10 % ou 20 % de la population les plus riches qui sont très fortement impliqués dans les marchés. Or, ils vont connaître une banqueroute comme le monde n’en a pas vue depuis des siècles, ce sera bien plus grave que dans les années 30. Les institutions politiques le savent et elles sont affolées. Quand les gens paniquent devant une situation désespérée, comme c’est actuellement le cas de la classe dirigeante américaine, et que les pressions sur le gouvernement américain augmentent, alors tout est possible. On ne peut rien dire, ni prédire, on ne peut pas demander à un astrologue ce qui va se passer la semaine prochaine. Il faut se hâter d’intervenir pour empêcher la catastrophe. C’est ce que je fais chaque jour.

Une fois que les Etats-Unis auront admis l’existence de la dépression, la situation s’assainira car le gouvernement devra abandonner toutes les politiques pour lesquelles il a été élu ; libre-échange, mondialisation, etc. Il nous faut revenir à des réformes comme celles de la période de Franklin Roosevelt ; or nos dirigeants ne sont pas encore prêts à cela. S’ils reconnaissent que « nous sommes dans une dépression », les Américains répondront, « faisons ce qu’a fait Roosevelt ». Alors, la raison reprendra ses droits. Mais avant, nous serons dans une situation extrêmement dangereuse et nous devrons lutter dans chaque pays (...) pour intervenir, partout où nous le pourrons, afin d’empêcher le pire.

Perspectives de coopération

Q : Il y a eu dans le passé une confrontation entre producteurs et consommateurs [de pétrole]. Avez-vous espoir que les deux parties puissent se concerter et planifier une coopération future ?

R : J’ai beaucoup d’espoir. (...) Nous nous trouvons en plein effondrement du système monétaire et financier international et de l’économie. (...) Toute tentative de le nier est vaine. Dans ces conditions, comment l’économie mondiale pourrait-elle connaître une reprise ? (...) Ce système financier est devenu malsain. Nous avons des opérations financières qui se montent à des centaines de milliers de milliards de dollars. Nous n’en connaissons pas vraiment le montant, parce que les marchés ne sont pas régulés, mais il s’agit d’engagements financiers, de bulles financières de toutes sortes. Nous assistons déjà à l’effondrement du secteur des télécoms. C’est donc une faillite majeure qui se prépare.

Il est pourtant possible de sauver l’économie, moyennant une coopération entre gouvernements nationaux, mais cela nécessite des accords d’Etat à Etat analogues à ceux que nous avons établis à l’époque du premier accord sur le Fonds monétaire international (FMI). Nous devons revenir au modèle de 1945-1965 et (...) procéder à une réorganisation financière, en mettant le système financier en règlement judiciaire et en mobilisant le crédit public en vue de grands projets d’infrastructure. Il nous faut instaurer un système monétaire à réserve or, car nous avons besoin d’un taux de change fixe. Sinon, il est impossible d’assurer des prêts bon marché à long terme, à 1 ou 2 %, sur le marché international.

Considérons maintenant certains aspects commerciaux. Le pétrole devrait avoir un prix fixe, négocié entre nations consommatrices et productrices, parce qu’il s’agit de la matière première la plus importante, l’énergie. Sur les marchés internationaux, son prix devra être lié à un taux de change.

Ainsi, l’économie fonctionnera et nous pourrons investir. Nous devons donc adopter un système à taux de change fixes, comprenant les mêmes dispositions que celles d’avant 1971. Je présume que, dans ce contexte de crise, lorsque les gouvernements auront admis qu’il y a une crise, ils se concerteront au plus haut niveau et diront : « Etablissons un nouveau système basé sur les expériences les mieux réussies du système précédent ».

La question irakienne

Q : M. LaRouche, j’ai deux questions. D’abord, certains analystes disent que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne cherchent à bâtir un empire anglo-saxon. Qu’en pensez-vous ? Deuxièmement, certains pensent que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis préparent un scénario pour renvoyer des inspecteurs en Irak, afin de lancer un assaut contre ce pays. Avez-vous un commentaire là-dessus ?

R : La question irakienne est compliquée parce que les Etats-Unis n’ont pas, actuellement, la capacité d’attaquer l’Irak, pas dans le sens d’y mener une guerre. Selon les estimations de l’armée américaine, il faudrait 200 000 à 500 000 soldats pour mener à bien une guerre contre l’Irak. Le nombre varie suivant la contribution de troupes turques ou autres à l’opération.

Par contre, à Washington, les cinglés au pouvoir entendent pénétrer en Irak le plus vite possible, à tout prix, en s’appuyant sur la puissance aérienne et autres moyens similaires qui viennent d’échouer en Afghanistan. Ceci reste une possibilité, dans la mesure où des cinglés tendent à commettre des actes cinglés. Et si le Président les y autorise, s’il ne leur refuse pas l’opération, ils la lanceront.

Cependant, comme vous le savez, le secrétaire d’Etat et les militaires professionnels du Pentagone allèguent que ce serait de la folie. Maintenant, s’ils s’y opposent, ce n’est pas par amour de la paix, mais parce qu’en tant que militaires responsables, ils pensent que l’opération ne peut pas réussir. Ils appellent donc à reporter à plus tard toute intervention ou à recourir à d’autres options.

Pour revenir à la première question, il existe une faction très ancienne, remontant à H.G. Wells et à Bertrand Russell dans les années 20 et 30, qui est très puissante et très influente dans les cercles internationaux, notamment anglophones. Ces réseaux, que nous appelons les « utopistes », ont toujours cru que la seule existence d’armes nucléaires aurait un impact si terrifiant sur les esprits que les nations accepteraient d’abandonner leur souveraineté et se soumettraient à un gouvernement mondial, plutôt que d’envisager le recours à de telles armes en cas de guerre.

Cette faction a pris le contrôle de la politique militaire américaine à la fin du mandat du président Eisenhower, déclenchant, de 1961 à 1965, une grande crise à travers le monde - ponctuée d’assassinats, de coups d’Etat et d’autres incidents violents.

C’est cette faction qui domine aujourd’hui la politique militaro-stratégique au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Son but, surtout depuis la dissolution de l’Union soviétique, est d’éliminer tous les Etats-nations, notamment à travers la mondialisation, pour établir un « Etat de droit » mondial, dans lequel des juges nommés, siégeant à un endroit donné, auraient le droit de juger tout citoyen de quelque nationalité que ce soit sans le consentement des autorités de son pays.

Ce plan vise à instaurer un nouvel Empire romain, dans lequel les légions - les tueurs - pillent le monde, s’approprient les richesses et abattent des individus dans le but de mieux contrôler les peuples assujettis. En Grande-Bretagne, certaines voix s’élèvent, comme dans le Guardian par exemple, pour dénoncer cette folie. Mais le gouvernement Blair soutient entièrement cette politique américaine. Des intérêts et des forces britanniques travaillent [dans cette direction]. (...)

Depuis l’époque moderne, nous avons développé un concept devant régir la conduite de la guerre : au cours des combats, il y aura des morts, mais le but n’est pas de gagner la guerre en tuant un maximum de personnes. Contrairement à une idée largement répandue, les Etats-Unis n’ont pas gagné la Deuxième Guerre mondiale parce qu’ils avaient tué beaucoup de monde, mais plutôt, comme dans le cas [du général Douglas] MacArthur, en utilisant leur supériorité logistique pour contrôler la situation ; ils ont ainsi pu vaincre l’adversaire sans trop de pertes humaines. Car l’objectif de la guerre est la paix ; or, si l’on tue tout le monde ou presque, comment obtenir des survivants qu’ils acceptent la paix ? Par conséquent, on mène une guerre et on la gagne, afin de gagner la paix. De ce point de vue, la méthode qu’on nous propose actuellement est mauvaise, non seulement parce qu’elle est aventuriste du point de vue militaire, mais parce que c’est un concept de légions romaines, qui maintiennent l’ordre en tuant les gens et en les terrifiant pour les obliger à se soumettre.

En Afghanistan aujourd’hui, il n’est pas possible que les Etats-Unis sortent vainqueurs. C’est une guerre de montagne contre des forces combattantes déterminées, qui s’évanouissent dans le paysage puis ressurgissent pour frapper à nouveau. Et cela se poursuivra tant que les Etats-Unis seront haïs.

Telle est l’objectif de ces gens [les utopistes]. Ils existent bel et bien et représentent un danger. Ma préoccupation majeure depuis un certain temps consiste à faire prendre conscience de ce danger, aux Etats-Unis mêmes et ailleurs, et à mobiliser la population américaine contre cette politique. J’ai bon espoir que le monde prenne conscience de ce problème et que nous puissions le traiter.

Qui dirige véritablement les Etats-Unis ?

Q : Un journaliste d’Al Jazeera : M. LaRouche, n’exagérez-vous pas un peu le rôle joué par Huntington et Brzezinski aux Etats-Unis ? Nous savons que beaucoup d’Américains ne connaissent pas Huntington et qu’il est plus populaire dans les nations arabes qu’en Amérique. Par ailleurs, vous avez dit que le président américain était un incapable. Comment expliquez-vous qu’il soit le président le plus populaire d’Amérique ? Est-ce un problème au niveau de la population, ou du Président ?

R : Aux Etats-Unis, la cote de popularité est largement contrôlée par la presse. On raconte une anecdote fameuse sur le Pape. Elle est véridique. Alors qu’on lui demandait un jour : « Comment vous sentez-vous aujourd’hui ? Comment va votre santé ? », il répondit : « Je ne sais pas, je n’ai pas encore lu la presse. » Le Président n’est pas la personne la plus populaire aux Etats-Unis. Mais il y a dans ce pays des gens, soumis aux médias, qui disent ce qu’on attend d’eux.

Si vous aviez demandé aux Allemands [dans les années 30] : « Aimez-vous Adolf Hitler ? », ils auraient sans doute répondu : « Oui, nous l’aimons ». Ils le détestaient peut-être, ils se moquaient de lui, mais l’opinion populaire veut que, dans une nation puissante, l’on dise ce qu’on attend de vous.

Huntington est très connu aux Etats-Unis. C’est l’un des représentants d’un groupe qui a été créé à l’université de Harvard, sous la direction de William Yandell Elliott. Ce dernier a formé des personnes comme Henry Kissinger, Zbigniew Brzezinski (...).Pendant huit ans, les deux gouvernements Nixon n’ont pas été dirigés par Nixon, mais par Henry Kissinger. L’administration Carter n’était pas dirigée par le président Carter ; Carter a été choisi pour le poste de Président par Zbigniew Brzezinski, un proche collaborateur et co-penseur de Huntington.

Les politiques moyen-orientales de Kissinger, Brzezinski et Huntington n’ont pas été concoctées à Harvard. Elles remontent au Bureau arabe britannique, en la personne de Bernard Lewis, le père conceptuel de la politique d’« arc de crise », qui est peut-être connue de certains d’entre vous depuis les années 70 et 80.

C’était le prédécesseur de la politique du choc des civilisations. Telle est la réalité des Etats-Unis. Ce pays est dirigé de haut en bas par des personnes qui sont de plus en plus coupées des partis politiques. [Les Américains] votent pour tel ou tel parti, mais ils n’y sont pas actifs. Ils en sont détachés. J’espère les faire redevenir politiques. Nous sommes dirigés par une élite, qui comprend des gens de la RAND Corporation, de la Olin Foundation, du Olin Institute et de la Brookings Institution. C’est elle qui, avec des financiers de Wall Street, contrôle la direction des partis et l’opinion publique tout comme les médias américains.

La politique se fait souvent en coulisses et les gens ne voient que ce qu’on veut bien leur montrer. Quant à Huntington, vous avez été mal informé. Il a écrit un livre en 1956 à Harvard, sous la supervision d’Elliott, à l’époque où il était dans le même groupe que Kissinger. Ce livre s’appelle The Soldier and the State [Le soldat et l’Etat]. La politique militaire utopiste se base justement sur ce livre, qui a été régulièrement réédité jusqu’à présent.

Aussi, quand vous parlez de Huntington, vous parlez de l’auteur du livre qui a le plus influencé, dans un sens négatif, la façon de pensée des cadres militaires américains d’aujourd’hui. Ce n’est pas un obscur personnage. En comparaison, le président Bush, lui, est parfaitement obscur, si on en juge par son influence.

Q : On a rapporté le mois dernier que certains membres du Congrès américain avaient soumis une proposition autorisant la prospection dans des zones protégées [des USA], à condition que le pétrole et le gaz naturel qu’on y découvrirait soient réservés à l’exportation vers Israël. Qu’en pensez-vous ?

R : On voit effectivement émerger des initiatives de ce genre, comme celle, notoire, du député Tom Lantos, ou de Tom Delay [le chef de la majorité à la Chambre], du Texas, qui est un sioniste chrétien fanatique. Ce qui ne veut pas dire que ce sont des chrétiens, mais des « sionistes chrétiens », comme Pat Robertson ou Jerry Falwell, qui sont plus pro-Israël que les Israéliens. Ils ont probablement été achetés par l’argent dit sioniste, ou par la clique Mega, à New York.

Ces gens croient que s’ils peuvent provoquer une guerre généralisée au Proche-Orient, débouchant sur l’Apocalypse, alors Dieu interviendra et ils n’auront pas à payer de loyer le mois prochain. Ils le croient vraiment, comme on peut le constater en regardant la télévision américaine et les émissions internationales de ces cinglés. Ce sont actuellement les fous les plus dangereux de cette planète. (...) Et ils comptent d’importants représentants au Congrès. Il y a donc bien des députés cinglés qui disent ce genre de choses. Mais la menace n’est pas forcément réelle, parce qu’ils disent souvent ce que d’autres veulent leur entendre dire, sans vraiment chercher à obtenir ce résultat.

Parler de la crise économique

Q : Vous avez appelé à une coopération entre les Etats-Unis et les pays producteurs du Moyen-Orient et vous avez suggéré de nombreuses solutions. Mais dans la réalité, on se demande si une telle coopération pourrait être effective entre l’Europe, les Etats-Unis et le Moyen-Orient, étant donné l’opacité de la politique américaine et l’approche « deux poids, deux mesures » qu’ils adoptent pour résoudre les problèmes, surtout le problème palestinien et les points chauds en Asie. Comment établir une telle coopération alors que la position américaine est si peu claire ?

R : C’est effectivement cela. Il y a un problème en Europe : la majorité des Européens de l’Ouest soutiennent entièrement [une telle coopération] et rejettent totalement ce que fait Israël. Ils sont opposés à la politique américaine envers le Moyen-Orient. Mais ils n’ont aucun courage. Sans doute quelques-uns osent-ils s’exprimer ici ou là. Mais quand les Etats-Unis parlent, le Royaume-Uni et surtout l’Europe continentale répondent, « oui, Père, nous t’écoutons ».

Cette question est vitale. J’ai parlé de cette région comme d’un carrefour entre l’Eurasie et l’Afrique. Mais si le chaos que certains voudraient déclencher dans le monde musulman s’installe, où pourra-t-on trouver la paix en Eurasie ? Pour instaurer la paix et le développement économique en Eurasie, il faut [une coopération] entre la Chine, l’Inde, le Pakistan et la Russie, et un climat de paix. Ensuite, d’autres nations pourront s’y joindre pour coopérer. Mais tant que les conflits se déchaînent, on n’aura pas la paix.

Si l’on déclenche une guerre contre l’Islam - car c’est bien cela qu’ils veulent, une croisade contre l’islam - alors l’Europe n’a aucune chance car pour sortir de la crise économique, elle a besoin des marchés asiatiques, essentiellement, et du Proche-Orient, qui comprend la Turquie et l’Iran. Si cette zone est déstabilisée, l’Europe n’a aucune chance.

Par conséquent, l’intérêt vital de l’Europe consiste à garantir la paix au Proche-Orient, et tous les dirigeants européens auxquels nous avons parlé, que ce soit en Italie, en Allemagne, ou certaines personnes sensées en France, tous reconnaissent que la paix au Proche-Orient est un impératif stratégique urgent pour l’Europe, sur le plan économique et autre. Autrement, adieu l’Afrique, adieu l’Asie.

Mais les Américains disent, « à présent, nous dirigeons le monde, et les Britanniques nous soutiennent, du moins Tony Blair ». Cependant, certains Britanniques sont très critiques à ce sujet, pour différentes raisons.

Que va-t-il donc se passer ? Pourquoi suis-je optimiste ? Parce que le système monétaire et financier s’écroule. Dans ces conditions, les Etats-Unis n’ont pas le pouvoir de réaliser leurs projets. Ils ont décidé de devenir un nouvel empire romain alors que leur puissance est sur le déclin, tandis que l’empire romain fut formé au moment où Rome était au faîte de sa puissance.

Certes, les Etats-Unis sont toujours une nation potentiellement puissante, mais avec une économie malade. Pour sortir du désastre, ils doivent passer des accords avec d’autres nations, notamment l’Europe et le Japon, ainsi qu’avec les pays asiatiques. (...) Si j’étais président des Etats-Unis, nous pourrions commencer à en sortir dès demain ; car si le président américain appelait les dirigeants d’autres nations et leur disait  : « Réunissons-nous demain, nous sommes dans une crise économique et nous devons arriver à un accord d’urgence », ils répondraient. Ils râleraient, ils protesteraient, mais ils viendraient. Et l’on conviendrait d’un nouveau système. Pas un système parfait, mais un système qui nous permette de stabiliser la situation mondiale.

Dans ces conditions, à ce moment-là, l’Europe, dont la voix est aujourd’hui devenue presque inutile sur cette question, redeviendrait soudainement très importante, parce qu’elle serait alors en position d’affirmer ses intérêts.