Genocide chinois contre les Ouighours : qu’en est-il juridiquement ?

TRIBUNE

lundi 13 septembre 2021, par Tribune Libre

Adrian Zenz

Les accusations de génocide des États-Unis contre la Chine sont-elles justifiées au regard du droit international ?

par Léa Paris, spécialiste des questions internationales CLC Consulting.

Un constat s’impose : depuis huit mois, les États-Unis multiplient les accusations de génocide à l’encontre de la Chine. Ainsi par exemple, le 19 janvier 2021, Mike Pompeo, alors secrétaire d’État américain sortant, a accusé la Chine de commettre « un génocide » contre les Ouïghours. Pour sa part le 30 mars, le département d’État américain a critiqué, dans son Rapport national 2020 sur les droits de l’homme, la politique génocidaire que le Chine aurait menée au Xinjiiang.

Sur quelles preuves sont fondées les accusations américaines ? Surtout, au regard du droit international, l’État américain peut-il se permettre d’accuser un autre État – en l’occurrence la Chine – de génocide, accusation extrêmement grave ? La population ouïghure a doublé en 40 ans. Selon Mehmet Sukru Guzel, expert turc en droits de l’homme, professeur honoraire de l’Académie internationale des sciences d’Azerbaïdjan et trois fois nominé pour le prix Nobel de la paix, « Mike Pompéo n’a jamais caché sa conviction que le mensonge était un outil de la politique étrangère américaine ».

Toujours selon lui, « le rapport [du département d’État américain] n’utilise le terme génocide que deux fois – une fois dans la préface et l’autre dans le résumé du chapitre sur la Chine ». De telle sorte qu’« une grande partie du rapport traite de questions telles que la liberté d’expression et les élections libres, qui constitueraient une violation flagrante des droits de l’homme, mais ce n’est pas une preuve de génocide.

En fait, les accusations américaines – qu’elles émanent de Mike Pompéo ou du département d’État américain – sont issues d’une seule source : « un article du chercheur allemand Adrian Zenz, publié en juin 2020 et qui s’intitule : Stérilisation, dispositif intra-utérin et contrôle des naissances obligatoire : la campagne du PCC pour réprimer les naissances ouïghoures au Xinjiang ». Mehmet Sukru Guzel indique par ailleurs que les médias américains et anglais – de l’Associated Press à la BBC en passant par CNN –, se sont eux aussi appuyés sur l’article d’Adrian Zenz pour affirmer que la chute du taux de natalité ouïghoure et l’application de mesures de contrôle des naissances dans les comtés ouïghours du Xinjiang constituent des preuves d’une politique de génocide.

Selon Adrian Zenz, le taux de croissance démographique de la population
ouïghoure a brusquement chuté à partir de 2017, et plus particulièrement depuis 2018. Son affirmation s’appuie sur les statistiques 2019 sur la santé publique en Chine. Certes, le taux de natalité des Ouïghours était en baisse en 2017, mais ce n’est pas la conséquence d’un génocide. D’abord, 2017 a été l’année où, pour la première fois, le Xinjiang a commencé à mettre en place le planning familial. Dans le cadre de ce planning familial, un couple de citadins peut avoir deux enfants, tandis qu’un couple vivant en zone rurale peut en avoir trois.

Ensuite, il est important de signaler que, jusque-là, le planning familial ne s’appliquait qu’à l’ethnie han vivant au Xinjiang. Pour rappel, la Chine compte 56 ethnies dont les Hans, la plus importante, qui représente 92% de la population chinoise. Alors que, entre 1979 et 2011, les Hans ont été soumis à la politique de l’enfant unique, les Ouïghours, eux, pouvaient avoir autant d’enfants qu’ils le souhaitaient, tout comme les autres minorités ethniques de la Chine. Enfin, la baisse du taux de natalité au Xinjiang doit être interprétée de façon nuancée : un rapport de l’Académie des sciences sociales du Xinjiang montre qu’en 2017, le taux de natalité au Xinjiang se stabilisait autour de 15‰ ; et qu’en 2018, celui-ci était de 10,69‰, contre 10,94‰ pour l’ensemble de la Chine et 11,9‰ pour les Ouïghours. Autre chiffre qui interpelle : selon les chiffres officiels publiés par le bureau national des statistiques de la Chine, en quarante ans – de 1978 à 2018 –, la population ouïghoure a doublé, passant de 5,55 à 12,80 millions. Et, entre 2010 et 2018, elle a enregistré un taux de croissance de 25,04%, contre 13,99% pour la population totale du Xinjiang et... 2% seulement pour les Hans.

Une question se pose à présent : quel est le degré de fiabilité de l’article d’Adrian Zenz ?

Mehmet Sukru Guzel : « Adrien Zenz n’a pas respecté la règle d’interprétation de
la Convention des Nations Unies sur la prévention et la répression du crime de génocide. »
Dans son article Stérilisation, dispositif intra-utérin et contrôle des naissances obligatoire : la campagne du PCC pour réprimer les naissances ouïghoures au Xinjiang , Adrian Zenz déclare : « Les résultats (ndlr : de nos enquêtes) soulèvent de sérieuses inquiétudes quant à savoir si les politiques que mène Pékin au Xinjiang représentent ce qui pourrait être caractérisé comme une campagne de génocide par le texte de la section D de l’article II de la Convention des Nations Unies sur la prévention et la répression du crime de génocide. »

Pour rappel, le texte de la section D de l’article II de la Convention des Nations Unies sur la prévention et la répression du crime du génocide rappelle que « le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : [...] d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ».

Pour sa part, Mehmet Sukru Guzel s’est livré à une analyse juridique rigoureuse de la déclaration d’Adrien Zenz, en s’appuyant sur la Convention de Vienne sur le droit des traités (CVDT) – traité-loi qui codifie les traités et les relations internationales juridiques entre les États. Son but était de comprendre si, dans son accusation de génocide à l’encontre de Pékin, Adrian Zenz a correctement interprété la section D de l’article II de la Convention des Nations Unies sur la prévention et la répression du crime du génocide. Il s’est notamment appuyé sur l’article 31.1 de la CVDT selon lequel « un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et but ». La conclusion à laquelle il est parvenue est la suivante : Adrien Zenz n’a pas respecté la règle d’interprétation de la section D de l’article II de la Convention des Nations Unies sur la prévention et la répression du crime du génocide.

En effet, il a « omis de mentionner dans son rapport la politique de contrôle des naissances mise en application en Chine ». Or il s’agit d’un point crucial pour déterminer si la Chine a oui ou non l’intention de détruire systématiquement l’ethnie ouïghoure. En se référant à la politique de l’enfant unique, Mehmet Sukru Guzel a précisé : « La Chine a strictement appliqué sa politique de l’enfant unique à la majorité de sa population ; mais elle s’est montrée plus libérale envers les minorités ethniques, y compris les Ouïghours. Le Xinjiang enregistre un taux de croissance démographique positif, la population ouïghoure ayant augmenté plus rapidement que la population non ouïghoure du Xinjiang entre 2010 et 2018. »

Pourquoi une telle omission de la part d’Adrian Zenz ? Selon Mehmet Sukru Guzel, si celui-ci avait fait référence à la manière dont la Chine a appliqué sa politique de contrôle des naissances, son accusation de génocide des Ouïghours à l’encontre de Pékin n’aurait pas été convaincante... Il en résulte que les accusations américaines de génocide à l’encontre de la Chine, qui s’appuient sur un article sans fondement juridique, sont nulles et non avenues dans le système juridique de l’ONU.

Surtout, selon Mehmet Sukru Guzel, «  la communauté
internationale a la responsabilité de protéger le terme génocide
contre toute utilisation abusive de la part des responsables américains, y compris le président Biden, car elle risque de porter atteinte au droit international mais aussi d’attiser les tensions géopolitiques et militaires régionales »
.

Doutes et interrogations en France et en Allemagne

En 2020, l’écrivain français Maxime Vivas [1] a publié Ouïghours – pour en finir avec les « fake news », récit de voyage au Xinjiang où il s’était rendu deux fois. Dans son livre, il a fait part de ses nombreux doutes et interrogations sur les accusations de génocide à l’encontre de la Chine : « Le Xinjiang n’est pas l’Europe sous la botte nazie : dénonciations, otages, destructions de lieux du culte... génocide. La population ouïghoure, qui a plus que doublé en quarante ans, continue à croître plus vite pendant le ’génocide’ que celles des autres régions chinoises. » « Je prends le pari que la vérité s’imposera à la longue. »


[1Ancien référent littéraire d’Attac, Maxime Vivas est auteur de vingt livres dont trois ont été primés et cinq se trouvent dans la bibliothèque du congrès des États-Unis. Il est traduit en treize langues. En 2021, il a co-dirigé un livre collectif publié aux Éditions Delage : La Chine sans œillères. Outre-Rhin, la Commission des droits de l’homme du Bundestag a organisé le 17 mai 2021 une audition publique où sept experts en droit international, droit pénal et droits de l’homme ont été invités à examiner les questions des droits de l’homme au Xinjiang, en Chine. Tous se sont accordés à dire que les preuves du crime de génocide contre les Ouïghours étaient insuffisantes dans les circonstances actuelles. Ils ont en particulier pointé le manque de preuves pour étayer l’affirmation d’une volonté de destruction de la part de Pékin – condition centrale pour déterminer le génocide.