Gourdault-Montagne : il faut que la diplomatie prenne le dessus !

mardi 29 mars 2022

Chronique stratégique du 29 mars 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

L’hystérie et les provocations occidentales contre la Russie ont atteint un niveau tel qu’une certaine réaction en faveur de la diplomatie se manifeste en Europe, et en particulier en France et en Allemagne, où l’on ne tient sans doute pas à se trouver aux premières loges d’un conflit nucléaire entre l’Otan et la Russie.

Dérapage incontrôlé

Le principal danger, dans la situation actuelle, est représenté avant tout par la tendance à péter un boulon de certains hauts dirigeants. C’est ainsi que, lors de sa visite samedi dernier à Varsovie, le président américain Joe Biden a qualifié Vladimir Poutine de « boucher », avant d’affirmer que « cet homme ne peut pas rester au pouvoir ». Un appel explicite au changement de régime à Moscou, que la Maison-Blanche a immédiatement dû tempérer : « Ce que le président voulait dire, c’est que Poutine ne peut pas être autorisé à exercer un pouvoir sur ses voisins ou sur la région (…) Il ne parlait pas du pouvoir de Poutine en Russie, ni d’un changement de régime ».

Le dérapage incontrôlé de Biden a eu au moins le mérite de faire réagir les Européens, en particulier à Paris et à Berlin. Le lendemain, Emmanuel Macron a tenu à se démarquer de son homologue américain, mettant en garde contre « l’escalade des mots et des actions », et assurant que lui-même « n’utiliserait pas ce genre de propos », notamment parce qu’il continue à avoir des échanges réguliers avec le président russe. « Nous voulons arrêter la guerre que la Russie a lancé en Ukraine, mais sans faire la guerre et sans escalade », a-t-il ajouté.

De son côté, le chancelier allemand Olaf Scholz a rejeté toute éventualité de changement de régime à Moscou. Une telle perspective « n’est pas l’objectif de l’Otan ni celui du président américain, a assuré le chancelier allemand, dimanche soir, sur la chaîne publique ARD. La démocratie, la liberté et le droit ont un avenir partout », a-t-il observé, avant d’ajouter : « Mais c’est aux peuples et aux nations de se battre pour cette liberté ».

« Ne sommes-nous pas des somnambules, comme en 1914 ? »

Au moment où Biden débarquait en Europe pour participer aux sommets de l’Otan, de l’UE et d’un G7, Maurice Gourdault-Montagne, ancien secrétaire général du Quai d’Orsay et ancien conseiller de Jacques Chirac entre 2002 et 2007, est intervenu dans plusieurs médias pour alerter sur le fait que toutes les conditions sont là pour un affrontement :

Nous sommes irrésistiblement entraînés par une dynamique qui peut nous échapper au moindre dérapage provoqué par une fausse manœuvre ou un malentendu sur le terrain ou encore une provocation isolée, écrit-il dans une tribune parue le 25 février dans Le Figaro.

Dans une interview sur Europe 1, le haut diplomate évoque les sommets, les sanctions et les livraisons d’armes à l’Ukraine par les Occidentaux, se demandant où tout cela mène : « Est-ce que nous ne sommes pas aujourd’hui, c’est un peu mon sentiment, comme en 1914, comme des somnambules ? A l’époque, les principaux pays, poussés par leur système d’alliances, ont marché comme des somnambules vers la guerre, sans même chercher d’autres solutions, notamment diplomatiques ».

Pour Gourdault-Montagne, le traitement médiatique par l’émotion empêche de comprendre les véritables causes de cette potentielle guerre mondiale, et surtout de prendre en compte le point de vue russe. « Je pense qu’on n’a pas pris assez au sérieux ce que disent les Russes, a-t-il dit sur Europe 1. Le président russe depuis des années avait dit qu’une extension de l’Otan était une provocation ; il l’a dit en 2007.. Et en 2008, il y a eu néanmoins une décision prise par un sommet de l’Otan a Bucarest, de faire entrer, comme membres à part entière, l’Ukraine et la Géorgie. La France et l’Allemagne à l’époque, avaient déjà levé la main pour dire ’n’allons pas si vite’ et avaient proposé plutôt un plan d’action à ces deux pays ».

Gourdault-Montagne rappelle ensuite que le traité d’association UE-Ukraine – rejeté en novembre 2013 par le président ukrainien Viktor Ianoukovytch, avant que les Anglo-américains ne déclenchent le coup d’État néo-nazi de Maïdan — a été considéré par la Russie comme un prélude à une entrée pleine et entière de l’Ukraine dans l’Otan. Elle a pris alors le Donbass et la Crimée en gage, car « les Russes ne pouvaient pas imaginer une seconde que la Crimée entre dans l’Otan puisqu’ils ont une base navale en location pour la flotte russe de la mer noire à Sébastopol ».

Gourdault-Montagne note la responsabilité particulière des durs aux États-Unis, rappelant qu’en 2006, il avait été missionné par Jacques Chirac pour négocier, avec Moscou et les États-Unis, un plan de « neutralité » pour l’Ukraine. Ce plan avait été rejeté par Condoleeza Rice, secrétaire d’État à l’époque, en disant « Vous, les Français, ça commence à bien faire. Vous nous avez bloqué pendant un certain temps l’adhésion de la première vague des pays de l’Europe centrale à l’Otan ; vous n’allez pas bloquer la deuxième vague ».

Que veut la France ?

Nous sommes restés totalement sourds à tous ces avertissements successifs, regrette l’ancien diplomate. De plus, l’efficacité des sanctions est limitée, et les espoirs d’occidentaux de provoquer une révolution de palais à Moscou pourraient rapidement être douchés. Car Gourdault-Montagne explique :

Nous sous-estimons la capacité de résilience du peuple russe. (...) Les Russes ont subit la grande guerre patriotique, ils ont subi la fin du régime soviétique, ils sont convaincus (…) que nous sommes contre eux, que nous les agressons. (…) Nous sommes en train de les pousser dans un coin et la population russe est capable de tenir longtemps. De plus, ajoute-t-il dans Le Figaro, les livraisons d’armes (...) nous mettent quasiment en position de cobelligérants et nous exposent au moindre incident qui servira de prétexte aux Russes.

Se tournant vers une présidence française qui fait le grand écart entre sa soumission à l’Otan et le rôle historique de médiateur de la France, Gourdault-Montagne demande :

Que voulons-nous ? Détruire la Russie ? Ce n’est pas l’Allemagne nazie. (…) N’est-il pas temps de tout faire pour arrêter la confrontation avant le déclenchement de la guerre ?

« La France, membre permanent du Conseil de sécurité, puissance nucléaire, peut jouer un rôle en liaison étroite avec l’Allemagne, conclut-il. Le président Macron continue de dialoguer avec le président russe. Il a l’antériorité d’avoir lancé l’idée d’une ‘nouvelle architecture européenne en incluant la Russie’ ».

Une conférence générale sur la sécurité impliquant l’Otan et la Russie et prévoyant un système de garanties de sécurité avec un nouveau régime de contrôle des armements, est plus que jamais nécessaire. Et dans le monde multipolaire, sachons aussi trouver de possibles médiateurs. Certains apparaissent déjà comme la Turquie, pays riverain de la mer Noire avec l’Ukraine et la Russie, l’Inde, partenaire stratégique de la France et traditionnellement proche de Moscou et la Chine qui hésite encore entre sa promesse de ‘partenariat sans limite’ de début février avec la Russie et son intérêt à ne pas se couper du monde pour poursuivre son développement. La guerre n’est jamais fatale. Il est grand temps de trouver la paix et de la construire.

Puisse-t-il être entendu !

Nous vous encourageons, chers lecteurs, à signer l’appel de l’Institut Schiller à convoquer une conférence internationale afin d’établir une nouvelle architecture de sécurité et de développement pour toutes les nations, et à vous inscrire à la visioconférence du 9 avril, destinée à pousser les dirigeants du monde à agir dans ce sens.