« Talibans = terroristes » : un bon prétexte pour asphyxier l’Afghanistan

vendredi 26 novembre 2021

Chronique stratégique du 22 novembre 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Depuis l’arrivée des Talibans au pouvoir, le 15 août dernier, les médias occidentaux, sous l’impulsion du parti de la guerre anglo-américain, n’ont eu de cesse de rappeler les grands faits du terrorisme taliban, en guerre alors avec les Etats-Unis, malgré tous les signaux envoyés par ces derniers attestant de leur volonté de s’assagir. L’objectif à peine caché étant de saboter toute tentative de coopération entre les gouvernements occidentaux, la Chine, la Russie et les principaux pays de la région, avec le nouveau gouvernement afghan, pour aider ce pays à se stabiliser et à adopter une perspective de développement à long terme.

Les méchants Talibans et les gentils agents de l’Occident

Dès le 7 septembre, l’agence Bloomberg ne manquait pas l’occasion d’empoisonner le débat en écrivant que « le nouveau cabinet des talibans comprend un ’terroriste’ désigné comme tel par les États-Unis ». L’homme en question est le ministre de l’Intérieur Sirajuddin Haqqani, qui dirige le réseau Haqqani et figure sur la liste des personnes les plus recherchées par le FBI. « Cela pourrait compliquer toute initiative des États-Unis visant à coopérer avec les talibans, d’autant plus que le président Joe Biden exhorte les talibans à couper tout lien avec les groupes terroristes », écrivait Bloomberg.

Rappelons que sur ce prétexte, les États-Unis ont gelé environ 9,5 milliards de dollars d’actifs, détenus par la Réserve fédérale américaine (Fed), et qui appartiennent à la Da Afghanistan Bank, ou DAB, la banque centrale du pays ; et que de leur côté, le FMI a bloqué l’accès à l’Afghanistan aux 450 millions de dollars de Droits de tirage spéciaux (DTS), et la Banque mondiale et l’UE ont suspendu toutes leurs aides financières.

Pour diriger la DAB, les Talibans ont nommé Haji Mohammad Idris, qui bénéficie d’une longue expérience en matière financière, acquise auprès du précédent leader du mouvement, le mollah Akhtar Mansour, tué dans une attaque de drone en 2016. Cependant, à peine nommé, Amrullah Saleh, ancien ministre de l’Intérieur afghan, l’accusait sur CNN-News 18, le 25 août, d’avoir été « Un blanchisseur d’argent qui facilitait les transactions entre les sympathisants d’Al-Qaïda et les Talibans ».

Mais qui est donc Amrullah Saleh ? Au moment de son interview sur CNN-News, il se présentait comme le « Président afghan par intérim », et il s’évertuait à demander à l’Occident à envoyer de l’argent et des d’armes à Ahmad Massoud, le fils du légendaire commandant Massoud, lequel a rapidement échoué à organiser une résistance de guérilla dans la vallée de Panshir. En réalité, Saleh est une mascotte bien connue de l’OTAN et un agent confirmé du MI6, de la CIA et des agences de renseignement françaises et allemandes.

Le crime des Talibans qui, on s’en souvient, avaient reçu au départ le soutien de ces mêmes agences, ne serait-il pas plutôt d’en savoir trop sur qui en haut lieu tire les ficelles du terrorisme ?

Des sanctions qui frappent toute la population

L’autre problème est le blanchiment d’argent (AML). Pendant les vingt ans d’occupation de l’OTAN, le gouvernement afghan a adopté des réformes prétendument strictes en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (AML/CFT). L’objectif principal, attribué à une cellule spéciale de renseignement financier (CRF) opérant à partir de la DAB, était de réglementer la fameuse « hawala », un système populaire et informel de transfert de valeurs, basé non sur le mouvement d’espèces, ni sur les transferts télégraphiques ou par réseau informatique entre banques, mais plutôt sur les performances et les entrées d’un vaste réseau de courtiers.

Dès que les talibans ont pris le pouvoir, l’équipe de la CRF a fui le pays. Et le 15 août, les États-Unis ont coupé l’accès sécurisé de la DAB à toutes les unités étrangères de la CRF.

Le 17 septembre, Just Security, un forum en ligne pour l’analyse rigoureuse de la sécurité nationale, de la politique étrangère et des droits, basé à New York, écrivait :

C’est aux Talibans, ceux là mêmes qui avaient été sanctionnés par les Nations unies, les États-Unis et d’autres partenaires internationaux, de superviser l’application par l’Afghanistan de la LAB (Lutte anti-blanchiment)/CFT ainsi que les sanctions économiques ». Le « Forum » ajoutait cyniquement qu’il « est peu probable que les Talibans fassent véritablement respecter les sanctions des Nations Unies à leur encontre...

Autrement dit, les sanctions mises en œuvre en 1999 contre le Mollah Omar et les Talibans sont désormais appliquées à l’Afghanistan dans son ensemble. Conscient de ce paradoxe, Just Security finit par suggérer que « le Département d’Etat, en consultation avec le Département du Trésor, devrait modifier la définition des ‘Talibans’, comme le permet le décret 13268, dans le double objectif d’accroître les pressions diplomatiques contre eux et contre ceux qui les soutiennent et de fournir la clarté réglementaire nécessaire aux institutions financières, aux organisations d’aide et aux autres parties prenantes qui doivent gérer les sanctions économiques, notamment pour dissuader quiconque de coopérer avec les Talibans ».

L’opération Ibn Sina pour libérer l’Afghanistan

Ces pratiques mafieuses et criminelles ont des effets désastreux sur la population afghane. « Les fonds qui sont bloqués par le Trésor américain — mais aussi par la Commerzbank, la Bundesbank et la Banque des règlements internationaux — appartiennent au peuple afghan », [a déclaré le 17 novembre Helga Zepp-LaRouche, la présidente internationale de l’Institut Schiller, lors d’une visio-conférence organisée par le Council on Global Relations (CGR) de Washington.

Comme l’a souligné le Dr Beasley [du Programme alimentaire mondial des Nations unies] et le Dr Tedros de l’Organisation mondiale de la santé, 97 % de la population risque de souffrir d’insécurité alimentaire. Et l’insécurité alimentaire n’est qu’un autre mot pour dire qu’on meurt de faim. (…) Et je veux être très claire, car il ne sert à rien d’avoir de beaux projets si cela n’est pas réglé d’abord — ceux qui bloquent cet argent le font de manière totalement illégale. Ils doivent être tenus pour responsables. Tout décès qui survient à partir de maintenant sera la faute des personnes qui retiennent les fonds afghans.

Depuis deux mois, l’Institut Schiller mène une campagne internationale, à laquelle participe Solidarité & progrès, pour exiger le déblocage de ces fonds, afin de libérer la société afghane de ce garrot financier, qui asphyxie particulièrement brutalement le secteur de la santé, dont le fonctionnement dépendait en grande partie des aides internationales. Bénéficiant d’une large couverture dans plusieurs médias chinois et pakistanais, Mme Zepp-LaRouche a pu appeler la communauté internationale à lever toutes les sanctions financières et à mobiliser d’urgence l’aide nécessaire, notamment d’équiper l’Afghanistan d’un véritable système de santé moderne.