Tony Blair : le retrait d’Afghanistan menace la Grande-Bretagne impériale

mercredi 25 août 2021

Chronique stratégique du 25 août 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Quelques jours après la prise de pouvoir des Talibans à Kaboul, les loups sortent du bois. Outre-Manche, une hystérie furieuse semble avoir gagné une bonne partie de l’establishment royal et financier britannique, contre l’obstination de Joe Biden à honorer le retrait des troupes américaines d’Afghanistan. Entre autres, l’ancien Premier ministre Tony Blair, à qui l’on doit le concept des guerres de « changement de régime », s’est illustré par une violente attaque contre cette décision « imbécile ».

Le « Global Britain » dans les cordes

La frustration et la rage s’est rarement déployée de façon aussi visible et aussi explosive dans la presse britannique, contre la décision de Joe Biden de retirer les troupes américaines, jugée « unilatérale » par les défenseurs invétérés de la « Special relationship » entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Au point que le président américain, dont l’arrivée avait pourtant été célébrée comme le retour des Etats-Unis dans le bercail atlantiste, passe désormais à leurs yeux pour un affreux isolationniste, comme son prédécesseur Donald Trump. Le lieutenant-colonel Richard Kemp, l’ancien commandant britannique en Afghanistan, a même appelé à traduire Biden devant une cour martiale pour trahison !

Il faut dire que ce retrait, et surtout la porte qu’il ouvre sur une potentielle coopération régionale autour du développement économique de l’Afghanistan, représentent un véritable cauchemar pour les partisans du « Global Britain », promis par Boris Johnson depuis le Brexit, et vidé de toute assise sans le soutien de la puissance militaire américaine.

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Lors du G7 spécial sur l’Afghanistan convoqué par lui-même, le Premier ministre britannique s’est retrouvé impuissant à convaincre Biden de revenir sur sa décision de retirer l’ensemble du contingent américain d’ici le 31 août – une décision que le président américain a prise à l’encontre d’une bonne partie du Pentagone, dont le chef d’Etat-major Mark Milley, comme le rapporte Politico. « La capacité de M. Johnson à influencer M. Biden a été moindre que celle du chien du président », raille Andrew Rawnsley, le chef du service politique de l’Observer, dans le Guardian.

Blair et la peur de la relégation en seconde division

L’ancien Premier ministre Tony Blair, aujourd’hui membre du tout puissant « Privy Council » de sa Majesté et, depuis 2008, président du Conseil international de la puissante banque JP Morgan Chase [1], a également lancé une violente saillie contre Biden, qualifiant d’ « imbécile » le retrait d’Afghanistan, comme le rapporte le Sunday Times. « Cela n’était pas nécessaire ; c’est un choix qui a été pris en allégeance à un slogan politique stupide en faveur de la fin des ‘guerres sans fin’ » — un slogan que Biden a utilisé lors de son annonce du retrait des troupes. « Après la sortie de l’Europe, la fin de cette mission en Afghanistan, décidée sans aucune consultation par notre plus important allié, risque de reléguer la Grande-Bretagne en seconde division des puissances globales », s’est lamenté l’ancien Premier ministre.

De son côté, reprenant le refrain de Blair, notre néocon national Bernard-Henry Lévy a déclaré qu’on assistait à « un Saigon auto-infligé » et que Biden reprenait la politique de Trump. BHL tente actuellement de convaincre Macron d’envoyer des munitions et des armes au fils du Commandant Massoud qui, retranché dans la vallée du Pandsjir avec l’ancien vice-président du régime, prétend incarner « la résistance ».

L’explosion de Tony Blair est révélatrice de la grande fébrilité dans laquelle les récents développements en Afghanistan ont plongé les impérialistes britanniques. Rappelons que Blair est l’homme qui a inauguré, avant même le 11 septembre, la période des vingt années de guerres de « changement de régime ». Lors d’un discours prononcé en avril 1999 à Chicago devant le Council on Foreign Relations (CFR), il avait proclamé la fin de l’ère de Westphalie (en référence au traité de 1648 qui avait mis fin à 150 ans de guerres de religion en établissant le principe de non-ingérence) et l’ouverture d’un nouveau paradigme de guerres de l’OTAN au nom de la « responsabilité de protéger » — le type de « protection » offerte jadis par la mafia à Chicago ou ailleurs.

Rappelons également que le dossier de renseignement bidon sur les armes de destruction massives de Saddam Hussein, qui a servi de base pour justifier la guerre d’Irak de George W. Bush, a bien été fabriqué par le MI6, à la demande de Tony Blair…

En finir avec le « second Empire britannique »

Depuis 50 ans, Londres dépend du « muscle » américain de l’OTAN pour garder le contrôle sur l’ordre (ou plutôt le désordre) financier mondial. C’est un secret de polichinelle.

Comme cela a été souligné lors de la conférence du 14 août, organisée par la Fondation LaRouche, la décision du président américain Richard Nixon, le 15 août 1971, de mettre fin aux accords de Bretton Woods en annonçant l’annulation de la convertibilité or-dollar et le passage à un système de taux de change flottants, tel que le souhaitaient la Banque d’Angleterre et les intérêts financiers de la City, avait consacré la naissance d’un « second Empire britannique » (comme le montre très bien le documentaire du même nom).

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Devenu ainsi le centre financier mondial, Londres a pu régner pendant un demi-siècle sur un système de spéculation effrénée et de bulles d’endettement encouragées par les Banques centrales, aboutissant à la situation actuelle, où quelques 2000 milliardaires se partagent davantage de richesses que la moitié de l’humanité.

En état de banqueroute virtuelle, ce système n’a pu survivre, en particulier depuis le krach de 2008, que grâce aux injections de liquidités gargantuesques de la Réserve fédérale américaine et de la Banque centrale européenne, mais également en maintenant dans le monde un état de déstabilisation et de conflits permanents.

C’est pourquoi le dénouement actuel en Afghanistan offre une grande opportunité de changement, à condition que les grandes puissances se mettent d’accord pour garantir au peuple afghan, ainsi qu’aux autres peuples de la région, le développement économique dont cet empire militaro-financier les a privés depuis 40 ans.

Ce qui se passe en Afghanistan marque la ‘fin d’un système’, peut-être pas de façon aussi importante que la chute du Mur et la fin de l’Union soviétique, mais de façon toute aussi prometteuse, a déclaré le 21 août Helga Zepp-LaRouche, la présidente internationale de l’Institut Schiller, lors d’une visio-conférence. Il est temps de mettre un terme aux guerres sans fin et aux jeux géopolitiques.

L’ancien ministre français des Affaires étrangères n’a donc pas tort de reconnaître dans Marianne, que « l’Afghanistan est le tombeau du droit d’ingérence » . De son côté, interrogé par Marianne sur la question de savoir si la France devrait rester en Afghanistan, Bernard Bajolet, ex-ambassadeur de France à Kaboul et ancien patron de la DGSE, est explicite : « Bien entendu qu’il faut maintenir une présence sur place ! Évidemment que la France devrait rester à Kaboul ! La Chine reste. La Russie reste. La Turquie reste. Ce sont des attitudes dignes. La fuite n’est pas une posture dans laquelle je reconnais mon pays. Lorsque les Khmers Rouges, qui n’étaient pas plus tendres que les talibans, ont pris Phnom Penh, en avril 1975, l’ambassade de France n’a pas fermé. Une petite équipe diplomatique était restée sur place. Et puis comment aiderons-nous ceux de nos compatriotes qui seraient restés, les personnalités afghanes amies qui seraient en danger, si nous n’avons plus personne sur place ? Comment nous assurerons-nous que les nouvelles autorités respecteront leurs engagements de ne pas autoriser la préparation d’attentats depuis le sol afghan ? »

Comme l’a précisé le 16 juillet dernier l’ambassadeur afghan en Chine, Javid Ahmad Qaem, en faisant référence à la Chine, l’Inde et les Etats-Unis :

L’Afghanistan est le seul lieu où ces rivaux, si je peux les qualifier ainsi, pourraient réellement être amenés à coopérer.

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[1Conseil dans lequel on retrouve, outre le PDG de JP Morgan Jamie Dimon, notre cher milliardaire national Bernard Arnault, ou encore Condoleeza Rice, l’ancienne conseillère à la sécurité nationale de Bush. Comme quoi Joe Biden s’est fait des ennemis de haut calibre, qu’il en soit conscient ou pas !