EDF : à force de lui tordre le bras, ils finiront par lui tordre le cou

jeudi 20 janvier 2022, par Karel Vereycken

Si l’on devait écrire un manuel sur la manière dont un Etat peut se suicider, ce qui est infligé actuellement à EDF, un service public, pourrait occuper plusieurs chapitres.

Ça flambe !

On a du mal à comprendre. En 2008, lorsque le prix du baril de pétrole était à 147 dollars, le prix du litre d’essence à la pompe affichait 1,32 euro. Or, en 2022, le prix du baril n’est que de 83 dollars. Et pourtant, le litre à la pompe est à 1,70 euro…

Relance économique post-Covid19, spéculation, tensions géopolitiques, transition énergétique, tout est bon pour nous prouver que nos gouvernements n’y peuvent pas grand-chose, puisque ce sont « les marchés » (les banques) qui décident !

Cependant, à trois mois d’une élection présidentielle, il convient d’éviter les chocs. Bruno Le Maire, dans la presse étrangère, a avoué que si rien n’est fait, ce qui est arrivé au Kazakhstan, où la population s’est révoltée contre l’envolée brutale des prix de l’énergie, pourrait se produire en France !

Les mesures

A chaque mesure, s’avérant rapidement insuffisante, succède une autre, tout aussi inefficace.

Au versement exceptionnel d’un chèque énergie de 100 euros à 6 millions de ménages, s’est ajoutée l’indemnité inflation du même montant, versée à 38 millions de personnes.

Concernant le gaz, après quatre hausses consécutives en 2021 (9,96 % en juillet, 5,3 % en août, 8,7 % en septembre et 12,6 % en octobre), en vertu d’un décret paru au Journal Officiel, les tarifs resteront bloqués à leur niveau d’octobre 2021 jusqu’au 30 juin 2022. Sans cette mesure, le barème pour le calcul des tarifs réglementés de vente au 1er janvier 2022 aurait dépassé de 38 % TTC le niveau en vigueur depuis le 1er octobre 2021 !

Quant à l’électricité, l’État a promis de limiter à 4 % la prochaine hausse du tarif réglementé. Sans cette intervention, d’après les chiffres annoncés par la Commission de régulation de l’énergie, ce tarif aurait explosé à 44,5% dès le 1er février pour les particuliers. Grâce à ce « bouclier tarifaire », la hausse ne représentera qu’un surcoût d’environ 38 € sur la facture annuelle d’un client résidentiel et 60 € pour un professionnel. Sinon, la hausse serait réciproquement de 330 € et 540 €.

Ces mesures, véritable cadeau aux marchés financiers, représentent à elles seules un coût de 14 milliards d’euros pour le contribuable sur la période 2021-2022. La baisse des taxes, destinée à plafonner la hausse à 4 % en février 2022, représente 8 milliards de ce total. Un montant auquel il faut ajouter les 3,8 milliards d’euros d’« indemnité inflation », les 1,5 à 2 milliards du blocage du tarif réglementé du gaz et les 600 millions du chèque énergie exceptionnel, détaille au Figaro Barbara Pompili, notre ministre de la Transition écologique.

Mise à mort d’EDF

Tout cela étant rapidement dépassé par la poursuite de la hausse des prix de l’énergie, le gouvernement a demandé à EDF, dont l’Etat détient 84 %, d’augmenter de 20 % (20 TWh) le volume d’électricité nucléaire vendu à prix réduit aux « distributeurs alternatifs » (Engie, Total Spring, Planète Oui, ENI, etc.).

Il faut savoir que depuis 2011, le dispositif ARENH (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique) permet à tous les fournisseurs alternatifs (y compris ceux qui ne produisent pas le moindre kW d’électricité) de s’approvisionner en électricité auprès d’EDF dans des conditions fixées par les pouvoirs publics. Le prix est actuellement de 42 €/MWh et le volume global maximal affecté au dispositif est égal à 100 TWh/an, environ un quart de sa production d’électricité d’origine nucléaire. [1]

Évidemment, le privé gagne à tous les coups car lorsque le prix de l’électricité est en-dessous du prix offert par EDF, les fournisseurs alternatifs s’approvisionnent sur le marché, tout en profitant du prix bas d’EDF lorsque le prix repart à la hausse.

Or, le problème immédiat pour EDF, c’est qu’elle a déjà vendu les volumes de sa production de 2022.

Comme le précise le site Connaissance de l’énergie :

Comme EDF vend une large part de son nucléaire sur les marchés ‘à terme’ (principe de couverture), elle devra acheter à prix fort sur le marché ‘au jour le jour’ (« spot ») les 20 TWh de nucléaire qu’elle a déjà vendus sur ces marchés à terme il y a plusieurs mois, donc quand les prix étaient moins rémunérateurs qu’aujourd’hui... 

Et, comme le souligne Marianne :

L’électricien a donc déjà perdu une partie des bénéfices qu’il aurait pu retirer de la hausse des prix. Et il va les perdre une seconde fois car EDF va devoir racheter des montagnes de sa propre électricité, au prix de marché qui se situe entre 275 euros et 300 euros le MWh, et les revendre six fois moins cher.

Le coût de cette opération est d’au moins 8 milliards d’euros, alors qu’EDF supporte une dette de 41 milliards et va devoir assumer d’importants investissements pour la maintenance des réacteurs existants et la construction de six nouveaux réacteurs EPR.

Grève du 26 janvier

Syndicats et direction dénoncent en chœur la décision gouvernementale. Dans une lettre interne aux cadres de son groupe, le PDG Jean-Bernard Lévy parle d’un véritable « choc ».

Les quatre principaux syndicats fustigent la décision du gouvernement et appellent à la grève le 26 janvier. Ils dénoncent dans un communiqué commun la destruction organisée d’EDF au profit de la concurrence.

« La situation est grave, l’attaque est importante et la réponse doit être collective », affirment FO-Energie et Mines. Pour sa part, Philippe Page Le Mérour, secrétaire CGT du conseil syndical d’EDF, a déclaré :

On nous dit que le prix de l’électricité augmente à un rythme insoutenable. C’est une réalité. Pourquoi ? Parce que nous sommes rattachés au marché européen de l’électricité, dont les prix sont tirés vers le haut [...] La facture d’électricité en France aujourd’hui devrait être bien inférieure à ce qui est annoncé par le ministère. Nous proposons donc que nous retrouvions notre indépendance énergétique et que les salariés d’EDF travaillent pour leurs concitoyens, pour le service public de l’électricité, pour les entreprises du pays et non pour la concurrence.


[1La mise en place du dispositif ARENH résulte d’un engagement de l’Etat français auprès de la Commission européenne pour organiser la « libre concurrence » par l’instauration de la loi NOME (Nouvelle organisation du marché de l’électricité) du 7 décembre 2010.