Un général italien appelle à dissoudre l’OTAN pour sauver la paix

mardi 10 mai 2022, par Tribune Libre

Parmi les réponses données par le général italien Fabio Mini lors de différents entretiens avec la presse italienne, notamment l’Antidiplomatico et la page Facebook de Michele Santoro, nous avons retenu les suivantes.

A l’Académie militaire de Modène et à l’École d’application de Turin, Fabio Mini a obtenu un diplôme en sciences stratégiques, puis s’est spécialisé en sciences humaines à l’Université du Latran et en négociation internationale à l’Université de Trieste.

Entre autres fonctions, il a été porte-parole du chef d’état-major de l’armée italienne et, de 1993 à 1996, il a été attaché militaire à Pékin. Il a également dirigé l’Institut supérieur d’état-major interarmées (ISSMI).

Général de corps d’armée, il a été chef d’état-major du Commandement de l’OTAN pour l’Europe du Sud et, à partir de janvier 2001, il a dirigé le Commandement interarmées pour les opérations dans les Balkans. D’octobre 2002 à octobre 2003, il a été commandant des opérations de maintien de la paix dirigées par l’OTAN, dans le cadre de la mission KFOR (Kosovo Force).

Source :
https://www.nogeoingegneria.com/opinioni/gen-fabio-mini-la-nato-andrebbe-sciolta-per-realizzare-una-nuova-struttura-di-sicurezza-regionale/

Général Fabio Mini : il faut dissoudre l’OTAN pour créer une nouvelle structure de sécurité régionale

Question : Sommes-nous à la veille d’une guerre mondiale ?

Le général Fabio Mini : Du point de vue opérationnel, et compte tenu de la nature et de la multiplicité des actions menées contre les adversaires, nous sommes au cœur d’un conflit mondial. Les alignements entre l’Ouest et l’Est parlent d’eux-mêmes, et le fait que l’on ne nous présente que les images d’un conflit « militaire » ne signifie pas que la guerre se limite à cela. Les guerres qui chevauchent et incluent les opérations en Ukraine, qu’elles soient économiques, financières, cybernétiques, démographiques, d’information et de propagande, ne sont pas des métaphores. Ce sont de véritables guerres qui provoquent des dégâts plus importants que les guerres conventionnelles. Et ils sont mondiaux.

Vous avez été chef d’état-major du Commandement de l’Europe du Sud et du Commandement interarmées pour les opérations en ex-Yougoslavie, ainsi que commandant de la force internationale dirigée par l’OTAN au Kosovo. Pourquoi l’OTAN devrait-elle être dissoute ?

L’OTAN, dans sa configuration actuelle, devrait être dissoute afin de créer une nouvelle structure de sécurité régionale, plus étroitement liée aux Nations unies plutôt qu’à un seul État membre, et plus représentative de l’Europe dans le domaine de la gestion de la sécurité internationale.

En fait, l’OTAN empêche l’Europe de disposer de sa propre capacité de défense et de sécurité. Elle n’est plus une alliance défensive depuis plus de 20 ans. Elle est devenue une menace pour la sécurité en Europe ; aux intérêts de ses alliés, elle fait passer ceux des États-Unis et même ceux d’États qui incitent à la guerre aux dépens de la sécurité européenne. Chacune de ces raisons est justifiée par une violation flagrante du Traité de l’Atlantique. Donc, si vous voulez continuer à les ignorer, il serait plus honnête de modifier entièrement les termes du traité.

  • En effet, l’article 1 engage les parties à respecter le statut des Nations unies et à régler par des moyens pacifiques tout différend international affectant la paix et la sécurité. L’élargissement a été dès le départ un différend international affectant la paix et la sécurité.
  • Les articles 5 et 6 sur la défense mutuelle font référence aux territoires des différents États membres menacés par une attaque armée. Or l’Ukraine n’est pas incluse, mais nous lui envoyons des armes et d’autres choses.
  • L’article 7 stipule que le Traité ne doit pas porter atteinte ni être considéré comme pouvant le faire, de quelque manière que ce soit, aux droits et obligations découlant de la Charte des parties membres des Nations unies, ou à la responsabilité principale du Conseil de sécurité en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales.

Comme la Serbie, la Russie est membre des Nations unies, et la politique de l’OTAN a violé ses droits, sapant la paix et la sécurité dans le monde entier. Enfin, je crois que les pays européens de l’OTAN ont renoncé à l’égalité de dignité, non pas à cause des États-Unis, mais par choix et par convenance. Les États-Unis ont fait leur travail et sauvegardé leurs propres intérêts. Et ces intérêts n’ont jamais coïncidé avec ceux de l’Europe, pas même pendant la Guerre froide, lorsque se préparait la guerre chaude, qui aurait lieu en Europe et non aux États-Unis.

Et lorsqu’il était clair que les États-Unis ne lèveraient pas le petit doigt pour sauver l’Europe, à moins qu’elle ne soit directement attaquée sur son propre continent, aucun État européen ne s’est opposé à l’appel aux armes de l’OTAN pour des actions qui se sont déroulées en dehors de sa zone de responsabilité et pour les raisons d’autres personnes.

Elle ne s’est pas non plus opposée à l’adhésion à l’OTAN de pays qui ne remplissaient pas les conditions requises mais portaient un lourd fardeau d’insécurité. Nous avons été déloyaux envers les États-Unis en ne les tirant pas par le collier lorsqu’il s’agissait d’entreprises insignifiantes. La loyauté d’un ami se voit dans sa capacité à le modérer, et non dans sa capacité à l’exciter ou à le soutenir passivement.

Je pense qu’en fin de compte, une OTAN restructurée et révisée serait également bénéfique pour les Américains, avec ou sans leur participation.

Le plan du Kremlin n’était-il pas d’occuper l’Ukraine et de déloger Zelensky ?

Les deux ne sont pas liés. L’objectif de l’invasion de l’Ukraine n’a jamais été d’occuper l’ensemble du territoire. Non pas parce que la Russie ne le voulait pas, mais parce que les forces utilisées et les méthodes opérationnelles adoptées ne l’ont pas permis.

La chute de Zelensky était un objectif pendant les mois précédant l’invasion et dans les premières 48 heures. Lorsque cette tentative (qu’il fallait réaliser avec l’aide d’une partie des forces armées ukrainiennes), cette option a été écartée et il est clairement apparu que Zelensky était considéré comme un interlocuteur plus fiable que de nombreux candidats pro-russes.

L’attitude de Zelensky a changé sous la pression de la partie la plus extrémiste de son entourage et celle des Britanniques et des Américains qui ont promis de le soutenir dans sa lutte pour son pays jusqu’au dernier Ukrainien...

Poutine est l’agresseur et l’Ukraine l’agressé. Poutine ne devrait-il pas être vaincu et puni ?

Ce sont là encore deux choses différentes. Vaincre Poutine signifie vaincre les forces sur le terrain en espérant que son successeur au Kremlin sera moins nationaliste et agressif. Le punir pour l’agression dépend du résultat. S’il perd, il sera puni sans pitié. S’il gagne et parvient à conserver les territoires occupés de quelque manière que ce soit, il n’y aura pas de procès, comme il n’y en a jamais eu pour un agresseur victorieux.

Les accords de Minsk, qui prévoyaient l’autonomie du Donbass, n’ont pas été appliqués. Merkel et Macron en étaient les garants. Comment ont-ils agi ?

Mal et d’une manière très ambiguë. Ils ont tous deux fermé les yeux sur les ravages que Kiev causait au Donbass, qui à l’époque n’était pas séparatiste mais autonomiste au sein de l’Ukraine. Kiev a interprété l’attitude de l’Europe comme une approbation des répressions et des mesures anticonstitutionnelles qu’elle mène dans le Donbass.

Pensez-vous qu’il soit possible de trouver une solution commune conduisant à un cessez-le-feu et à la paix ?

Encore une fois, ce sont deux choses différentes. Je pense qu’une trêve est possible à tout moment et ne peut durer que si elle est respectée par les parties. Pour la paix, au sens où il s’agit de parvenir à un accord définitif sur l’état de la sécurité ukrainienne et russe et de rétablir des formes de coopération et de coexistence, je pense que c’est très difficile. Le principal obstacle est que les États-Unis ne veulent absolument pas d’un accord entre les deux pays. Ils veulent anéantir la capacité d’attaque de la Russie, ce qui équivaut à éliminer sa capacité défensive.

Quelle est votre opinion sur l’Europe ?

Négative. L’Union européenne n’a pas montré de réel intérêt pour la situation ukrainienne. Elle s’est alignée sur les intérêts du pur exercice du pouvoir de l’OTAN. Nous en sommes au paradoxe suivant : l’identité européenne et un minimum de sauvegarde de la sécurité de notre continent sont confiés aux souverainistes. La « vieille Europe » des pays fondateurs est prise en otage par la « nouvelle Europe » composée de tous les pays de l’Est et du Nord qui ne veulent pas d’Europe, mais d’une revanche sur la Russie. C’est pourquoi ils sont choyés et soutenus financièrement et militairement par les États-Unis et l’OTAN.

Biden et Johnson sont des protagonistes de la radicalisation. N’y a-t-il pas déjà une guerre entre l’OTAN et la Russie ?

Certainement et c’est le plus dangereux. Théoriquement, l’OTAN pourrait s’abstenir à s’y engager parce que l’unanimité serait requise et qu’il n’y aurait pas d’unanimité si un seul pays membre s’y opposait. Malheureusement, avec le système actuel et la pression des États-Unis, personne ne s’y opposera. (…) L’arrêt de la guerre ne peut venir que d’un retour en arrière des États-Unis ou d’une scission de l’OTAN. Je ne considère ni l’un ni l’autre comme probables, même s’il est désormais clair que l’axe de guerre Washington-Londres perturbe de nombreux pays européens. Si quelque chose arrive, ce sera après la guerre ukrainienne. Mais il pourrait être trop tard.

L’OTAN veut-elle la déposition de Poutine ?

L’OTAN, en tant qu’assemblée des pays membres de l’Alliance, n’a pas d’objectifs propres, et encore moins d’objectifs différents de ceux des États-Unis. En tant qu’organisation bureaucratique politico-militaire, son seul intérêt est de préserver les rôles, les prérogatives, les chaises et les sièges. C’est pourquoi elle plaide la « cohésion interne » depuis 1991. Toutes les opérations militaires menées depuis lors ont eu pour objectif « déclaré » de démontrer la cohésion de l’Alliance. Gagner ou perdre, stabiliser ou déstabiliser n’avait aucune importance face à cet objectif maximal, qui était en fait et en droit la participation collective aux opérations américaines.

Certains prétendent qu’en Ukraine, les États-Unis expérimentent une guerre basée sur la coordination de renseignements satellitaires provenant de drones et de téléphones. Une guerre qui, si elle était gagnée, rendrait les Américains invincibles.

Toutes les guerres sont des expériences et celle qui se développe par les canaux d’information n’est pas la plus moderne. Les Américains peuvent l’emporter en Ukraine, mais cela ne les rend pas imbattables. L’invincibilité par la supériorité de la force est une chimère d’ignorants et de brutes. La véritable invincibilité s’obtient par la coopération.

Quelle est la situation sur le terrain, d’un point de vue militaire, et comment pourrait-elle évoluer ?

A la lumière des déclarations de soutien de tout l’Occident à l’égard de l’Ukraine, un durcissement des positions se profile, qui empêchera toute solution négociée. Sur le terrain, les Russes vont consolider les positions qu’ils ont acquises. Ils réagiront aux tentatives de provocation extérieure, comme c’est déjà le cas en Transnistrie, et élèveront le niveau opérationnel de l’affrontement. Cela signifie le gel des positions territoriales et l’intensification des opérations aériennes et de missiles sur des cibles militaires dans toute l’Ukraine. Cela peut durer longtemps et en tout cas, à court terme (d’ici un an), je ne vois pas de renversement possible de la situation sur le terrain conduisant à l’expulsion des Russes. C’est ce que me dit ma boule de cristal.

Il y a ceux qui disent que le danger de guerre nucléaire est un canular de Poutine. Qu’en pensez-vous ?

On dit beaucoup de choses. Je ne m’inquiète pas de ceux qui annoncent une guerre nucléaire. (...) Je m’inquiète plutôt de ceux qui le nient. Lorsque la guerre nucléaire n’était que stratégique, l’équilibre de la terreur fonctionnait, non pas parce que les deux blocs déclaraient qu’ils ne voulaient pas tirer le premier coup, mais en raison de l’inverse : les deux blocs savaient que, dans certaines circonstances, ils tireraient les premiers.

Maintenant que le seuil nucléaire a été abaissé au niveau tactique, et que ces armes d’une puissance comprise entre 0,3 et 50 kilotonnes n’ont même pas besoin de l’approbation d’un parrain, la guerre nucléaire est non seulement possible, elle est probable. Et que 50 kilotonnes sur Kiev ou Moscou ne puissent pas déclencher une escalade au niveau stratégique est une pieuse illusion. Ou alors, c’est bien un canular.

Que doivent faire le gouvernement italien et l’Europe en général dans ce contexte ?

Négocier, mettre fin à la pensée unique et à la propagande, aider l’Ukraine à retrouver la raison et la Russie à sortir du tunnel du syndrome d’encerclement, non pas par des discours mais par des actions concrètes. Et lorsque la crise sera terminée et si elles sont, espérons-le, toujours vivantes, l’Italie et l’Europe devront faire un sérieux effort pour acquérir l’autonomie, la dignité et l’indépendance stratégique qui garantiront la sécurité européenne indépendamment des intérêts des autres.

Pour approfondir :
propos du général Mini publiés en 2015 par l’hebdomadaire américain EIR :
https://larouchepub.com/eiw/public/2015/eirv42n32-20150814/08-10_4232.pdf