Afghanistan : quand les sanctions occidentales favorisent le trafic de drogue

mardi 5 octobre 2021

Chronique stratégique du 5 octobre 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

L’Afghanistan est à l’agonie. Les sanctions et le gel des avoirs imposés par les institutions occidentales maintiennent le pays en état d’asphyxie financière… au point même d’empêcher les Talibans d’honorer leur engagement à éradiquer la production d’opium.

« Chute libre »

De retour de Kaboul le 29 septembre, Jan Egeland, le secrétaire général du Conseil des réfugiés norvégien, a sonné l’alarme sur la situation catastrophique de l’Afghanistan. Interviewé sur la National Public Radio américaine, il a appelé les pays occidentaux à refaire circuler l’argent en Afghanistan, avant que l’hiver n’arrive et n’apporte avec lui « des souffrances insoutenables » pour les 40 millions de citoyens.

D’après Egeland, l’économie afghane, qui était déjà en piteux état avant l’arrivée des Talibans, est désormais « en chute libre ».

Lorsque les pays de l’Otan sont partis, ils ont emporté non seulement tout leur personnel, mais également l’argent du développement économique, a-t-il expliqué. Par exemple, 70% des fonctionnaires – enseignants, infirmières, médecins, ingénieurs des eaux, collecteurs d’ordures, etc. – étaient payés via un mécanisme de la Banque mondiale. Ils ont tous reçu leur dernier salaire en mai, puis tout s’est arrêté, y compris dans les derniers mois du précédent régime. (…) Sur le terrain, il n’y a plus d’argent. Les gens ne peuvent même plus retirer l’argent qu’ils ont sur leur compte en banque. Ils vendent ce qui leur reste pour acheter de la nourriture.

Les sanctions favorisent le trafic de drogue

Rétablir le système de paiement de la Banque mondiale, comme le propose Egeland, est absolument nécessaire, mais ce n’est toutefois pas suffisant. Car c’est bien l’ensemble des sanctions financières délibérément imposées par les institutions occidentales – le Trésor US, la Réserve fédérale américaine, le FMI et l’UE — qui asphyxie le pays.

Et tandis que ces sanctions plongent l’immense majorité de la population afghane dans une situation de pauvreté et de dénuement extrêmes, il faut bien dire qu’elles bénéficient en premier lieu aux réseaux internationaux du trafic d’héroïne !

Le 28 septembre, le quotidien britannique The Telegraph a publié un reportage sur les agriculteurs afghans de la province d’Helmand (l’un des principaux lieux de production d’opium), qui préviennent que si le gouvernement taliban impose une interdiction sans proposer de cultures de substitution, ils seront contraints de faire pousser de l’opium de nouveau.

Dès leur arrivée au pouvoir le 15 août dernier, les Talibans avaient en effet annoncé leur intention d’éradiquer les cultures de pavot. Or, les sanctions occidentales, qui les privent d’accéder aux réserves afghanes, les empêchent de fournir les fonds nécessaires au développement de cultures vivrières pouvant se substituer à la culture de pavot. C’est pourquoi l’Institut Schiller et Médecins sans frontières exigent que la Banque centrale afghane puisse immédiatement récupérer les 9,5 milliards de dollars de réserves qui sont actuellement gelés par la Réserve fédérale américaine.

De plus, l’accroissement de la production d’héroïne n’est pas le seul danger que pose le maintien des sanctions. Un rapport publié le 30 septembre par l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), lié à l’UE, avertit les nations européennes de se préparer également à un éventuel afflux de méthamphétamine pure, extrêmement bon marché, actuellement produite en Afghanistan. « Une crise économique en Afghanistan pourrait résulter en une hausse des niveaux de production de drogue », prévient le rapport.

L’opium du système bancaire

Dans les années 2000-2001, Pino Arlacchi, qui était alors directeur exécutif du bureau des Nations unies pour le contrôle des drogues et la prévention des crimes (ONUDCCP), avait conduit le programme visant à aider le gouvernement taliban à éradiquer la production d’opium en Afghanistan et à y substituer des productions agricoles vivrières. Cependant, suite à l’invasion par les forces de l’Otan, en octobre 2001, les Britanniques ont occupé les principales régions productrices d’opium, et la production a de nouveau explosé, dépassant même les niveaux précédents ; l’Afghanistan est devenu ainsi le premier fournisseur mondial d’héroïne, laquelle est principalement consommée en Russie et en Europe.

Comme l’a expliqué Arlacchi lors de récentes conférences de l’Institut Schiller, les agriculteurs afghans gagnent moins de revenus avec la production d’opium qu’avec la production alimentaire. Les dirigeants talibans non plus n’ont pas grand-chose à y gagner, en comparaison aux milliards de dollars qui circulent dans le trafic de drogue international, y compris dans le système bancaire. En effet, la production brute afghane rapporte 350 millions de dollars au pays (moins de 2% de son PIB qui était de 19,8 milliards de dollars en 2019), alors que l’héroïne rapporte plus de 20 milliards de dollars sur le marché européen !

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En décembre 2009, suite à l’effondrement du système financier occidental, Antonio Maria Costa, qui a succédé à Pino Arlacchi à l’ONUDCCP, avait justement pointé du doigt les liens de sang qui unissent le système bancaire et le trafic de drogue. « Dans de nombreux cas, l’argent de la drogue est actuellement la seule source de liquidité disponible, avait-il affirmé. Pendant la deuxième moitié de 2008, le manque de liquidité étant le principal problème du système bancaire, ces capitaux liquides sont devenus un facteur important ».

Soulignons que le trafic de drogue international génère selon les estimations entre 500 et 1000 milliards de dollars annuels, en grande partie blanchis, via les paradis fiscaux, par des opérateurs financiers.

A quand des « Pandora papers » sur les banques et le trafic de drogue ?

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