La faim, la pauvreté et l’inflation : les vrais enjeux de la présidentielle

lundi 22 novembre 2021

Chronique stratégique du 22 novembre 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

La faim a augmenté de 250% en France au cours de la dernière décennie, touchant désormais 10% de la population. A cinq mois des élections présidentielles, cette dynamique, combinée à la flambée mondiale des prix des biens alimentaires, est une véritable bombe sociale à retardement.

L’insécurité alimentaire progresse en France

Selon le Secours Catholique, qui a publié jeudi dernier son rapport annuel sur la pauvreté, le nombre de Français ayant des difficultés à se nourrir a plus que doublé depuis le début de la grande crise financière.

Entre 5 et 7 millions de personnes ont eu recours à l’aide alimentaire en 2020, indique en effet le rapport, sur la base des données de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Le niveau de vie médian des personnes aidées par le Secours Catholique s’élève cette année à 537 euros, soit six euros de moins que l’an dernier, un chiffre deux fois inférieur au seuil de pauvreté fixé en 2018 à 1 063 euros. « C’est une humiliation que notre pays inflige à près de 10% de sa population », s’indigne Véronique Devise, présidente de l’association. En 2009, ce chiffre n’était que de 4 % (2,6 millions) : l’insécurité alimentaire a donc augmenté de 250 % en seulement dix ans. Le conte de fée du président Macron sur l’augmentation du pouvoir d’achat en prend un sacré coup.

27 % des personnes bénéficiant déjà de l’aide alimentaire du Secours Catholique « ne mangent pas pendant plusieurs jours, de manière régulière », note le rapport. « Lorsque les ressources sont limitées, les gens rognent sur leurs dépenses, à commencer par la nourriture et le chauffage ». 53 % des personnes aidées prétendent n’être que « modérément » touchées par le problème de l’insécurité alimentaire, avec des exemples de parents se privant de nourriture pour que leurs enfants puissent manger....

30 % des personnes demandant l’aide du Secours Catholique sont des parents isolés ; 57 % des bénéficiaires de l’année dernière se sont inscrits pour recevoir une aide alimentaire pour la première fois, principalement des familles avec des enfants et des jeunes de moins de 25 ans ; 70 % des demandes d’aide sont effectuées par des personnes âgées de 25 à 54 ans, ce qui reflète les problèmes de chômage de longue durée. Le rapport souligne que la pandémie de Covid-19 a imposé un gel des « réformes » d’austérité des systèmes de protection sociale, empêchant les chiffres d’être encore pires. Le système français d’économie mixte, avec la participation de l’État et son engagement à assurer un minimum de solidarité économique, continue de résister partiellement aux attaques des idéologues néolibéraux.

Ainsi, le taux de pauvreté en France reste nettement inférieur à celui des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Allemagne, alors que ces trois pays sont souvent les plus zélés en matière de réformes économiques structurelles. En 2020, en pleine pandémie, plus de 60 millions de personnes aux États-Unis (près de 20 % de la population totale) se sont tournées vers les banques alimentaires et les programmes communautaires. Outre-Rhin, les 980 agences de la principale banque alimentaire allemande « Tafeln » sont venus en aide à 1,65 million d’Allemands affamés.

Contrairement au récit du gouvernement français, la pandémie de covid-19 a aggravé la pauvreté, note le Secours Catholique. Lors du premier confinement, 3 ménages sur 10 ont déclaré avoir subi une perte de revenus en raison de la crise économique qui a suivi. Le Coronavirus arrivant après dix ans d’austérité, les confinements n’ont fait qu’aggraver la situation de millions de Français qui se trouvaient déjà au bord du gouffre.

Lorsque les programmes d’aide gouvernementale mis en place pour faire face à la pandémie seront totalement arrêtés, beaucoup pensent que l’ « accélération » de la pauvreté se transformera en « explosion ».

Flambée des prix

D’autant plus qu’à cette réalité vient s’ajouter la dynamique hyperinflationniste – une dynamique intrinsèque au système financier mondial, et non « temporaire », comme l’ont affirmé les analystes (voir en fin d’article la conférence du 23 octobre de Jacques Cheminade sur le thème « Inflation : analyse, et après on fait quoi ? »).

« La flambée des prix alimentaires fait craindre une aggravation de la faim dans le monde », écrit Mathilde Gérard dans Le Monde du 19 novembre. En début de mois, l’annonce par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) que « son indice mensuel de mesure des prix alimentaires avait atteint son niveau le plus élevé depuis juillet 2011, a fait l’effet d’une bombe ».

En douze mois, cet indicateur, qui agrège les prix sur les marchés internationaux de plusieurs denrées de base (céréales, sucre, viande, produits laitiers…), a grimpé de plus de 30 %. (...) Combinée aux effets économiques de la crise sanitaire, cette inflation menace particulièrement un tiers de la population mondiale, déjà en insécurité alimentaire.

Plusieurs facteurs « expliquent » la flambée actuelle des prix, précise Le Monde : tout d’abord, l’augmentation continue des prix de l’énergie depuis 2020, qui se traduit par une augmentation du prix des engrais et des pesticides. S’ajoutent à cela deux grandes tendances de long terme : a) la multiplication des aléas climatiques dus au réchauffement de la planète (sécheresses, inondations, etc.) ; et b) le développement des agrocarburants, qui entraîne une concurrence entre produits agroalimentaires et énergétiques dans l’utilisation des terres arables.

D’autres facteurs « indépendants » interviennent pour des produits spécifiques, comme les mauvaises récoltes en Amérique du Nord, qui tirent le prix du blé vers le haut ; la pénurie de main-d’œuvre en Malaisie, qui impacte la production mondiale d’huile de palme ; les fortes gelées au Brésil, qui ont fait souffrir la production de canne à sucre ; etc.

La combinaison de tous ces facteurs rend la situation particulièrement critique. « Chacune de ces cultures voit ses prix grimper pour des raisons propres, mais c’est très inquiétant qu’elles soient toutes en hausse au même moment », avertit Abdolreza Abbassian, économiste à la FAO.

Même si rien ne dit qu’elle explosera avant la Présidentielle, la mèche de la bombe sociale est allumée, et elle façonne déjà en partie le débat de la présidentielle, bien plus que les thèmes artificiellement poussés à travers la pseudo-candidature d’Eric Zemmour. Reste à y apporter des solutions.