Le système dollar tombera-t-il plus vite que Draghi, Johnson et Biden ?

vendredi 22 juillet 2022

Chronique stratégique du 22 juillet 2022 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

La chute quasi-simultanée de Boris Johnson au Royaume-Uni, de Mario Draghi en Italie et de Kaja Kallas en Estonie fait ressembler le « monde occidental » à un véritable jeu de quilles. Derrière l’échec de la stratégie anti-russe menée tambour battant par l’OTAN, c’est en réalité l’ensemble du système dollar qui sombre. Reste à savoir si cela débouchera sur le chaos et la guerre ou sur une nouvelle ère de prospérité et de coopération …

Chute de régimes

Qu’ont en commun Boris Johnson, Mario Draghi et Kaja Kallas ? Les Premiers ministres britannique, italien et estonien ont été les chefs de gouvernement les plus favorables à la guerre et à l’OTAN en Europe (avec la Commission européenne) – et tous trois ont été contraints à quitter le pouvoir.

Boris Johnson, qui s’était rendu à Kiev, deux jours après le trio Macron-Draghi-Scholz, pour s’assurer que Zelensky n’enterre pas la hache de guerre, a démissionné de son poste de chef de parti et donc automatiquement du poste de Premier ministre. Il attend désormais que les conservateurs élisent son successeur.

Mario Draghi vient également de rendre son tablier, avec pour conséquence directe l’arrêt de la livraison d’armes de l’Italie à l’Ukraine. Enfin, l’Estonienne Kaja Kallas a constitué une nouvelle majorité après que l’ancienne se soit effondrée sous la pression du Parlement qui la tient responsable d’une crise économique qui fait mal (l’inflation est à 22 %), mais elle ne devrait pas survivre très longtemps.

Dans le même temps, le gouvernement des Pays Bas est complètement paralysé par une véritable émeute de paysans soutenue par le peuple. C’est ce qui attend le gouvernement français, d’autant plus qu’Emmanuel Macron doit désormais composer avec une Assemblée nationale où il n’a plus la majorité absolue. En Allemagne, les premières fissures dans la coalition sont apparues avec le FDP (libéraux) qui exige la suspension du démantèlement prévu pour la fin de l’année, des trois réacteurs nucléaires encore en opération. Un récent sondage en Allemagne montre que plus de 60 % de la population n’approuve pas un embargo énergétique contre la Russie — un pourcentage qui va certainement augmenter si le gouvernement procède, comme annoncé, au rationnement du gaz et de l’électricité dans les semaines et les mois à venir.

Zelensky et Biden dans la tourmente

En Ukraine, la défaite militaire qui se confirme sur le terrain laisse place à un climat de paranoïa dans lequel il faut trouver les responsables. C’est ainsi que le président ukrainien Volodymyr Zelensky a limogé dimanche 17 juillet au soir la procureure générale et le chef des services de sécurité du pays, Iryna Venediktova et Ivan Bakanov, en raison de soupçons de trahison de plus de 600 de leurs subordonnés au profit des Russes. Cette décision a été prise à la veille d’une réunion de l’Union européenne, comme pour donner des gages afin d’obtenir un renforcement des sanctions contre Moscou. Ambiance, quand on sait que Bakanov était un ami d’enfance de Zelensky et que Venediktova venait de lancer des poursuites pour crimes de guerre contre l’armée russe en Ukraine.

De leur côté, les États-Unis semblent également au bord d’une crise de régime. Le déplacement de Joe Biden au Proche et Moyen-Orient a tournée à la déconfiture. « Du Moyen-Orient, Biden repart les mains vides », commente Georges Malbrunot dans Le Figaro. Le président américain n’a rien obtenu de sa rencontre très controversée avec le prince héritier Mohammed Ben Salman, celui-là même qu’il vouait aux gémonies, il y a deux ans encore, pour son implication dans l’assassinat du dissident saoudien Jamal Khashoggi ; et il s’effondre dans les sondages, sur fond de colère populaire contre la hausse des prix.

De plus, suite à plusieurs épisodes très embarrassants — erreurs de lecture du prompteur, chutes de vélo, etc —, le débat sur l’état mental de Biden est relancé, y compris au Parti démocrate, dans la perspective d’élections de « mid-term » en novembre s’annonçant catastrophiques et laissant présager une large victoire républicaine sur le Congrès – ce qui ne serait pas sans évoquer une certaine situation française.

Les leaders du G7, réunis les 26 et 27 juin en Bavière.

Bref, des sept « grands » leaders de la planète (voir ci-contre), qui ont vanté leur unité et moqué Vladimir Poutine lors du dernier sommet du G7 en Bavière, l’Italien et l’Anglais sont déjà exit, tandis que le Français et l’Américain sont des « canards boiteux » — le premier parce qu’il a brûlé ses ailes en s’approchant trop du soleil et le second parce qu’il n’a plus d’ailes du tout…

Fin du dollar

Cependant, derrière ces crises de régimes, c’est tout le système néolibéral qui est aujourd’hui en faillite, tout comme l’était le système communiste en 1989-1991. Incapables de le reconnaître, les dirigeants occidentaux persistent dans des décisions qui ne font qu’aggraver les choses et menacent de faire s’effondrer la société, en imposant par exemple des sanctions dont le retour de bâton les poussent à rationner leurs propres populations, tandis qu’ils empêchent par ailleurs toute résolution diplomatique des conflits — « Freeze for Freedom » passe mal également aux États-Unis.

Face à ce constat, de nombreux pays dans le monde prennent des mesures afin de s’affranchir du système dollar et de contourner les blocages économiques engendrés par les sanctions.

Fait passé quasi inaperçu dans la presse occidentale, les cinq des plus grandes économies d’Asie du Sud-Est (les Philippines, la Malaisie, l’Indonésie, Singapour et la Thaïlande) ont annoncé le 14 juillet leur intention de signer un accord visant à intégrer leurs systèmes de paiement mobile réseau. Ainsi, les paiements effectués via le système utiliseront des règlements en monnaie locale entre les pays, ce qui signifie que les paiements effectués en Thaïlande à l’aide d’une application indonésienne seraient directement échangés entre la roupie et le baht, contournant ainsi le besoin de dollars américains comme intermédiaire.

Presque silencieusement, tels des mouvements de plaque tectonique invisibles à la surface, un nouveau système monétaire est en train de se substituer au système dollar en place. Déjà, l’Inde, qui a refusé de monter dans le train fou contre la Russie, a passé des accords rouble-roupie avec Moscou afin de contourner les sanctions et de continuer les échanges commerciaux, en particulier de pétrole. De même, Beijing et Riyad ont conclu des contrats pétroliers libellés en yuan chinois.

Un « nouveau Bretton Woods » n’est pas simplement en gestation mais commence à naître. Le défi reste de rendre conscientes les populations occidentales du changement en cours et de l’espoir que cela porte pour l’avenir, afin de contraindre nos dirigeants à abandonner la folie du découplage d’avec la Russie et la Chine, et à s’associer à ces pays pour accoucher concrètement de ce nouveau système financier et monétaire international, dont l’objectif déclaré doit être de vaincre la pauvreté et le sous-développement dans le monde entier, et d’élever le niveau de vie dans les pays en développement, comme le stipule l’Appel à un Comité ad hoc pour un Nouveau Bretton Woods, que Solidarité & progrès soutient – et que nous vous encourageons vivement à SIGNER ICI.

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