Sommet UE-Afrique : l’Europe à la croisée des chemins

mardi 22 février 2022

Chronique stratégique du 22 février 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Les 17 et 18 février s’est tenu à Bruxelles le 6e sommet UE-Afrique, entre les 27 et l’Union africaine. Hormis l’avancée relative que représente l’annonce du transfert de la production de vaccins anti-Covid dans 6 pays africains, le sommet a été pollué par les arrière-pensées géopolitiques des Européens, incarnées par le projet « Global Gateway », lancé explicitement pour contrer les Nouvelles Routes de la soie de la Chine. Ainsi, l’Europe se trouve à la croisée des chemins, entre une approche néo-coloniale et malthusienne, et une approche réaliste de coopération gagnant-gagnant avec la Chine, incarnée par l’accord de coopération récemment conclu entre la France et la Chine pour investir dans des pays tiers, principalement en Afrique.

Reporté depuis deux ans en raison de la pandémie, l’ambition du sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine était de « renouveler la relation privilégiée de l’Europe avec l’Afrique ». La seule avancée substantive que l’on puisse relever en ce sens est l’annonce par le Directeur général de l’OMS d’un programme de fabrication de vaccins à ARN messager, qui bénéficiera à six pays africains — l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Kenya, le Nigéria, le Sénégal et la Tunisie.

Le projet, baptisé Madiba pour Manufacturing in Africa for disease immunisation and building autonomy (« fabrication de vaccins en Afrique et renforcement de l’autonomie », en français), est mené par la fondation Institut Pasteur de Dakar. L’effort initial est centré sur les technologies et les produits biologiques à base d’ARNm, qui sont importants pour la fabrication de vaccins et peuvent également être utilisés pour d’autres produits, tels que l’insuline pour traiter le diabète, les médicaments contre le cancer et, potentiellement, les vaccins pour d’autres maladies majeures comme le paludisme, la tuberculose et le VIH. L’objectif final est d’étendre le renforcement des capacités de production nationale et régionale à toutes les technologies de la santé.

Si ce transfert de technologie est le bienvenu, il ne faudrait pas qu’il ferme la porte aux autres types de vaccins. Malheureusement, comme on peut le voir sur notre propre continent, la politique européenne en matière de vaccins anti-Covid souffre terriblement d’un biais géopolitique.

« Global Gateway » ou la nasse de la géopolitique

Il est en effet permis de douter des intentions généreuses et humanistes de l’Union européenne. A Dakar, le 10 février, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé mobiliser plus de 150 milliards d’euros d’investissements en Afrique sur la période 2021-2027. Cette initiative s’inscrit dans le cadre du projet « Global Gateway » (« Portail mondial »), un plan visant à mobiliser sur six ans 300 milliards d’euros de fonds publics et privés, pour financer des projets d’infrastructure de l’Union européenne dans le reste du monde.

Global Gateway est le volet européen de l’initiative lancée par Joe Biden lors du sommet du G7 en Grande-Bretagne, et baptisée Build Back Better (B3W) ; l’objectif explicite est de contrer le projet chinois des « nouvelles routes de la soie », lancé en 2013 par Beijing, et qui inclut aujourd’hui plus de 130 pays et une trentaine d’organisations sur les cinq continents.

Bien entendu, les prêts de Global Gateway seront exclusivement estampillés du statut « environnemental, social et de gouvernance » (ESG), c’est-à-dire compatibles avec « l’ordre fondé sur les règles » de l’agenda malthusien anglo-américain et recommandés aux investisseurs par les trois grands gestionnaires d’actifs (BlackRock, Vanguard et State Street). Les investissements du Global Gateway seront également présentés comme la réalisation concrète de l’escroquerie climatique connue sous le nom d’ « Accords de Paris ».

Le chiffre de 300 milliards d’euros est en lui-même une mauvaise blague. Selon le G20 (qui évalue les besoins de 56 pays de 5 régions dans 7 secteurs), les dépenses d’infrastructure en 2021 n’ont atteint que 79 000 milliards de dollars, alors qu’il en faut au moins 94 000 (en un an). Par rapport à ce « déficit d’infrastructures » de 15 000 milliards de dollars, les 300 milliards d’euros de l’UE ne sont pas vraiment sérieux. Même la très consensuelle Banque mondiale affirme que le déficit d’infrastructures est d’au moins 1 000 milliards de dollars.

« Dans mes rêves, je créerais un partenariat avec l’Afrique du Nord et nous aiderions et stockerions une énorme capacité d’énergie solaire en Afrique et transformerions cette énergie en hydrogène et transporterions cet hydrogène vers l’Europe » avait suggéré dès 2019 le Néerlandais Frans Timmermans, devenu depuis vice-président de la Commission européenne en charge du « Pacte vert pour l’Europe ».

Au premier rang, le Maroc, qui espère profiter de la manne financière en produisant des engrais azotés grâce à l’hydrogène. Le projet Hevo Ammonia Morocco prévoit d’exporter 180 000 tonnes par jour de cet ammoniac vert à l’horizon 2026.

Revers de la médaille, note Jeune Afrique, les coûts sociaux et environnementaux de ces projets sont rarement pris en compte. Notamment sur les questions cruciales de l’accaparement des terres et de la gestion des ressources en eau dans des pays déjà en situation de stress hydrique.

Au Maghreb, cela se traduit plutôt par un ‘colonialisme vert’ que par la recherche d’une transition énergétique qui bénéficie aux plus démunis, dénonce Hamza Hamouchène, chercheur en énergie pour le Transnational Institute de Londres.

Lors de la rencontre du 10 février au Sénégal entre la présidente de l’ UE Ursula von der Leyen et le président Macky Sall, ce dernier a exprimé des réserves quant au projet européen. Après avoir évoqué du bout des lèvres la coopération euro-africaine et « la lutte contre le réchauffement climatique », il a affirmé que le Sénégal était favorable au « maintien du financement sur le gaz pour soutenir l’industrialisation de l’Afrique et l’accès universel à l’électricité, puisque plus de 600 millions d’Africains restent encore privés d’électricité ».

La France et la Chine concluent un accord de coopération en pays tiers

A la veille de l’entretien téléphonique entre les présidents Macron et Xi Jinping du 16 février, la Chine a annoncé que la Commission nationale du développement et de la réforme (NDRC) (c’est-à-dire le ministère de l’économie), avait conclu un accord avec le ministère français de l’économie et des finances pour cofinancer sept projets d’infrastructure, dont six en Afrique.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette initiative va à l’encontre du projet « Global Gateway ». Le silence officiel de la France à ce sujet est d’ailleurs révélateur du fait que le gouvernement français est conscient de marcher sur des œufs.

L’accord trouve son origine en juin 2015, lors de la visite officielle en France du Premier ministre chinois Li Keqiang, comme le rapporte Frédéric Lemaître, le correspondant du Monde à Pékin. À cette occasion, les deux pays avaient publié une déclaration commune sur la coopération sur les marchés tiers.

L’accord de coopération concerne sept projets d’une valeur de plus de 1,7 milliard de dollars (1,5 milliard d’euros), couvrant, entre autres, les infrastructures, la protection de l’environnement et les énergies nouvelles, en l’Afrique et en Europe centrale et orientale. Le correspondant du Monde rapporte que le plus important d’entre eux concerne le traitement des eaux usées à Dakar, un projet soutenu par l’Agence française de développement et la Banque chinoise de développement. Trois projets hydroélectriques doivent voir le jour au Gabon, mis en œuvre par la société chinoise Sinohydro et les sociétés françaises Meridiam et Eranove. Les projets incluent également la modernisation d’un port en Côte d’Ivoire, grâce à la coopération entre la société chinoise China Harbor et la Cacib (la banque d’investissement du Crédit Agricole), et la rénovation d’une route en Guinée par la société chinoise CRBC et la société française Egis. Enfin, en Grèce, China Energy Investment et EDF vont coopérer pour construire un parc éolien.

Cette brèche ouverte vers la coopération avec la Chine offre à la France une belle occasion de jouer un rôle majeur dans le nouveau paradigme international de coopération gagnant-gagnant en train de naître.

Encore faut-il que le gouvernement français, qui dirige le Conseil européen jusqu’en juillet, décide une bonne fois pour toutes de se désolidariser du « train fou » de l’OTAN et d’un empire anglo-américain prêt à tout (y compris à la guerre) pour préserver son hégémonie mondiale. Et c’est là que le « en même temps » montre toutes ses limites…

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