Faut-il craindre l’inflation et la Théorie monétaire moderne (TMM) ?

dimanche 16 mai 2021, par Karel Vereycken

Notre ennemi le plus redoutable ? Nos illusions. Or, si nous avons pu supporter les restrictions et contraintes de la Covid-19, c’est notamment grâce à la présence, dans les rayons de nos magasins, de ce qu’il faut pour nous nourrir… Il faut sans doute y ajouter « pour l’instant... ».

Je ne suis pas collapsologue, mais en y regardant de près, la crise économique, par ricochet et si rien n’est fait pour anticiper les événements, risque de passer d’un simple problème financier et comptable (facile à gérer), à une crise d’effondrement dévastatrice et existentielle (ingérable).

Signe précurseur, tous nos responsables du BTP furent pris de panique fin avril. En cause, les pénuries de matériaux et une flambée des prix sans précédent. Avec la pandémie, l’Europe et les Etats-Unis apprennent amèrement qu’ils avaient ignoré un détail dans leur équation du bonheur, celui de l’économie réelle.

Après la pénurie des masques, des substances actives pour les médicaments et des terres rares, le tour au semi-conducteurs. Privées de ces composants en provenance d’Asie, certaines chaînes de montage automobile se sont brutalement arrêtées.

Et maintenant, après l’acier, le cuivre, le bois de construction et les métaux non ferreux, ce sont les plastiques qui manquent. Le mouvement s’est accéléré depuis le début de l’année 2021. Ainsi, sur les dix derniers mois, le cuivre a augmenté + 30 % ; les polyéthylènes de + 30 % ; l’aluminium de + 22 % ; le PVC de + 20 %.

Inflation : comment expliquer une telle dérive des coûts ?

En premier lieu, une conjonction de plusieurs facteurs externes à la France et l’Europe. Avec une croissance de 18 % pour le premier trimestre en Chine et les plans de relance américains qui se précisent, les industriels, après avoir épuisés leurs stocks, se sont précipités sur les matières premières dont ils estiment avoir besoin et dont les prix explosent dans une économie mondiale désorganisée.

Prenez le secteur du textile. Lors du premier confinement, l’activité de production se réduit fortement en Chine, principal fournisseur de matière en Europe. Après avoir puisé dans leurs stocks, les entreprises textiles françaises, qui fournissent de nombreux secteurs d’activité, de l’habillement à l’automobile en passant par le médical, subissent des hausses de prix et des retards qui se répercutent sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Aujourd’hui, sous l’effet de la pénurie de matière et d’une forte reprise de la demande, les prix du lin, du coton ou du polyester ont subi plus de 30 % de hausse ces cinq derniers mois...

Le secteur alimentaire connaît lui aussi un début d’emballement. Alors que le Programme alimentaire mondial (PAM) de l’ONU tire la sonnette d’alarme sur le retour de la famine et la sous-nutrition, les prix des denrées alimentaires partent à la hausse, notamment le blé (+3,6 %), l’orge (+2,7 %) et le maïs (+3,7 %). Et avec la crise sanitaire et la sécheresse au Brésil, le prix de la nourriture pour le bétail grimpe, tel le colza (+2,5 %) et le tournesol (+2,9 %). A cela s’ajoute celui des arômes, de la poudre de lait ainsi que celui des emballages en plastique et en carton (+10 à +20 %).

Étant donné qu’en Europe la demande de containers en provenance d’Asie bondit, les navires s’accumulent dans les ports, les délais de déchargement s’allongent et les prix du fret explosent. De février 2020 à février 2021, suite à la raréfaction des navires et même des containers, le coût pour faire venir une boîte classique de 40 pieds de Shanghai à Rotterdam, est passé de 1800 dollars à 8000 dollars (+ 444 %) !

Devant une menace de pénurie et de flambée des prix, le réflexe légitime de tout producteur, c’est de refaire ses stocks avant que les prix grimpent encore plus. Cependant, comme en 2008 sur les produits alimentaires et faute de régulation, c’est également les boursicoteurs qui saisissent l’occasion pour se faire des fortunes, le tout alimentant non pas les hommes mais une spirale spéculative destructrice.

Véritable bombe à retardement, cette « double peine » (raréfaction et flambée des prix), pousse des secteurs entiers de notre économie à la faillite. D’abord, les entreprises doivent honorer des commandes avec des coûts de matières dépassant de très loin les contrats, à perte donc.

Pire encore, faute d’approvisionnement de certains matériaux, elles risquent de subir des pénalités de retard. Pour survivre, les fédérations professionnelles réclament « la réactivation des ordonnances permettant le gel des pénalités de retard ». « Il en va de la santé des entreprises qui sont déjà fragilisées par une baisse de 15 % de leur activité sur 2020, corollaire du choc de la pandémie. » Un retour à la normale, s’il est encore possible, n’est attendu que pour septembre 2021 selon les secteurs. Car au final, la forte augmentation des prix des aciers et bois de structure pourrait s’avérer durable. Et dans ce cas, surtout dans une perspective (on l’espère) de dé-confinement mais signifiant du coup la fin de leur survie sous perfusion, les producteurs répercuteront la hausse de leurs coûts de production sur les prix aux consommateurs. A moins qu’on leur accorde une forte hausse de niveau de vie, ces derniers se révolteront.

Tous les ingrédients sont ainsi réuni pour qu’une inflation conjoncturelle (par exemple une forte hausse du prix de denrées alimentaires suite à une sécheresse) dégénère en « spirale inflationniste ».

« Triple courbe » de l’économiste américain Lyndon LaRouche définissant une fonction d’effondrement. Initialement, la sphère financière prospère au détriment de l’économie physique (courbe rouge). A partir d’un certain moment, tout ajout supplémentaire de liquidités (courbe bleue) provoque l’effondrement de la valeur des actifs (courbe verte).

Selon la théorie monétariste (Friedman, Laffer, etc.), si des salariés demandent une revalorisation de leurs salaires suite à une hausse des prix, les profits des entreprises chutent, ce qui va les inciter à augmenter à leur tour le prix de leurs produits pour tenir. Constatant l’augmentation du prix des produits et donc la diminution de leur pouvoir d’achat, les ménages exigent alors une fois de plus une revalorisation de leur salaire, et ainsi de suite. C’est ce qu’on appelle la fameuse « boucle prix-salaires ».

Dans une poignée de pays, dont la France, tant que l’Etat amortit le choc en aidant les entreprises en difficultés, on peut éviter que cette boucle prix-salaires s’installe durablement et déclenche la dynamique inflationniste.

Dans d’autres pays, comme le Nigeria, ce n’est pas le cas. Faute d’approvisionnements suffisants, la hausse des prix perdure et l’inflation, en hausse depuis 33 mois de suite, y est passé de 15,75 % en décembre 2020 à 16,47 % en janvier 2021.

Le site Cointribune rappelle que pour la BCE, l’objectif (jamais atteint) est de garder l’inflation en dessous de 2 %. Cela paraît peu, mais une inflation de 2 % par an signifie que la monnaie perd 50 % de sa valeur en 21 ans, et avec un taux de 3 % d’inflation par an, c’est une perte de 50 % en 14 ans. 2 % est un compromis permettant de faire avaler la pilule en douceur.

En France, officiellement, on admet 1,2 % d’inflation. Cependant, dans les faits, elle dépasse sans doute les 2 % car l’INSEE exclut la valeur de l’immobilier de son calcul. L’Institut utilise également d’autres astuces comme les fameux effets « innovation » et « qualité » permettant d’ajuster (comprenez falsifier) les chiffres. Chez nos voisins, c’est pire : 2 % en Allemagne et 2,2 % en Espagne au mois d’avril. Sans parler des Etats Unis, où le glissement annuel des prix à la consommation atteint 4,2 %, un sommet depuis septembre 2008.

Pour les monétaristes, au nom de la lutte contre l’inflation, toute augmentation du pouvoir d’achat est considérée comme « un crime » risquant de conduire à une forte inflation et donc à la spoliation de la richesse du plus grand nombre.

La menace de l’inflation a toujours été brandie par les monétaristes (surtout par la Banque centrale européenne) pour s’opposer à tout Etat stratège qui décide de s’endetter pour investir dans son avenir. Un « cercle de la raison », affirme qu’à part l’austérité et les coupes budgétaires, aucune autre politique n’est possible, pas même sous forme de débat, quitte à étrangler toute dynamique de croissance et de développement. Ce dogmatisme, après avoir ruiné le tiers monde, a ruiné la Grèce, l’Italie, le Portugal, l’Espagne et bien d’autres pays ayant succombé à cette politique.

Ce que les monétaristes nous cachent, c’est que depuis des décennies, c’est avant tout eux qui ont injecté des milliers de milliards dans des circuits financiers spéculatifs où l’on crée du profit avec de l’argent sans créer la moindre richesse. En clair, cette création d’actifs fictifs sans la moindre contre-partie dans le monde réel, c’est-à-dire la recette idéale pour produire de l’inflation, engendrera bien plus de dégâts que toute hausse des salaires ou de dépenses budgétaires.

Or, dans les jours et mois qui viennent, quelques grosses faillites (non-ordonnées) suffiront pour que cette énorme masse de liquidités, sortant hors contrôle et échappant à la niche où elle est cantonnée pour l’instant, provoque un ouragan hyper-inflationniste capable de balayer tout sur son chemin : nos épargnes, nos emplois, nos usines, nos hôpitaux, nos vies. Un Weimar planétaire...

La Théorie monétaire moderne (TMM)

Pour financer sa relance, Biden a esquissé plusieurs stratégies : une taxe sur les plus riches, qui avaient annoncé être prêts à payer plus d’impôts ; un relèvement de l’impôt sur les sociétés ; et enfin, à défaut d’annuler des dettes, laisser filer les déficits.

Tant avec Trump qu’avec le « quoi qu’il en coûte » de Macron, les sacro-saints principes de l’orthodoxie budgétaire, connus comme les « critères de Maastricht », sont passés à la trappe aux Etats-Unis, et ont été temporairement suspendus en Europe. Sous Trump et Biden, le Congrès a autorisé des dépenses déficitaires de plus 6 000 milliards de dollars pour vaincre le coronavirus. C’est 1,5 fois ce que les États-Unis ont dépensé pour la Seconde Guerre mondiale !

C’est suite à ces choix que l’on sort désormais de l’ombre les économistes adeptes de la « Théorie monétaire moderne » (TMM).

Stephanie Kelton, Le mythe du déficit, Editions Les liens qui libèrent, 2021.

Cette théorie (ancienne) a été remise à l’ordre du jour par l’industriel et économiste américain Warren Mosler (les principes de la Théorie monétaire moderne). Aujourd’hui, elle est surtout médiatisée par Stephanie Kelton, une économiste qui a conseillé Bernie Sanders lors des primaires de 2016 et dont le livre Le Mythe du déficit vient d’être publié en France aux Editions Liens qui libèrent.

Un article du 20 mars sur Salon.com (Bienvenue dans l’ère de la Théorie monétaire moderne) annonce même que l’arrivée de la TMM sonne le glas du néo-libéralisme (ah ah ah). Le but de la TMM, consiste seulement ou malicieusement à faire évoluer le discours ; à défaut de pouvoir changer la réalité, on change les mots. (on pervertit un peu plus le langage). Par exemple, avec la TMM, le danger d’un endettement insoutenable ou d’une inflation galopante ne seront plus brandis pour imposer de l’austérité ou des réductions de dépenses.

La Théorie monétaire moderne, qui ne s’intéresse ni à la séparation stricte des banques, ni à un jubilé des dettes, disons-le d’emblée, n’est qu’un arrangement habile afin que persiste un ordre injuste et prédateur. Cependant, reconnaissons que la TMM, et c’est son atout, fait voler en éclat plusieurs dogmes de la pensée monétariste la plus extrême.

En premier lieu, la TMM affirme que l’État n’a pas besoin de s’endetter auprès des banques privées et peut émettre de la monnaie pour son propre développement. Stéphanie Kelton :

On ne devrait jamais penser les finances du gouvernement fédéral comme on pense les budgets des ménages : certains pays ont la souveraineté monétaire, pas la France. Il y a une différence entre les pays qui peuvent émettre la monnaie et ceux qui ne le peuvent pas, comme la France ou l’Italie. Le degré de liberté aux États-Unis est plus important ».

Ensuite, pour la Théorie monétaire moderne, l’argent n’est pas une forme de richesse mais un simple coupon permettant des échanges. La TMM conseille tout gouvernement à atteindre le plein emploi par le biais de la politique budgétaire. Même si cela nécessite des dépenses déficitaires et à défaut d’une inflation extrême, la TMM encourage les décideurs à augmenter les dépenses publiques.

Du coup, un principe de l’orthodoxie économique est renversé : les déficits apparaissent comme des investissements publics vertueux (des dépenses nettes), tandis que les excédents deviennent des fléaux, condamnés pour avoir aspiré l’argent de l’économie… « On n’a pas de problème de déficit, mais de langage », souligne Stephanie Kelton interrogée par France Culture. Les mots « dettes » et « déficit » sont utilisés pour nous faire peur. Alors qu’en réalité :

Les dépenses déficitaires peuvent et doivent se poursuivre tant que les dépenses supplémentaires peuvent être absorbées par les ressources productives d’une économie.

Ainsi, pour la TMM, le déficit public doit combler « le déficit de bons emplois, le déficit d’éducation, le déficit de santé, le déficit climatique »... C’est là évidemment où le bat blesse. Car comment définir ce que sont les « bons emplois » ?

Pour y voir clair, la vision scientifique de l’économiste américain Lyndon LaRouche est indispensable. Il est le seul à avoir réellement identifié les mécanismes permettant à chaque fois à l’humanité de transcender, grâce à des formes d’énergie et des technologies plus denses, ses limites de ressources et d’entamer de nouvelles périodes de développement.

Or si Biden conserve un peu de nucléaire et le programme spatial, c’est essentiellement en tant que symboles et instruments de pouvoir face à la Chine et la Russie, et non pas, en tant que vecteurs d’une économie du futur.

En Europe, surtout dans une Allemagne toujours vivant dans la crainte de l’hyperinflation de Weimar, on s’accroche aux vieux dogmes et on se méfie de la TMM.

L’économie, nous-dit on, repose sur « la confiance » que toute dette sera honorée « coûte que coûte », quitte à étaler dans le temps ! C’est là que Marine Le Pen partage l’avis du président Macron...

A ceci s’ajoute que Bruxelles, en échange de quelques miettes, entend obtenir des « réformes ». La rareté (organisée) des ressources financières est supposée optimiser leur utilisation. Bruxelles, tout en imposant son agenda écolo-malthusien, veut non seulement démembrer EDF et entamer sa privatisation mais aussi liquider nos systèmes de retraite et de chômage.

Salon.com :

Bonne politique ou pas, la TMM entre en scène à un moment similaire de crise économique et de besoin politique. Elle légitime les grands déficits qui adoucissent le désastre économique provoqué par la COVID-19 et elle répond à l’ambitieux programme politique de l’administration Biden (…) Le ’deficit spending’ est là pour rester (…) La dette nationale a dépassé les 28 000 milliards de dollars. Et le Congressional Budget Office prévoit un doublement de la dette avant 2051.

Ainsi, pour Biden, la soudaine apparition de la Théorie monétaire moderne vient à point nommé. Elle poursuit les objectifs de BlackRock et autres grands gestionnaires d’actifs pour qui mettre les Etats et mêmes les banques sous la coupe de banques centrales (aux mains de l’oligarchie financière) et de cryptomonnaies convient à merveille. En y ajoutant leurs logiciels et leurs algorithmes, ces sorciers de la finance croient plus que jamais en leur immortalité.

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