Chronique stratégique

Projet OTAN 2030, un parfum de putsch politique

mercredi 16 juin 2021

Hausse de 20 milliards d’euros des budgets communs de l’OTAN ? Selon le ministère des Armées, la France a dit non à cette proposition émanant du chef de l’Otan, Jens Stoltenberg, soupçonnant même l’Alliance de vouloir éliminer les souverainetés nationales. Retour sur la réforme OTAN 2030, dont cette hausse budgétaire est l’un des aspects.

C’est à la veille du Sommet de l’OTAN du 14 juin à Bruxelles, où le projet de réforme OTAN 2030 devait être abordé, que le débat sur cette hausse budgétaire a éclaté en France. « Si l’idée est d’augmenter brutalement la contribution des Etats aux budgets communs est de changer la philosophie de l’Otan en passant de la responsabilité nationale à la dilution de responsabilité, la réponse de la France sera clairement ’non’ »,souligne-t-on au ministère des Armées« Aujourd’hui, la France dépense entre 200 et 300 millions d’euros par an pour l’Otan. S’il fallait doubler cette somme, ça serait au détriment de nos propres investissements. (…) Pour nous, le sujet n’est pas l’Otan contre l’Europe, mais l’Otan contre les défenses nationales ».

Les pleins pouvoirs à l’OTAN

Rappelons que dans une tribune parue le 11 mars dans Capital, de hauts gradés de l’armée à la retraite, réunis au sein du CRI (Cercle de Réflexion Interarmées), avaient déjà lancé une puissante salve contre ce projet, l’accusant de porter atteinte à la souveraineté des Etats membres et de vouloir embarquer l’Europe dans une nouvelle guerre américaine, contre la Russie et la Chine.

A la lecture de ce texte, nous irons même plus loin que le CRI. Prenant pour prétexte un contexte stratégique dégradé pour l’Alliance atlantique, en raison de l’émergence de « deux rivaux systémiques », la Chine et la Russie, OTAN 2030 est une proposition ouverte, et sans vergogne, de prise de pouvoir politique par l’OTAN.

Intitulé « Un rôle politique à la mesure d’une nouvelle ère », ce rapport note que si depuis 2014, date de la « prise » de la Crimée par la Russie, l’OTAN a organisé « le plus important renforcement d’une défense collective jamais mené en une génération », elle a besoin désormais « d’une adaptation politique pour accompagner les progrès menés dans la sphère militaire ».

A ce titre, dès les propos introductifs, on apprend que l’OTAN est appelée à devenir « le seul et essentiel forum vers lequel les alliés se tournent concernant les défis majeurs de sécurité nationale » auxquels ils sont confrontés. Il y est dit qu’afin d’assurer une unité parfaite « les alliés devraient s’efforcer de mettre leurs politiques nationales en conformité avec la ligne de conduite élaborée par l’OTAN ». Les Etats membres sont même appelés à aller s’enquérir de ladite « ligne » « avant les réunions d’autres organisations internationales (...) par exemple, des Nations unies, du G20 et d’autres forums. »

Dans cet appel à l’unité, le rapport propose aussi d’augmenter le nombre de réunions entre ministres des Affaires étrangères et de la Défense, ainsi que la concertation entre l’OTAN et l’UE, par dessus la tête des Etats-nations européens, notamment en créant un canal institutionnel permanent de liaison politique entre le staff international de l’Alliance et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) de l’UE. Il est souhaité, d’ailleurs, pour un meilleur fonctionnement, que soit développés « des moyens pour transférer les data en toute sécurité entre les systèmes de communications et d’information respectives. » Il n’y aurait même plus besoin de craindre l’espionnage !

Pour pouvoir agir plus rapidement, il est proposé d’abroger la règle de l’unanimité, régissant jusqu’ici les décisions au sein du Conseil de l’Atlantique nord, et de « déléguer » certaines responsabilités à son secrétaire général pour qu’il puisse « prendre des décisions sur des questions de routine et aborder publiquement des questions difficiles à un stade précoce ».Il est aussi proposé que « l’OTAN soutienne l’existence de coalitions au sein de ses structures... afin de pouvoir entreprendre de nouvelles opérations qui n’ont pas l’accord de tous les alliés ».

Fantasmes d’hégémonie mondiale

Enfin, il y a l’extension géographique de l’OTAN hors de sa zone d’action propre, l’Atlantique Nord, vers l’ensemble du monde . Il s’agit donc purement et simplement d’en faire l’ossature d’un empire militaire et politique supranational ! La porte de l’OTAN doit rester ouverte à toutes les démocraties qui aspirent à la rejoindre , souligne le document, et peu importe si l’adhésion de certains de ces pays, comme l’Ukraine, pourrait a elle seule nous entraîner vers une nouvelle guerre mondiale. Or, nous apprenions il y a quelques jours que Biden avait mis à l’étude l’adhésion de l’Ukraine, non au commandement militaire de l’OTAN, mais à l’Alliance Atlantique. Pour le heure l’Ukraine ne bénéficie que d’un partenariat avec l’OTAN.

Le rapport OTAN 2030 dresse la liste des alliés que les Etats-Unis voudraient voir à leurs côtés face à la montée de la Russie et de la Chine, dans un nouveau conflit mondial : Suède et Finlande au Nord, Géorgie, Ukraine et Bosnie-Herzégovine à l’Est, Tunisie et Jordanie en Méditerranée, et en Afrique, des partenariats avec l’Union africaine et le G5 Sahel.

Mais c’est surtout l’Indo-Pacifique qui intéresse l’OTAN, dans la perspective d’encercler la Chine. L’objectif recherché est d’approfondir les partenariats avec l’Australie, le Japon, la Nouvelle Zélande et la Corée du Sud, en faisant appel aux structures déjà existantes : l’OTAN + 4, le partenariat OTAN-Pacifique, ou avec une collaboration entre l’OTAN et le Dialogue quadrilatérale de sécurité (Quad). Avec l’Inde enfin, où l’OTAN « devrait commencer les discussions internes pour un partenariat possible. »

Même si nombre de ces pays n’auraient le droit à plus qu’un partenariat, le rapport souligne que ça ne sera pas de simples partenariats comme par le passé. Pour l’OTAN 2030,« le partenariat ne peut pas être un substitut à l’adhésion, qui seule comporte le bénéfice de l’article 5 », qui engage l’ensemble de l’alliance à riposter si l’un de ses membres est attaqué militairement. Sans pour autant éliminer les différences entre pays membres et simples partenaires, le rapport annonce sa volonté de développer des partenariats « plus proactifs pour façonner activement l’environnement de sécurité et promouvoir les objectifs de l’OTAN dans ses taches essentielles et missions ».

Pour notre souveraineté, pour la paix, il est donc urgent de marquer notre différence et de quitter l’OTAN au plus vite !