Afghanistan : saisir l’occasion pour créer une dynamique de paix et de développement régional

jeudi 19 août 2021

Chronique stratégique du 19 août 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Le 15 août 2021, les talibans sont entrés dans Kaboul et le gouvernement afghan s’est effondré, à une vitesse qui a pris de cours toutes les chancelleries occidentales. Cette date restera sans doute dans les mémoires comme le dernier coup de grâce porté aux guerres américaines et otanesques de « changement de régime » lancées après le 11 septembre 2001 — ce dont nos dirigeants ne semblent pas prendre la mesure, comme en témoignent les déclarations d’Emmanuel Macron et de Joe Biden. L’effondrement du régime est l’occasion à saisir, vite, par les pays voisins de l’Asie centrale, aidés par les quatre principales puissances — la Chine, la Russie, l’Inde et les Etats-Unis — afin de créer les conditions d’un réel développement de l’Afghanistan, dans le contexte d’une intégration régionale.

Faillite des guerres interventionnistes

Tout s’est passé avec une rapidité sans précédent. Dimanche, en quelques heures, les forces talibanes ont atteint les portes de Kaboul et le président Ashraf Ghani a fui le pays. Aucune résistance ne s’est opposée à eux ; les 300 000 soldats du gouvernement afghan formés par l’OTAN et les États-Unis, dont on avait fait tant d’éloge, n’ont livré aucun combat. L’ensemble de la structure de sécurité, rongée par une corruption telle que les soldats étaient bien souvent dépourvus d’équipement de combat, s’est effondrée comme un château de cartes. Quelques jours auparavant, les services de renseignement occidentaux évaluaient qu’une éventuelle chute du gouvernement prendrait probablement au moins trois mois.

Face à cet échec patent des services de renseignement et de toute la stratégie de changement de régime mise en œuvre depuis vingt ans, les responsables américains et européens, incapables de se remettre en cause, se murent dans le dénis. Le plus spectaculaire est sans doute celui de Joe Biden qui, après s’être ridiculisé en déclarant en juin que les soldats afghans « se battraient » jusqu’au bout et que le gouvernement de Ghani résisterait, a osé justifier le retrait américain en affirmant que les Etats-Unis n’ont jamais eu vocation à rebâtir la nation afghane.

Et si l’intervention télévisée du président Macron reflète une certaine conscience de l’importance stratégique de ces événements (après un an et demi d’interventions exclusivement consacrées à la pandémie de Covid), son insistance sur le problème des flux migratoires montre pour le moins qu’il est incapable d’en tirer les enseignements. Prisonnier comme l’ensemble des élites françaises dans la glu de la géopolitique anglo-américaine, Macron n’a pas eu un mot pour la reconstruction économique de l’Afghanistan, et a (sans doute volontairement) passé sous silence le rôle que la Chine joue et va jouer dans l’avenir de ce pays et de la région.

Suite au discours de Macron, Jacques Cheminade a publié une déclaration dans laquelle il écrit : « Il faut dire la vérité : ce sont les mêmes services américains ayant d’abord soutenu Ben Laden qui sont ensuite intervenus au nom de la ’responsabilité de protéger la démocratie’ et de combattre le terrorisme. Entre 2001 et fin 2014, nous sommes intervenus avec eux. Les forces américaines ont perdu 2400 soldats et leurs alliés de l’OTAN 1100 autres, dont 90 des nôtres, morts héroïquement. Plus de 1500 milliards de dollars ont été dépensés, des centaines de milliers d’Afghans sont morts et nous voilà revenus au rapport de forces d’il y a 20 ans. Le taire lorsqu’on parle à notre peuple revient à un déni de réalité ».

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Le rôle de la Chine

Cependant, la situation d’aujourd’hui est sensiblement différente de celle de 1996, lors de l’arrivée des talibans au pouvoir, principalement en raison de l’émergence de la Chine en tant que pays-bâtisseur d’infrastructures. Le grand projet des nouvelles Routes de la soie offre en effet à l’Afghanistan la possibilité de s’intégrer dans une perspective économique régionale.

Le 28 juillet, le numéro 2 et co-fondateur des talibans Abdul Ghani Baradar a d’ailleurs rencontré à Beijing le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi. Ce dernier a reconnu que les talibans afghans représentent une force politique et militaire centrale en Afghanistan, et qu’ils allaient jouer un rôle important dans le processus de paix, de réconciliation et de reconstruction du pays. Il a assuré que la Chine défendrait l’intégrité territoriale de l’Afghanistan et la non-interférence dans les affaires internes, et qu’elle soutiendrait le processus souverain en vue d’une solution nationale par le peuple afghan lui-même. Baradar a quant à lui exprimé sa gratitude pour l’invitation qui lui a été faite d’être reçu à Beijing, et à déclaré que la Chine a toujours été une amie de confiance du peuple afghan, et qu’elle joue « un rôle actif et positif » dans le processus de paix.

L’intention de la Chine n’est pas de « combler le vide » laissé par le retrait américain, contrairement aux spéculations qui vont bon train en Occident. Comme le rapporte le quotidien Global Times, qui porte dans le monde la voie quasi-officielle du gouvernement chinois, Beijing est prêt à contribuer à la reconstruction et au développement de l’après-guerre dans le cadre de l’initiative de la Ceinture et la Route (ICR), y compris aux côtés du gouvernement taliban, à condition toutefois que les talibans tiennent absolument leur promesse de couper tous les liens avec les terroristes, les extrémistes et les séparatistes.

Eradiquer l’opium

Lors de sa conférence de presse du 17 août, le porte-parole des talibans Zabiulla Mujahid a présenté les premières mesures du nouveau gouvernement, dont l’amnistie générale pour l’ensemble des fonctionnaires de la police, de l’armée et du gouvernement qui ont collaboré avec les États-Unis et l’OTAN, et la protection de tous les étrangers présents sur le territoire afghan. Mujahid a également appelé à l’aide des nations étrangères pour la reconstruction économique du pays, exprimant le souhait des talibans d’ouvrir des relations normales et de coopérations avec les pays voisins.

Par ailleurs, le gouvernement taliban affirme que les femmes seront autorisées à recevoir une éducation et à travailler, dans le cadre toutefois des traditions islamiques. Enfin, il s’engage à éradiquer la production d’opium. Ce dernier point est fondamental, car, durant ces deux décennies de guerre, le trafic de drogue a représenté non seulement la principale source de corruption dans ce pays.

Lors de la conférence de l’Institut Schiller du 31 juillet sur l’avenir de l’Afghanistan, Pino Arlacchi, qui fut sous-secrétaire général des Nations unies et directeur de l’UNDCCP (bureau des Nations unies pour le contrôle des drogues et la prévention des crimes) de 1997 à 2002, a raconté comment il avait conduit les négociations auprès des talibans, en 2000-2001, afin de mettre en œuvre le plan de l’ONU visant à substituer des cultures vivrières à la production d’opium. Alors que le plan commençait à porter ses fruits, et qu’il aurait permis l’eradication totale des cultures d’opium en cinq ans, L’intervention de l’OTAN, en octobre 2001, a complètement anéanti ces efforts ; et l’Afghanistan est devenu, sous le patronage des forces d’occupations américaines et britanniques, le premier producteur mondial d’héroïne, au détriment de la jeunesse européenne, américaine, russe, iranienne, etc.

Aujourd’hui, selon Arlacchi, l’initiative de la Ceinture et la Route représente en effet une grande occasion pour l’Afghanistan de se remettre sur la voie du progrès économique et social, à condition que cela implique l’éradication de la culture du pavot et du trafic d’opium, en particulier dans la région de Kandahar et dans la zone méridionale du pays.

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Reconstruire le pays

Il faut avant tout une perspective claire de développement économique, a souligné la présidente internationale de l’Institut Schiller Helga Zepp-LaRouche, lors de la conférence ; il faut qu’il y ait ‘des pelleteuses au sol’, comme le disait mon mari Lyndon LaRouche, et des machines de terrassement qui travaillent à la construction de chemins de fer, de systèmes d’eau et d’hôpitaux. Pour que les différentes ethnies et la population dans son ensemble puissent réellement bénéficier d’une amélioration de leur niveau de vie et avoir l’espoir d’un avenir meilleur.

La seule approche possible pour l’Afghanistan est la paix par le développement mutuel. Comme l’a expliqué Mme Zepp-LaRouche, il existe déjà un accord entre le Pakistan, l’Afghanistan et l’Ouzbékistan pour la construction d’une voie ferrée de Tachkent près de Mazar a Sharif et de Kaboul à Peshawar au Pakistan, ainsi que pour la construction d’une autoroute reliant l’Afghanistan au Corridor économique Chine-Pakistan par le Khyber Pass, entre Peshawar, Kaboul et Douchanbé. « Ces projets peuvent devenir le début de nombreuses artères d’infrastructure reliant l’Afghanistan à l’intégration économique eurasienne, de Lisbonne à Vladivostok », a-t-elle souligné.

Reste à savoir si cette dynamique de développement mutuel sera la plus forte, amenant des pays comme l’Inde, le Pakistan, l’Afghanistan, la Chine, etc, à laisser les vieilles querelles au vestiaire, ou si les forces impérialistes de Londres et Washington parviendront à attiser de nouveaux conflits…

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