UE : Une Allemagne otanisée réclame la suppression de la règle de l’unanimité

mercredi 18 mai 2022

Chronique stratégique du 18 mai 2022 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

L’un des derniers remparts au sein de l’Union européenne protégeant le peu de souveraineté qui reste aux nations est dans le viseur : la règle d’un vote à l’unanimité, nécessaire jusqu’ici dans plusieurs domaines, notamment la politique étrangère de l’UE, qui garantit que chaque membre ne soit pas forcé de se soumettre à la volonté des autres et puisse faire valoir ses intérêts spécifiques.

La fin de la règle de l’unanimité

Dans un contexte où les va-t-en-guerre anglo-américains souhaiteraient embarquer l’Europe toute entière dans leur guerre par procuration contre la Russie, via les sanctions et les livraisons d’armes, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le président français et le gouvernement allemand cherchent à accélérer le projet d’une Europe fédérale et supranationale — projet contre lequel le général De Gaulle ne cessa de s’insurger et proposa, sans succès, sa vision d’une « Europe des États » formulée dans le « Plan Fouchet ».

La fin du droit de véto que représente la règle de l’unanimité devra permettre de désarmer toute opposition de la part de pays comme la Hongrie, la Pologne ou la France, aux diktats de Bruxelles.

Pour parvenir à cette Europe de plus en plus autoritaire et otanisée, trois leviers vont être actionnés au même temps :

  1. des changements de règles ne nécessitant pas de modification des traités ;
  2. des modifications des traités européens ;
  3. une politique d’« Europe à la carte » fonctionnant sur la base de « coopérations renforcées ».

L’Allemagne à l’offensive

Le 8 mai, lors d’un entretien avec EURACTIV, le porte-voix quasi-officiel de l’UE, la ministre d’État allemande pour l’Europe et le climat Anna Lührmann a déclaré que l’Allemagne souhaitait utiliser la « Conférence sur l’avenir de l’Europe comme point de départ pour développer davantage l’UE », éventuellement modifier les traités et abolir le vote à l’unanimité pour les questions de politique étrangère de l’UE et le climat. L’importance de la conférence, qui s’est terminée le 9 mai, figure déjà dans l’accord de coalition allemand. Celui-ci stipule que la conférence devrait déboucher sur un « moment constitutionnel » pour l’UE et conduire à « la poursuite de l’évolution vers un État européen fédéral ».

L’Allemagne a été l’un des plus fervents partisans de la conférence. 49 propositions ont été avancées par la plénière de la conférence, dont l’abandon du principe de l’unanimité en matière de politique étrangère de l’UE.

La proposition 39 stipule que « toutes les décisions actuellement prises à l’unanimité devraient, à l’avenir, être adoptées à la majorité qualifiée. Les seules exceptions devraient être l’admission de nouveaux États membres dans l’Union européenne et la modification des principes fondamentaux de l’Union inscrits à l’article 2 du traité sur l’Union européenne et dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ». (Source : site futureu.europa.eu)

Or, jusqu’ici, « le Conseil doit voter à l’unanimité sur un certain nombre de domaines que les États membres considèrent comme sensibles. Par exemple :
• la politique étrangère et de sécurité commune (à l’exception de certains cas clairement définis qui requièrent la majorité qualifiée, comme par exemple la nomination d’un représentant spécial)
• la citoyenneté (octroi de nouveaux droits aux citoyens de l’UE)
• l’adhésion à l’UE
• l’harmonisation des législations nationales relatives à la fiscalité indirecte
• le financement de l’UE (ressources propres, cadre financier pluriannuel)
• certaines dispositions dans le domaine de la justice et des affaires intérieures (procureur européen, droit de la famille, coopération policière opérationnelle, etc.)
• l’harmonisation des législations nationales dans le domaine de la sécurité sociale et de la protection sociale ».
(Source : Conseil Européen)

« Maintenant, il serait important que nous, en tant qu’UE, tenions nos promesses », a ajouté Mme Lührmann, qui considère que l’accent doit être mis à court terme sur les propositions ne nécessitant pas de modification du traité. « Il y a beaucoup de grandes choses, par exemple, dans le domaine des énergies renouvelables ou du renforcement des capacités de défense européennes », a-t-elle déclaré.

Un point qui est extrêmement important pour nous, en tant que gouvernement fédéral, c’est qu’il y a moins d’options de veto en politique étrangère pour nous rendre plus capables d’agir. Il existe déjà des options dans le cadre du traité actuel pour cela. Et nous devrions également discuter ensemble, en tant qu’institutions européennes, de la meilleure façon d’y parvenir, a déclaré M. Lührmann, ajoutant que la guerre d’agression russe a créé une toute nouvelle dynamique dans ce domaine, car l’UE a agi et réagi de manière unie et déterminée comme jamais auparavant.

Selon Marc Uzan, directeur au Centre de politique européenne (CEP) à Paris, les trois membres fondateurs (France, Allemagne et Italie) devraient pousser pour une réforme et « livrer quelque chose de conséquent pour l’Europe maintenant », a-t-il déclaré à EURACTIV, ajoutant que « cette crise est un tournant pour l’Europe ». Cependant, près de la moitié des pays de l’UE s’opposent à des changements radicaux du traité, 13 États membres d’Europe de l’Est et de Scandinavie ayant mis en garde dans une lettre commune contre « des tentatives inconsidérées et prématurées de lancer un processus de modification du traité ».

L’option d’une UE à deux vitesses

Étant donné le temps nécessaire et la difficulté pour réunir 27 États membres afin de décider d’une modification, d’autant plus que les principaux moteurs de cette initiative sont tous des pays d’Europe occidentale, Frank Schimmelfennig, professeur et président du Centre de politique européenne de l’ETA de Zurich, estime qu’une « réforme majeure du traité est plutôt improbable ». Certains États membres, comme Berlin ou Madrid, ont déjà clairement fait savoir que l’UE devait être réformée avant tout nouvel élargissement, car la capacité d’action du bloc serait considérablement réduite dans le cas contraire. « Les États qui sont assez sceptiques quant à l’abolition de l’unanimité, notamment en Europe de l’Est, ont en même temps un fort intérêt pour l’élargissement. On pourrait imaginer certains compromis à ce niveau », a déclaré M. Schimmelfenning.

D’autres réformes ne nécessitent pas de modification du traité. « L’Allemagne fait pression pour abolir l’exigence de l’unanimité en matière de politique étrangère — ce qui est déjà possible en vertu des dispositions actuelles du traité », précise EURACTIV.

L’unanimité fournit un levier aux petits États pour négocier des exceptions — comme nous le voyons actuellement avec les sanctions pétrolières, par exemple. Dans un système de vote à la majorité, cela ne serait plus possible. Je ne pense pas que ces États renonceront facilement à cette possibilité, souligne Schimmelfennig.

Enfin comme troisième piste, afin d’accélérer l’intégration sans changer les traités, promouvoir une Europe à plusieurs vitesses. Macron y a fait allusion dans son discours au Parlement européen la semaine dernière, lorsqu’il a déclaré que l’Europe ne devait pas attendre « les plus sceptiques ou les plus hésitants ». Les traités permettent déjà une telle étape par le biais des « coopérations renforcées », où au moins neuf États membres sont autorisés à établir une intégration plus avancée que les autres dans des domaines de coopération spécifiques. Toutefois, si la France et l’Allemagne plaident depuis longtemps en faveur de son utilisation, cette option a jusqu’à présent rarement été utilisée, Bruxelles préférant à l’unité, cette uniformité stérilisante que l’on connaît.

Dans tous les cas, l’on espère profiter de la guerre en Ukraine pour faire sauter les dernières digues qui assurent encore que les enjeux internationaux soient l’affaire des nations et non d’un « bloc géopolitique » contrôlé, via l’Otan, par les Anglo-américains. Avec la campagne visant à intégrer la Suède et la Finlande dans l’Alliance atlantique, cette initiative traduit clairement l’intention de ces derniers : entraîner l’Europe comme un seul homme dans la guerre contre la Russie et en réalité contre elle-même. La France, si elle peut retrouver sa voix, peut et doit dire non !

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