Lever les brevets sur les vaccins : passer des paroles aux actes

lundi 29 novembre 2021

Chronique stratégique du 29 novembre 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Lever les brevets sur les vaccins devient une urgence. Face à l’émergence d’un nouveau variant du Covid-19, certains responsables politiques, tel que notre président, se souviendront sans doute de leurs propres mises en garde contre le fait que, à moins d’une campagne mondiale visant à assurer que tous les pays de la planète aient accès à la vaccination, la pandémie ne cessera pas de faire apparaître de nouveau variants. Le moment de faire passer la santé avant les profits ?

Des paroles aux actes

En mai 2021, lors d’un sommet sur l’Afrique à Paris, Emmanuel Macron, avec une préscience étonnante, avait prévenu qu’« en omettant de vacciner les Africains, on risquait de laisser émerger sur le continent des variants potentiellement dangereux du Covid-19 qui pourraient ensuite se propager dans le monde entier ». Et le président français s’était alors fixé comme objectif de vacciner 40 % des personnes en Afrique d’ici la fin 2021.

Aujourd’hui, seuls cinq pays africains — soit moins de 10 % des 54 nations du continent — atteindront l’objectif de fin d’année consistant à vacciner complètement 40 % de leur population contre le Covid-19, à moins que des efforts ne soient faits pour accélérer le rythme, a averti l’OMS fin octobre.

Afin d’avancer vers une solution, Macron avait également déclaré à l’époque : « Nous demandons à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et au Medicines Patent Pool de lever toutes les contraintes en matière de propriété intellectuelle qui bloquent la production de certains types de vaccins ». Soulignons ici que l’Inde et l’Afrique du Sud ont formellement fait cette demande à l’OMC.

Cette semaine, dans le contexte de craintes croissantes à propos du variant Omicron identifié en Afrique du Sud, le président américain Joe Biden a appelé les pays participant à une réunion de l’OMC la semaine prochaine à renoncer aux protections de la propriété intellectuelle sur les vaccins contre le coronavirus. Le président américain estime que la découverte de ce nouveau variant démontre que la pandémie ne prendra fin que lorsque le monde entier aura un accès égal aux vaccins.

Il était temps d’en prendre conscience ! Mais va-t-on réellement traduire ces paroles par des actes ? C’est en tout cas ce que réclame, sur le site de l’Institut Schiller, l’ancienne ministre américaine de la Santé dans un appel que nous vous demandons de signer.

Lever les brevets

En France, plusieurs chercheurs, sur le site de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) français, plaident pour une telle décision :

La suspension des brevets pourrait également favoriser les transferts de technologie de production vers les pays en développement et consolider leur autonomie, en vue d’une prochaine pandémie. Ne serait-ce pas aller contre la logique d’innovation industrielle ? L’enjeu central se situe-t-il vraiment au niveau des brevets ? s’interroge l’INSERM.

Pour Maurice Cassier, sociologue au Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale et société de Villejuif, « la levée des brevets permettrait non seulement de faire baisser les prix des vaccins, mais également de renforcer les technologies vaccinales à l’échelle mondiale. Des précédents en attestent : en 2007, le Brésil a procédé à la levée des brevets de l’éfavirenz, un antirétroviral contre le VIH. Des industriels brésiliens ont pu fabriquer le médicament et les prix ont alors baissé de 54 %. Nous disposons des outils juridiques et techniques pour organiser la distribution et les transferts technologiques. En effet, la levée des brevets est une disposition prévue dans le droit international de la propriété intellectuelle et déclinée dans les droits nationaux des pays de l’OMC. Pour la déclencher à l’échelle internationale, il faut que l’OMC émette un avis en ce sens, et que le G7 ou le G20 déclarent leur volonté de lancer cette procédure. S’ils le souhaitent, en théorie, les États peuvent reprendre la main sur l’exploitation des brevets, et donc sur la production et la distribution des vaccins. (...) Les industriels craignent que cela freine les investisseurs privés. Ils ont pourtant bénéficié de contributions publiques d’une ampleur inédite pour développer ces vaccins : un partage des droits d’exploitation serait donc légitime. Je pense que financièrement la levée des brevets affecterait peu les propriétaires des vaccins, notamment Pfizer et Moderna, qui ont acquis une avance technologique considérable. L’émergence des variants pèsera dans la balance : les pays voudront reprendre le contrôle de l’épidémie en vaccinant massivement à l’échelle mondiale ».

Par contre, pour Manuel Rosa-Calatrava, directeur de recherche Inserm au Centre international de recherche sur les maladies infectieuses de Lyon, « dans le contexte actuel de pandémie, la levée des brevets sur les vaccins est une réponse trop simpliste face à un problème complexe », car pour la recherche, « le système des brevets correspond à un cercle vertueux : le laboratoire, privé ou public, qui a investi lourdement pour mettre au point une innovation – et le cas échéant pour l’amener jusqu’au marché – obtient un monopole de 20 ans pour son exploitation en échange d’une divulgation intégrale de l’innovation. Après tout, la mise sur le marché d’une nouvelle molécule thérapeutique nécessite un développement d’une dizaine d’années, pour un coût de l’ordre du milliard d’euros ».

En clair, à moins qu’il n’existe un réseau de banques nationales sous contrôle citoyen capables de financer la recherche médicale publique à long terme, les installations publiques de R&D resteront dépendantes des revenus générés par les brevets.

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