La paix mondiale se joue en Ukraine

mardi 7 décembre 2021

Chronique stratégique du 7 décembre 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Le 3 décembre, le Washington Post a « révélé » que la Russie a amassé 175 000 soldats à sa frontière occidentale, « preuve » qu’elle s’apprête à envahir l’Ukraine d’ici fin janvier. Après plusieurs semaines de conditionnement médiatique à propos des « dangereux mouvements » des troupes russes, la machine est lancée par le grand quotidien américain, très coutumier du fait, et repris en cœur par l’ensemble des médias atlantistes.

Le Pentagone est « très, très inquiet »…

Le lendemain, le ministre américain de la Défense Loyd Austin est entré dans la danse, en se disant « très inquiet » face à ces « révélations », et en réaffirmant l’engagement des États-Unis à protéger l’intégrité territoriale de l’Ukraine. A ses côtés, le chef d’État-major James McConville, s’est également dit « très, très inquiet » par la présence des troupes russes à la frontière, ajoutant : « Je ne suis pas certain de ce qu’ils ont l’intention de faire, mais pour moi, cela impacte terriblement la sécurité de nos amis européens ».

La tension est telle que Joe Biden, répondant à la demande russe, a accepté d’avancer sa rencontre avec Poutine initialement prévue pour janvier 2022.

Le Kremlin, tout en dénonçant une « campagne de fausses informations », a réaffirmé que la Russie ne représente aucune menace à l’encontre d’aucun pays. De son côté, le président de la commission des Affaires étrangères de la Douma, Leonid Slutsky, a affirmé que ce nouveau « conte de fées » propagé par les médias occidentaux vise en réalité à couvrir le gouvernement ukrainien  :

Il semblerait que l’on ne veuille pas que la vérité soit entendue au sujet des actions du régime de Kiev visant à saper les accords de Minsk et le véritable rôle de médiateur de la Russie dans le règlement du conflit dans le Sud-Est de l’Ukraine, a-t-il déclaré.

Qui jette de l’huile sur le feu ?

Le 1er décembre, la Russie a donné deux mois au personnel de l’ambassade américaine présent depuis plus de trois ans pour retourner aux États-Unis, en mesure de représailles après que l’ambassadeur russe à Washington, Anatoly Antonov, a été forcé d’annoncer que 27 diplomates russes et leurs familles allaient devoir quitter le territoire américain d’ici juin 2022, du fait que leurs visas n’ont pas été reconduits par l’administration.

La veille, le directeur général de l’Otan Jens Stoltenberg a dit qu’il fallait « se préparer au pire ». « Il n’y a aucune certitude, aucune clarté, sur les intentions exactes de la Russie, et elles peuvent réellement évoluer et changer (…) », a-t-il déclaré dans un langage sinueux mais dont on peut dire – avec certitude et clarté – qu’il jette de l’huile sur le feu. « Ils l’ont déjà fait », a-t-il ajouté, en référence à « l’annexion » de la Crimée qui, est-il besoin de le rappeler, ne s’est pas faite par une « invasion » russe, mais par référendum…

Faisant contrepoint avec cette propagande, le gouvernement russe s’est dit quant à lui préoccupé par les manœuvres militaires se déroulant ces dernières semaines à sa frontière ; en mer Noire notamment, des bombardiers de l’Otan ont volé à seulement 20 kilomètres de la frontière, avec à leur bord des armes de précision et potentiellement même des armes nucléaires. « Nous considérerions certainement cela comme une menace pour nous », a fait savoir le président Poutine.

Le 27 novembre, l’ambassadeur Antonov a mis en garde les Occidentaux qui croient que la Russie n’osera pas réagir face à ces provocations.

Les membres de l’Otan sont en train de s’installer en mer Noire et en territoire ukrainien. Certains supposent que (…) la Russie ne répondra pas, par peur des représailles de l’Organisation atlantique. Je tiens à dire et à souligner qu’il s’agit d’une dangereuse illusion.

« Militairement parlant, a-t’il poursuivi, cette gamme d’armes fournie à l’Ukraine [par les États-Unis] s’élargit de jour en jour. Cela inclut désormais les Stinger [systèmes de défense aériens portables par l’homme], les Javelin [armes anti-char] et même nos Mi-17 [hélicoptères]. Ils continuent d’affirmer qu’il s’agit d’armes de défense. Mais nous savons que ces ‘armes de défense’ (…) peuvent également être utilisées pour lancer des missiles de portées courte et intermédiaire, comme cela a été démontré – ce que ne veulent pas admettre les Américains ».

L’ambassadeur russe a comparé cette campagne à l’époque où Collin Powell, l’ancien secrétaire d’État américain décédé du Covid-19 en octobre, avait brandi une fiole devant l’Assemblée des Nations unies, en prétendant qu’elle contenait l’anthrax des armes de destruction massive irakiennes.

Nous réitérons, à l’intention des médias, des analystes politiques et de l’administration, que la Russie ne va attaquer personne. Si vous pensez que les accords de Minsk sont la pierre angulaire pour toute solution dans le Donbass, alors faites valoir ce message directement auprès des dirigeants ukrainiens, qui font tout pour obtenir davantage d’armes, a lancé l’ambassadeur.

Ligne rouge

Fiodor Loukianov, rédacteur en chef de la revue Russia in Global Affairs, interrogé dans Le Monde, a bien raison lorsqu’il affirme : « Nous sommes à un moment charnière, celui où la Russie estime que toute l’architecture de sécurité en Europe, tous les arrangements instaurés il y a trente ans ne sont plus acceptables. L’idée que les États puissent choisir leurs alliances avait été admise par Mikhaïl Gorbatchev, mais les élargissements successifs de l’Otan n’ont jamais satisfait la Russie. Un premier signal a été envoyé en 2008, avec la guerre en Géorgie. Mais, comme le président géorgien [Mikheïl Saakachvili] était un personnage particulier et que la situation a été résolue rapidement, il n’y a pas eu de réelle remise en question. Aujourd’hui, nous sommes arrivés au point où la Russie dit deux choses : elle n’accepte plus le principe des élargissements et l’Ukraine est une ligne rouge ».

Or, si la France et l’Allemagne (au moins Merkel) continuent à s’opposer à l’idée que l’Ukraine (un pays trop corrompu) entre dans l’Otan, les États-Unis pensent qu’elle doit pouvoir choisir « librement »…

La question reste de savoir si, malgré tous ces développements, la Maison-Blanche et le Kremlin parviendront à maintenir le dialogue entre les deux puissances, au-delà de l’entrevue de ce mardi entre les deux présidents. Joe Biden, dont la chute de popularité bat tous les records dans son propre pays, peut être tenté de ménager la chèvre et le choux, en donnant des gages au parti de la guerre – qui voit l’escalade contre la Russie et la Chine comme un moyen de détourner l’attention politique sur des ennemis extérieurs —, tout en évitant le conflit. Mais c’est jouer avec un feu très dangereux…

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