L’Union européenne aime Macron, mais aime-t-elle les Européens ?

lundi 18 avril 2022

Chronique stratégique du 18 avril 2022 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

La campagne médiatique du second tour de l’élection présidentielle, dans son obsession à vouloir rejouer le match de 2017, joue à fond l’opposition entre un Macron héraut de la démocratie face à une Le Pen icône des autocraties. Comme il y a cinq ans, ce « débat » se cristallise notamment autour de « l’Europe », le président sortant et ses soutiens criant au loup de la sortie de l’Union européenne en cas d’élection de Marine Le Pen. Mais le mythe d’une UE « autonome », garante de la paix, de la stabilité, de la réduction des inégalités, de la sécurité alimentaire et de la prospérité résiste-t-il toujours à une réalité qui frappe de plein fouet des millions de citoyens européens, y compris français ?

Dimanche 10 avril au soir, la révélation des résultats du premier tour de l’élection présidentielle française a résonné comme un coup de tonnerre dans toute l’Europe : car non seulement près de la moitié des suffrages se sont portés vers Mélenchon et Le Pen – deux candidats « eurosceptiques » — mais, pire, la candidate du RN était presque en position de l’emporter au second tour face au chouchou de Bruxelles Emmanuel Macron.

Depuis lors, la machine médiatique tourne à plein régime dans le but de faire gagner Macron à tout prix, en ressortant les vieilles recettes qui ont permis depuis quarante ans de faire des Le Pen un parfait épouvantail garantissant le maintien de l’ordre établi. Au risque de tomber dans la caricature.

« Si Marine Le Pen est élue, dans moins d’un mois, nous aurons décidé sans débat de ruiner l’économie française, de sortir de l’Union européenne, et de nous allier avec le Kremlin contre l’Otan », s’inquiétait Jacques Attali, dès le 31 mars sur son compte Twitter, dans une mise en garde qui rappelle ironiquement les menaces de la droite affairiste lors de l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981, à propos de la fuite des capitaux et de l’arrivée des chars soviétiques sur les Champs Elysées…

Il faut dire que l’UE de M. Attali – qui fut, rappelons-le, l’un des co-rédacteurs du Traité de Maastricht — a su, depuis un demi-siècle, garantir si brillamment la paix (sic), la prospérité économique (re-sic) et la stabilité des prix (re-re-sic) ! Et n’écoutez surtout pas les rabat-joie qui vous diraient le contraire, ce sont tous des suppôts du Kremlin !

Et bien, justement, parlons-en. Car cette campagne mise précisément sur l’idée selon laquelle les gens auraient des mémoires de poisson rouge, et auraient par conséquent renvoyé au sous-sol de leur conscience la réalité d’une Europe qui, jetée tête baissée dans l’ordolibéralisme et le tout-marché, a plongé des millions de Grecs dans une pauvreté et un désespoir insupportable.

Les Grecs voteraient-ils Macron ?

En effet, la Grèce a disparu des radars depuis qu’Alexis Tsipras a été ramené dans le « droit chemin » – en 2015, notamment grâce à l’intervention intransigeante du président socialiste de l’époque François Hollande, dont le ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique se nommait Emmanuel Macron. Soutenir la Grèce qui demandait que l’on modifie les traités européens ? Tu rêves, camarade Tsipras.

Pourtant, depuis ce temps, la Grèce n’a cessé de poursuivre sa lente descente aux enfers.

Et après dix années de plans de « sauvetage » généreusement mis en œuvre par l’Union européenne et le FMI, par le biais d’une austérité effrayante, et de la vente à la découpe des biens publics et des actifs industriels, la situation est désastreuse :

  • le PIB s’est réduit de 25 %,
  • la dette a presque doublé,
  • 80% des ménages ont subi une baisse importante de leurs revenus ;
  • 34,8% de la population vit sous le seuil de pauvreté, soit 3,4 millions de personnes touchant environ 370 euros par mois.

Si bien que désormais seul le revenu par habitant de la Bulgarie est inférieur à celui des Grecs, alors qu’au début de la crise, la Grèce était le plus riche des pays des Balkans.

De plus, la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine n’ont fait qu’aggraver les choses.

En mars, l’inflation en Grèce a atteint 8,9 %, soit une augmentation de plus de 1 % en une semaine et de 2,5 % depuis février, selon les derniers chiffres publiés par l’Autorité statistique hellénique. Il s’agit de l’inflation la plus élevée depuis le milieu des années 1990, lorsque la Grèce avait encore sa propre monnaie, la drachme.

Selon « Keep Talking Greece », un salaire de 1 000 euros par mois a perdu de 25 à 30 % de son pouvoir d’achat depuis février ! En mars, le prix de l’électricité a augmenté de 79 %, celui du gaz naturel de 68 % et celui du fioul domestique de 58,5 %. Le prix des huiles de cuisson a augmenté de 19,9 % et celui des légumes de 13 %, et les prix moyens des aliments et des boissons non alcoolisées ont augmenté de 8,1 %.

Aujourd’hui, ce « bloc populaire » formé de Français de tout bords qui subissent de plein fouet les conséquences de l’ordolibéralisme européen – mépris, mensonges, chômage, baisse de pouvoir d’achat, désindustrialisation, désertification des zones rurales et périphériques, disparition des services publics, etc – estime que pas une seule voix ne doit aller à Macron. L’exemple grec lui donne raison.

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