Taïwan : les Etats-Unis veulent-ils la guerre ?

mardi 12 octobre 2021

Chronique stratégique du 12 octobre 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Les tensions en mer de Chine méridionale, et en particulier autour de Taïwan, sont aujourd’hui le point le plus chaud de la situation stratégique mondiale. D’autant que l’administration Biden, qui s’inscrit en cela dans la continuité de Donald Trump, suit une politique pour le moins ambiguë, si ce n’est schizophrène – quand Joe Biden dit « paix », le Pentagone dit « guerre ».

Escalade à Taïwan

La semaine dernière, l’escalade a atteint un nouveau degré dans cette partie du monde. Du 1er au 4 octobre, l’Armée populaire de libération (APL) de la Chine a fait voler 149 avions au large de la côte sud-ouest de l’île, dont 56 au cours de la seule journée de lundi.

Alors que les médias occidentaux en profitent pour alimenter le récit selon lequel la Chine serait « l’agresseur » — le même qu’ils ont mobilisé pour la Russie dans la crise ukrainienne —, il faut tout de même souligner que ces déploiements de l’APL sont intervenus dans le contexte des exercices navals menés par les Etats-Unis et le Royaume-Uni, avec la participation du Japon, du Canada, des Pays-Bas et de la Nouvelle-Zélande. Ces exercices, qui se sont déroulés à quelques centaines de kilomètres de Taïwan, ont impliqué une armada de 17 navires de guerre, dont trois porte-avions, et ont consisté à simuler une éventuelle guerre contre la Chine dans cette région du Pacifique.

Et comme si la tension n’était pas assez forte, la US Navy a rapporté que le sous-marin nucléaire d’attaque USS Connecticut, qui a participé à ces exercices, avait heurté un « objet inconnu » le 2 octobre, et que onze membres de son équipage avaient été blessés.

La duplicité américaine vis à vis de la Chine

La question de Taïwan représente une ligne rouge à ne pas dépasser pour Beijing – celle du respect du principe d’« une seule Chine » —, de la même manière que l’Ukraine est une ligne rouge pour Moscou. Et les va-t-en-guerre anglo-américains le savent pertinemment. Or, ces derniers mois, plusieurs signes clairs indiquent que, en dépit des déclarations de bonne intention du président Biden à l’égard de la Chine, l’administration américaine soutient les efforts séparatistes du gouvernement actuel à Taipei.

Le 5 octobre, suite à sa conversation téléphonique avec le président chinois Xi Jinping, Biden a annoncé qu’ils avaient évoqué le problème et qu’ils s’étaient mis d’accord pour respecter « l’accord de Taïwan », faisant apparemment référence à la reconnaissance par Washington de Beijing comme seul représentant officiel de la Chine, qui constitue la pierre angulaire des relations sino-américaines depuis cinquante ans.

Le lendemain, le Wall Street Journal a publié un article rapportant que deux douzaines de formateurs militaires américains, constitués d’agents spéciaux et de Marines, ont été déployés à Taïwan depuis au moins un an. « Le déploiement d’opérations spéciales américaines est un signe de l’inquiétude ressentie au Pentagone à propos des capacités tactiques de Taïwan à faire face à l’armement récent et aux manœuvres militaires de la Chine autour de l’île, peut-on lire. Les unités d’opérations spéciales et le contingent de la Marine représentent un effort limité mais symbolique des Etats-Unis visant à renforcer la confiance de Taipei en sa capacité à se défendre contre une agression chinoise potentielle ».

Réagissant à ces révélations, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian, a immédiatement mis en garde les Etats-Unis : « S’ils ne veulent pas mettre sérieusement à mal les relations sino-américaines et la paix et la sécurité dans le détroit de Taïwan, les Etats-Unis doivent cesser toute vente d’armes et tout soutien militaire à Taïwan. La Chine prendra toutes les mesures nécessaires pour défendre sa souveraineté et son intégrité territoriale ».

De son côté, le rédacteur en chef du Global Times, voix officieuse du gouvernement chinois à l’international, lance sur un ton cinglant :

Pourquoi seulement deux demi-douzaines d’agents ? Pourquoi secrètement ? Les Etats-Unis devraient, de manière tout à fait publique, envoyer 240 militaires en uniforme, en rendant public le lieu où ils stationnent. Nous verrons si l’APL ordonne des frappes aériennes ciblées pour éliminer les envahisseurs américains.

Rien à gagner, tout à perdre

Comme l’explique Scott Ritter, l’ancien inspecteur en désarmement des Nations unies en Irak, dans une tribune publiée sur RT le 9 octobre, les États-Unis n’ont pas la capacité à défendre militairement Taïwan, à moins de provoquer une guerre nucléaire. Car si l’armée taïwanaise peut sembler bonne sur le papier, « elle est mal préparée à la réalité du type de combat à grande échelle qui sera dirigé contre elle si la Chine décide un jour de procéder à une invasion ». La réalité, dit-il, « est que Taïwan tomberait en moins d’une semaine » et que les États-Unis ne pourraient pas faire grand-chose.

La seule chose qui pourrait changer la donne serait que les États-Unis utilisent des armes nucléaires pour défendre Taïwan, précise Ritter. Cela déclencherait bien sûr une guerre nucléaire générale avec la Chine, et les Etats-Unis ne sont pas prêts à commettre un suicide national pour une nation avec laquelle ils n’ont même pas de pacte défensif officiel. Une meilleure ligne de conduite serait de travailler avec la Chine et Taiwan vers l’objectif d’une unification pacifique qui préserve intact le système démocratique de gouvernement qui existe à Taiwan.

Abondant dans ce sens, l’ancien ministre français de la Défense Alain Richard, qui s’est rendu à Taïwan avec une délégation sénatoriale, explique dans le journal Libération : « La Chine peut aller plus loin, c’est une certitude. Son potentiel militaire est beaucoup plus important que de simples incursions d’avions de combat. (…) [Elle] a affirmé la possibilité d’employer la force dans le cas où Taiwan manifesterait son indépendance. Si on connecte ces deux éléments, on a la représentation de ce que les économistes appellent le ‘flashing point’ (‘point d’ignition’). Il y a par ailleurs eu, en début d’année, la déclaration de l’amiral américain Davidson [alors à la tête du commandement américain en Indo-Pacifique, ndlr] devant le Congrès américain, qui avance la date de 2027 [pour une agression militaire chinoise envers Taïwan]. Je retiens de son audition deux informations. La première, c’est que les Etats-Unis entreraient en guerre en cas d’invasion chinoise de Taiwan. La deuxième, c’est qu’ils risqueraient de ne pas avoir le dessus ».

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