Recomposition citoyenne

mercredi 27 avril 2022, par Jacques Cheminade

Ce qui manque est souvent bien plus important que les choses débattues. Cette campagne présidentielle aura ainsi été marquée par deux absences : la souveraineté politique du peuple et les intérêts fondamentaux de la nation. Faute d’en avoir tenu compte, nous ne pourrons échapper à un temps d’incertitudes et de décomposition institutionnelle.

Il s’agit apparemment d’une grande victoire d’Emmanuel Macron, qui a obtenu 58,54 % des suffrages exprimés. Cependant, les chiffres bruts sont trompeurs. La somme des abstentions, des votes blancs et des nuls dépasse 34 %. Ce qui signifie que le président a été élu avec seulement 38,5 % des inscrits. Parmi ses électeurs, près de la moitié ont voté pour lui par rejet de l’autre candidate. Il est en quelque sorte orléaniste et versaillais, élu par les plus de 65 ans retraités, les diplômés bien-pensants des grandes villes et le parti de la peur. Son positionnement idéologique est bien plus « à droite » qu’en 2017, la droite du portefeuille et des grimpeurs sociaux. On peut imaginer une meilleure base sociale pour faire face aux défis du XXIe siècle. On peut imaginer une meilleure connexion entre le lieu où s’élabore aujourd’hui la politique, en gros les très grandes villes, et le reste du pays.

Écouter et servir le peuple.

Imaginons donc l’alternative. C’est la conjonction des électorats populaires, celui de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon, qui se sont adressés l’une à la France ouvrière qui travaille et l’autre aux classes moyennes, aux quartiers périphériques et aux intellectuels progressistes. Cela forme un bloc de mécontents, aux intérêts de fait convergents. Par idéologie et ambition personnelle, leurs dirigeants ne peuvent s’entendre. On nous dira que leurs électorats non plus, par pesanteur historique et idéologique. J’oppose à cela le vote symptomatique, plus libre et exprimant davantage une situation d’exploitation, d’exclusion et de dépendance, celui de ce qu’on appelle aujourd’hui les DROM-COM, la Grande France. Au premier tour, Martinique, Guadeloupe, Guyane, Mayotte et la Réunion ont voté à plus de 50 % pour Jean-Luc Mélenchon. Le renversement du second tour est remarquable : partout Marine Le Pen arrive en tête, avec un taux d’abstention dépassant 60 ou 70 % des inscrits. Ainsi à Pointe-à-Pitre, 68,1 % pour Marine Le Pen et 65,3 % d’abstention, et à Fort-de-France, 57,8 % et 70,8 %. Au cri de « refusons de choisir » ou bien « nous avons déjà eu la peste, pourquoi pas essayer le choléra ». Là, le front « républicain », sur des espaces politiques votant à gauche, a été dépassé par l’abstention et un vote-rejet. En France métropolitaine elle-même, approximativement 41 % des électeurs de Jean-Luc Mélenchon se sont abstenus ou ont voté blanc ou nul, et 17 % pour Marine Le Pen.

L’on en est bien entendu à un début et à un rejet, en partie irrationnel. Tout être humain entendant se battre pour un monde meilleur doit cependant, malgré ses éventuels préjugés, prêter l’oreille à ce que veut dire le peuple. Même les militants honnêtes d’Emmanuel Macron le reconnaissent : « La campagne a été dure, rien n’accrochait... il va falloir revoir du lien. » En clair, traiter chez nous ce qui, pas seulement dans les sondages, est vécu comme urgent : la santé (71 %), le pouvoir d’achat (68 %), la sécurité (60 %), l’éducation (59 %), le terrorisme (57 %), le chômage (49 %)… Et dans le monde, établir un nouveau paradigme de développement mutuel contre l’oligarchie financière de la City et de Wall Street, qui font passer leur pouvoir avant ces sujets auxquels le peuple veut donner priorité.

Nous vivons sous la double menace d’une dislocation financière généralisée et d’une progression vers la guerre par enchaînement des intérêts et des alliances, comme avant 1914. Il faut arrêter le train fou en créant des corridors de développement mutuel, conduisant à un nouvel ordre de paix et de stabilité national et mondial. La France peut et doit en être catalyseur et inspirateur, non un somnambule soumis.