La coopération Russie-Inde permettra-t-elle de nourrir le monde ?

lundi 25 avril 2022

Chronique stratégique du 25 avril 2022 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Pour le plus grand déplaisir des malthusiens occidentaux, la Russie a décidé d’élever temporairement son quota d’exportation d’engrais. Cette mesure est destinée à soutenir la production agricole indienne, en particulier de céréales, dont les exportations atteignent des niveaux capables d’enrayer la famine mondiale, qui menace directement 47 millions de personnes.

Comme l’a rapporté le média indien ET News le 20 avril, la Russie a augmenté son quota d’exportation d’engrais, non seulement afin de soutenir les producteurs russes confrontés au risque d’inactivité (en raison des sanctions occidentales), mais également explicitement pour empêcher les pénuries d’engrais en Inde — qui a par ailleurs la capacité unique cette année d’accroître son offre mondiale de céréales.

L’augmentation temporaire du quota d’exportation est ainsi portée à de près de 700 000 tonnes, 231 000 tonnes pour les engrais azotés et 466 000 tonnes pour les « engrais complexes ». Présentées comme une aide pour les producteurs russes d’engrais qui font face à des temps d’arrêt, ces mesures ont d’ores et déjà augmenté le flux d’engrais vers l’Inde.

Le Premier ministre indien Narendra Modi a déclaré devant le président américain Joe Biden que l’Inde avait « suffisamment de nourriture » pour ses 1,4 milliard d’habitants, et qu’elle était « prête à fournir des stocks de nourriture au monde entier dès demain », comme l’a rapporté BBC News le 19 avril, non sans une pointe de frustration malthusienne.

Sans la guerre en Ukraine, la Russie et l’Ukraine auraient exporté 14 millions de tonnes de blé et plus de 16 millions de maïs cette année, selon la FAO de l’ONU. « Les perturbations de l’approvisionnement et la menace d’embargo auxquelles la Russie est confrontée signifient que ces exportations doivent être retirées de l’équation, souligne Upali Galketi Aratchilage, un économiste indien travaillant à Rome pour la FAO. L’Inde pourrait intervenir pour exporter davantage, surtout si elle dispose de suffisamment de stocks de blé ».

L’Inde est le deuxième plus grand producteur de riz et de blé au monde. Au début du mois d’avril, elle disposait de 74 millions de tonnes métriques de ces deux denrées de base en stock. L’Inde est également l’un des fournisseurs mondiaux de blé et de riz les moins chers, et elle exporte du riz vers près de 150 pays et du blé vers 68. Elle a exporté 7 millions de tonnes de blé en 2020-2021, mais elle est déjà en passe d’exporter 12 millions de tonnes métriques cette année.

La BBC cite Ashok Gulati, professeur d’agriculture au Conseil indien pour la recherche sur les relations économiques internationales :

Si l’OMC autorise l’exportation des stocks gouvernementaux, le chiffre peut être encore plus élevé. L’Inde a la capacité d’exporter 22 millions de tonnes [métriques] de riz et 16 millions de tonnes de blé au cours de cette année fiscale. Cela contribuera à réduire les prix mondiaux ainsi que la charge des pays importateurs dans le monde.

Jusqu’à cette décision russe, la pénurie des engrais, et par conséquent la hausse de leurs prix, risquait d’entraîner une baisse des récoltes indiennes pour l’année 2022, et de saper une dynamique de croissance qui s’est maintenue sur cinq années consécutives.

Les mesures prises par la Russie vont donc permettre à l’Inde de sauver ses récoltes annuelles et de garantir ces exportations. Ceci, alors que l’Inde paie toujours la Russie en euros pour ses échanges commerciaux et qu’elle est payée par la Russie en yuans. Plus vite les échanges en roubles et en roupies seront réglés, plus vite ces deux pays pourront investir mutuellement pour augmenter leur production.

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