Guerre en Ukraine : Le fantasme otanien de la défaite russe a vécu

mardi 12 juillet 2022

Chronique stratégique du 12 juillet 2022 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

La rhétorique sur la défaite de la Russie et l’humiliation du président Poutine, dont se sont gargarisés nos dirigeants lors du sommet du G7 en Bavière, est littéralement réfutée par la réalité sur le terrain, ce que même les médias occidentaux sont désormais forcés de reconnaître. Ce n’était pourtant pas faute d’avoir été prévenu par de nombreux experts militaires et du renseignement des deux côtés de l’Atlantique, tels que le colonel (à la retraite) Richard Black, ou encore le colonel Douglas MacGregor, qui déclarait sans équivoque le 21 juin : « L’Ukraine a perdu cette guerre. Je dirais même qu’elle l’a perdue il y a déjà quelque temps ».

La stratégie de l’OTAN tue les Ukrainiens

Dans un article paru le 25 juin dans Consortium News, Scott Ritter, ancien officier de renseignement des Marines et ancien Inspecteur en désarmement des Nations unies, dénonce l’illusion dangereuse des dirigeants de l’OTAN, qui pensent pouvoir affaiblir militairement et économiquement la Russie en prolongeant les combats. « La triste vérité sur l’Ukraine, aujourd’hui, c’est que plus la guerre se poursuit, plus on aura d’Ukrainiens qui mourront et plus l’OTAN s’en trouvera affaiblie. »

Se basant sur des informations provenant des services ukrainiens eux-mêmes, Ritter estime que l’Ukraine a épuisé toutes ses armes et munitions datant de l’ère soviétique, et elle se retrouve désormais tributaire d’une artillerie occidentale que ses soldats ne maîtrisent pas. Selon lui, « l’Ukraine ne peut tirer que 4000 à 5000 obus d’artillerie par jour, auxquels la Russie peut répondre avec plus de 50 000 ». Cette disparité de puissance de feu est un facteur décisif, car elle « permet à la Russie de détruire des positions défensives ukrainiennes avec un risque minimal pour ses propres forces terrestres ».

De plus, les quantités d’armes réclamées par Kiev sont impossibles à fournir, calcule Ritter. Sa demande supplémentaire de 1000 pièces d’artillerie et de 300 lance-roquettes multiples représente « plus que tout l’arsenal des services actifs de l’armée américaine et du corps des Marines réunis ». Kiev exige également 500 tanks, soit plus que les stocks combinés de l’Allemagne et du Royaume-Uni. En bref, pour que l’Ukraine reste compétitive sur le champ de bataille, « on demande à l’OTAN de réduire littéralement à néant ses propres défenses, alors que la Russie semble capable de maintenir le niveau actuel ».

Un proche assistant de Zelensky a récemment estimé que l’Ukraine perdait entre 100 et 200 soldats par jour sur les lignes de front avec la Russie, plus environ 500 blessés, ce qui, selon Ritter, constitue des « pertes insoutenables ». La tentative de retarder l’avancée russe « se fait en sacrifiant tout simplement les soldats au front, des milliers de personnes jetées dans la bataille avec peu de préparation, d’entraînement ou d’équipements, voire aucuns », dans le vain espoir de remporter une victoire militaire.

Un amiral français : la Russie va en sortir renforcée

Non seulement les fantasmes de défaite — voire de démembrement — de la Russie se trouvent contrecarrés, mais la dynamique actuelle pourrait même aboutir à l’exact contraire. Comme l’explique l’amiral Alain de Dainville, ancien chef d’état-major de la marine française, dans un article publié le 8 juillet sur le site du Cercle K2, une association de sécurité de haut niveau, la contre-offensive russe face aux sanctions et à la menace de l’OTAN « contribue à réorienter les flux de la mondialisation » et à renforcer le rôle de la Russie dans le monde.

C’est la première fois qu’un officier haut gradé à la retraite fait publiquement des déclarations allant ainsi à contre-courant du discours dominant : premièrement, explique-t-il, la perturbation des échanges financiers provoquée par l’exclusion de la Russie du système SWIFT a favorisé l’émergence de systèmes concurrents, le SPFS russe (Système de transfert de messages financiers) et le CIPS chinois (Système de paiement interbancaire transfrontalier). « L’hégémonie financière de SWIFT est attaquée dans une rivalité qui va concentrer des tensions autour de leur vecteur de transit, les fibres optiques sur lesquelles la marine russe est bien équipée pour intervenir », écrit l’Amiral.

De plus, la situation mise en place depuis le début de la guerre induit la recherche d’un nouvel équilibre dans les flux d’énergie. De Dainville souligne le fait que les exportations de pétrole russe continuent d’augmenter en 2022, en dépit des sanctions occidentales, principalement en raison des accords avec la Chine et l’Inde. Dans le même temps, l’Union européenne se détourne du gaz russe et se tourne vers l’Égypte et Israël, le gaz de schiste américain, le Moyen-Orient et l’Afrique. Ce qui nécessite d’adapter les infrastructures, les raffineries, etc, et d’ouvrir de nouvelles routes maritimes pour compenser l’insuffisance des oléoducs et des gazoducs, avec tous les problèmes d’insécurité que cela pose sur ces routes maritimes, en particulier dans les détroits.

Mais le point le plus sensible est la crise alimentaire, provoquée par les difficultés d’exporter les céréales, crise gravissime car elle touche les besoins vitaux, déstabilise des pays du Proche-Orient et d’Afrique, et ne peut pas se régler avec la planche à billets, écrit l’Amiral français. Elle fait monter la pression des affamés pour trouver une solution à cette "guerre de riches", renvoyant dos à dos Russes, mais surtout États-Unis accusés d’abuser de leur place dominante sur le marché des matières céréalières.

Dans ce contexte, la Russie semble en mesure, tout en créant un glacis défensif, d’accroître son statut de puissance dans la mondialisation par son rôle dans l’OPEP+ et dans la production céréalière. « Les puissances qui ont des ambitions maritimes veulent remodeler les mers par des corridors de voies ferrées ou le creusement de canaux, comme le fit l’Occident d’hier avec Panama et Suez, écrit De Dainville. Des projets existent, chinois, turcs, iraniens, en Thaïlande, autour d’Istanbul et ailleurs. La Russie n’y échappe pas, en développant le lien entre la Baltique et l’Océan Indien ou à la Méditerranée par la Mer Caspienne. Elle réactive, encore modestement, le réseau fluvial, appelé corridor Nord/Sud au service de l’expansion vers l’Asie pour relier Saint-Pétersbourg à Bombay en 15 jours. Elle cherche ainsi à faire un nœud de transport entre l’Inde, la Chine et la Russie échappant à l’Occident, dans la Mer Caspienne qu’elle a reliée par un canal à la Mer d’Azov (…). Elle accroît ainsi son contrôle sur les exportations de céréales. La conquête de la majorité du Sud de l’Ukraine lui permet de se partager avec la Turquie la Mer Noire (…). La Russie peut ainsi atteindre la Méditerranée, s’ancrer un peu plus à Tartous en Syrie, porte du Moyen-Orient ».

Ainsi, comme le prévoit l’Amiral, le monde pourrait bien se réveiller du cauchemar ukrainien avec une Russie devenue plus que jamais actrice de la mondialisation.

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