Armes nucléaires : des anciens du renseignement américain interpellent Biden

mardi 3 mai 2022, par Tribune Libre

DESTINATAIRE : le Président des Etats-Unis
DE : Veteran Intelligence Professionnals for Sanity (VIPS, Anciens professionnels du renseignement, en défense de la santé mentale)
OBJET : Les armes nucléaires ne peuvent pas être désinventées, donc...
PRIORITÉ : IMMÉDIATE
REF : Notre mémo du 20/12/20, « Ne vous laissez pas berner à propos de la Russie ».

1er mai 2022

Monsieur le Président :

Les médias grand public ont fait mariner le cerveau de la plupart des Américains dans une potion de sorcière d’informations trompeuses sur l’Ukraine, et sur les enjeux extrêmement importants de la guerre. Au cas où vous ne disposeriez pas du type d’informations « non filtrées » que le président Truman espérait obtenir en restructurant le renseignement, nous vous proposons ci-dessous une fiche d’information en 12 points.

Certains d’entre nous, qui étions analystes du renseignement pendant la crise des missiles de Cuba, y voyons un parallèle direct avec la crise ukrainienne. Quant à la crédibilité de notre association (le VIPS), depuis janvier 2003, notre bilan – que ce soit sur l’Irak, l’Afghanistan, la Syrie ou la Russie – parle de lui-même.

  1. La possibilité croissante de l’utilisation d’armes nucléaires, alors que les hostilités en Ukraine continuent de s’intensifier, mérite toute votre attention.
  2. Pendant près de 77 ans, la prise de conscience commune de l’effroyable pouvoir destructeur des armes atomiques a créé un équilibre de terreur (ironiquement stabilisant) appelé dissuasion. Les pays dotés d’armes nucléaires ont généralement évité de menacer de les employer contre d’autres pays dotés des mêmes armes.
  3. Les récents rappels de Poutine sur la capacité de la Russie à se servir d’armes nucléaires peuvent facilement entrer dans la catégorie de la dissuasion. On peut également y voir un avertissement indiquant qu’il est prêt à les utiliser in extremis.
  4. In extremis ? Oui. Poutine considère l’ingérence occidentale en Ukraine, en particulier depuis le coup d’État de février 2014, comme une menace existentielle. À notre avis, il est déterminé à débarrasser la Russie de cette menace, et pour lui, l’Ukraine est désormais un cas où il ne peut se permettre une défaite. Nous ne pouvons exclure la possibilité que, le dos au mur, il autorise une frappe nucléaire limitée avec des missiles modernes volant plusieurs fois à la vitesse du son.
  5. Une menace existentielle ? Dans l’engagement militaire américain en Ukraine, Moscou voit précisément le même type de menace stratégique que le président Kennedy voyait dans la tentative de Khrouchtchev d’installer des missiles nucléaires à Cuba, en violation de la doctrine Monroe. Poutine se plaint que les sites de missiles « ABM » américains en Roumanie et en Pologne peuvent être modifiés, en insérant simplement un CD différent, permettant de lancer des missiles contre les ICBM de la Russie.
  6. Quant à l’installation de sites de missiles en Ukraine, selon le compte rendu du Kremlin sur votre conversation téléphonique du 30 décembre 2021 avec Poutine, vous lui avez dit que les Etats-Unis « n’avaient aucune intention de déployer des armes de frappe offensive en Ukraine ». Pour autant que nous le sachions, il n’y a eu aucune objection à l’exactitude de ce compte-rendu russe. Néanmoins, l’assurance que vous auriez donnée à Poutine s’est volatilisée, contribuant, comme nous pouvons l’imaginer, à la méfiance croissante de la Russie.
  7. La Russie ne peut plus douter que les États-Unis et l’OTAN visent à affaiblir la Russie (et à l’éliminer, si possible) et que l’Occident pense également pouvoir y parvenir en déversant des armes en Ukraine et en incitant les Ukrainiens à se battre. Nous pensons que ces objectifs sont délirants.
  8. Si le secrétaire d’État à la Défense Llyod Austin croit que l’Ukraine peut gagner contre les forces russes, il se trompe. Rappelez-vous que nombre de ses prédécesseurs (McNamara, Rumsfeld ou Gates, par exemple) n’ont cessé d’assurer aux présidents précédents, à propos de régimes corrompus, qu’ils pourraient l’emporter contre des ennemis bien moins redoutables que la Russie.
  9. L’idée que la Russie serait isolée sur le plan international semble également illusoire. On peut compter sur la Chine pour tout faire afin d’empêcher Poutine de perdre en Ukraine - avant tout parce que Beijing a été désignée comme la prochaine sur la liste, pour ainsi dire. Le président Xi Jinping a certainement été informé de la « Stratégie de défense nationale 2022 » du Pentagone, qui désigne la Chine comme la première « menace ». L’entente Russie-Chine marque un changement tectonique dans la corrélation mondiale des forces. On ne saurait en exagérer l’importance.
  10. Les sympathisants nazis en Ukraine n’échapperont pas à l’attention le 9 mai, alors que la Russie célébrera le 77e anniversaire de la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie. Tout citoyen russe sait que plus de 26 millions de Soviétiques sont morts pendant cette guerre (y compris le frère aîné de Poutine, Viktor, durant les 872 jours de l’impitoyable blocus de Leningrad). La dénazification de l’Ukraine est l’un des principaux facteurs expliquant le taux de soutien populaire de Poutine, qui dépasse les 80 %.
  11. Le conflit ukrainien peut être appelé « la mère de toutes les aubaines de dépenses ». Dans son évaluation des menaces, l’année dernière, la directrice du renseignement national, Avril Haines, a identifié le changement climatique comme un défi majeur pour la sécurité nationale et la sécurité humaine, ne pouvant être relevé que par des nations travaillant ensemble. La guerre en Ukraine a d’ores et déjà détourné l’attention de cette menace imminente pour les générations futures.
  12. Précisons que nous avons envoyé notre premier mémorandum de ce type au président George W. Bush le 5 février 2003, critiquant le discours prononcé par Colin Powell à l’ONU ce jour-là, un discours bourré de renseignements non confirmés. Nous avons envoyé deux mémos de suivi en mars 2003 pour avertir le président que les renseignements avaient été trafiqués de façon à justifier la guerre, mais ces mémos sont restés lettre morte. Nous terminons le présent mémo par le même appel que nous avions lancé, en vain, à George W. Bush : « Vous seriez bien avisé d’élargir la discussion au-delà du cercle de ces conseillers, clairement déterminés à mener une guerre à laquelle nous ne voyons aucune justification impérieuse et dont nous pensons que les conséquences involontaires risquent d’être catastrophiques. »

Enfin, nous répétons l’offre que nous vous avons faite en décembre 2020 (dans le mémorandum VIPs référencé ci-dessus) : « Nous sommes prêts à vous soutenir avec une analyse objective, qui dit vraiment ce qu’il en est. Nous suggérons que vous pourriez bénéficier ainsi d’un apport ‘extérieur’ de la part d’agents de renseignement vétérans, ayant plusieurs décennies d’expérience de ‘l’intérieur’ ».

POUR LA DIRECTION DE VIPS, anciens professionnels du renseignement, en défense de la santé mentale

  • Fulton Armstrong, ancien responsable national du renseignement pour l’Amérique latine et ancien directeur du Conseil national de sécurité pour les affaires interaméricaines (retraité) ;
  • William Binney, directeur technique de la NSA pour l’analyse géopolitique et militaire mondiale, cofondateur du Signals Intelligence Automation Research Center de la NSA (retraité) ;
  • Richard H. Black, ancien sénateur de Virginie, colonel de l’armée américaine (retraité), ancien chef de la division du droit pénal, bureau du juge-avocat général, Pentagone (VIP associés) ;
  • Graham E. Fuller, vice-président du National Intelligence Council (retraité)
  • Philip Giraldi, CIA, officier chargé des opérations (retraité) ;
  • Matthew Hoh, ancien capitaine de l’USMC en Irak et officier du service extérieur en Afghanistan (VIP associés) ;
  • Larry Johnson, ancien officier de renseignement de la CIA et ancien fonctionnaire du département d’État chargé de la lutte contre le terrorisme (retraité) ;
  • Michael S. Kearns, capitaine de l’Agence de renseignement de l’USAF (retraité), ancien maître instructeur SERE ;
  • John Kiriakou, ancien agent de la CIA chargé de la lutte contre le terrorisme et ancien enquêteur principal de la commission des affaires étrangères du Sénat ;
  • Edward Loomis, informaticien en cryptologie, ancien directeur technique de la NSA (à la retraite) ;
  • Ray McGovern, ancien officier d’infanterie et de renseignement de l’armée américaine et analyste de la CIA, conseiller présidentiel de la CIA (retraité) ;
  • Elizabeth Murray, ancienne responsable adjointe du renseignement national pour le Proche-Orient, National Intelligence Council et analyste politique de la CIA (retraitée) ;
  • Pedro Israel Orta, ancien officier de la CIA et de la Communauté du renseignement (Inspecteur général) ;
  • Todd Pierce, MAJ, Juge-avocat de l’armée américaine (retraité) ;
  • Theodore Postol, professeur émérite, MIT (physique). Ancien conseiller scientifique et politique pour la technologie des armes auprès du chef des opérations navales (VIPS associé) ;
  • Scott Ritter, ancien MAJ., USMC, ancien inspecteur des armes de l’ONU, Irak
  • Coleen Rowley, agent spécial du FBI et ancienne conseillère juridique de la division de Minneapolis (retraitée) ;
  • Kirk Wiebe, ancien analyste principal, SIGINT Automation Research Center, NSA (retraité) ;
  • Sarah G. Wilton, CDR, USNR, DIA, (retraitée) ;
  • Robert Wing, ancien agent du service extérieur (associé VIPS) ;
  • Ann Wright, colonel de l’Armée américaine (retraitée), agent du service extérieur (a démissionné en opposition à la guerre en Irak).

Source : Antiwar.com