Début de résistance contre la dictature numérique ?

lundi 31 mai 2021

Chronique stratégique du 31 mai 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Les nouvelles révélations sur l’espionnage de plusieurs dirigeants politiques allemands, suédois, norvégiens et français, par la grande agence de renseignement américaine NSA, en collaboration avec les services de renseignement militaire danois, montrent que rien n’a réellement changé malgré les efforts d’Edward Snowden. Bien au contraire. Une enquête publiée le 17 mai par Newsweek a même démontré que depuis dix ans, le Pentagone a constitué une « armée secrète » de 60 000 hommes opérant dans le monde entier, mais également sur le territoire américain, dans des missions d’espionnage et de cyberguerre contre la Russie et la Chine.

Au milieu d’un univers médiatique obsédé par le traitement de la crise de Covid-19, apparaissent ça et là quelques informations et révélations qui, en dépit du fait qu’elles passent tel un éclair pour repartir aussi vite dans l’oubli, n’en reflètent pas moins la dangereuse dérive numérique autoritaire dans laquelle les élites de l’empire financier de Wall Street et de la City de Londres tentent d’entraîner le monde.

Dimanche, la radio publique danoise Danmarks Radio (DR) a en effet révélé qu’entre 2012 et 2014 les États-Unis ont espionné plusieurs responsables politiques allemands, suédois, norvégiens et français – dont la chancelière Angela Merkel et l’ancien ministre des Affaires étrangères Franz Steinmeier –, avec l’aide des services de renseignement militaire danois FE.

Il ne s’agit nullement d’une énième lubie de complotistes en quête de notoriété. L’enquête de la DR a été effectuée en tandem avec plusieurs médias, dont le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung et le journal Le Monde, et elle montre en effet que la NSA s’était branchée sur des câbles de communication danois, accédant ainsi aux SMS, appels téléphoniques et aux recherches, échanges et services de messageries Internet des personnalités surveillées.

Huit ans après les révélations d’Edward Snowden, les Européens ont accueilli celles-ci avec des mines de vierges effarouchées. « L’espionnage systématique par des alliés est inacceptable », a lancé la ministre danoise de la Défense Trine Bramsen. « Entre alliés, il doit y avoir, même si on n’est pas dans un monde de Bisounours, une confiance, une coopération minimales ; donc ces faits potentiels sont graves », s’est indigné de son côté Clément Beaune, le secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, au micro de France info.

L’ « armée secrète » du Pentagone

Quelques jours plus tôt, le magazine américain Newsweek a publié une enquête explosive sur « l’armée secrète sous couverture » du Pentagone – une information très largement passée sous silence en France, où seuls Le Point et Capital.fr en ont parlé.

Il faut dire que l’histoire a de quoi alimenter les théories les plus conspirationnistes. Depuis le début des années 2010, le Département de la Défense américain a constitué une force de 60 000 hommes, déployés autant à l’étranger que sur le territoire des États-Unis, afin de mener des cyberguerres contre les ennemis de l’Oncle Sam. Le programme est intitulé « Signature reduction » (« Réduction de signature »), pour désigner tout ce qui permet d’opérer discrètement dans un monde où passer inaperçu devient très difficile. Il bénéficie de l’implication de 130 entreprises et de près d’un milliard de dollars d’argent du contribuable américain.

Sur les 60 000 hommes – un effectif dix fois supérieur à la division des opérations clandestines de la CIA ! – la majorité sont des « cyber-combattants », déployés dans des opérations spéciales dans divers pays du monde, dont le Pakistan, le Yémen, plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, et même la Corée du Nord et l’Iran. Leur mission est de créer de fausses personnalités en ligne, en utilisant des techniques de « non-attribution » et de « mauvaise attribution », afin de pouvoir rechercher des cibles de grande valeur et collecter des informations en toute discrétion ; ils sont également chargés de manipuler les réseaux sociaux ou de pirater des systèmes de surveillance pour éviter aux agents sur le terrain de se faire repérer. Des techniques idéales pour créer des attaques sous « faux drapeaux », c’est-à-dire où l’on accuse des pays innocents d’actes qu’ils n’ont pas commis.

« Cette pratique totalement déréglementée » – dont les États-Unis accusent sans vergogne la Russie et la Chine – « contrevient aux lois américaines, à la Convention de Genève et au Code de conduite militaire », souligne Newsweek.

Vers un sursaut ?

Le simple fait que ces scandales soient révélés par de grands médias occidentaux pourrait signifier, espérons-le, qu’une certaine résistance institutionnelle commence à se faire jour face à cette dérive impériale et autoritaire. Aux États-Unis, comme le fait remarquer Fabrice Epelboin sur RT France, les élus américains ne manqueront pas de s’emparer du problème mis en lumière par Newsweek, et de déclencher à terme une commission d’enquête parlementaire.

De notre côté de l’Atlantique, une résistance semble se cristalliser contre l’OTAN. Le 28 mai, en citant plusieurs diplomates français sous anonymat, l’agence Reuters a rapporté que la France s’oppose de plus en plus à « l’Initiative OTAN 2030 », présentée en février par le secrétaire général Jens Stoltenberg, et qui vise à accroître massivement les contributions des États membres en soumettant davantage leur Défense respective au contrôle de l’Alliance. « Si l’idée est d’augmenter soudainement la contribution des pays aux budgets communs et de changer la philosophie de l’OTAN, de passer d’une responsabilité nationale à une dilution de la responsabilité, la réponse de la France est clairement non », a affirmé à Reuters une source du ministère français de la Défense.

C’est bien contre cette dérive qu’un groupe d’ancien militaires français, regroupés au sein du Cercle de Réflexion Interarmées (CRI), a mis en garde le 11 mars en disant que l’OTAN était devenu un « train fou » qu’il fallait arrêter.

Toutefois, les déclarations de principe d’un Clément Beaune ou de responsables anonymes ne suffiront pas. Une bonne fois pour toutes, il va falloir choisir clairement une vision d’États-nations contre la vision impériale anglo-américaine, et prendre les mesures pour cela.

A SAVOIR :

S&P a été parmi les premiers en France à donner la parole au lanceur d’alerte William Binney, ancien directeur technique de la NSA, qui a dénoncé la tentative de coup d’État fomentée par les agences de renseignement américaines (et britanniques) et par la clique Obama-Clinton, contre la présidence américaine, à travers l’affaire dite du « Russiagate ».

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