Ukraine, énergie : l’UE, dindon zélé de la farce américaine

lundi 10 octobre 2022

Chronique stratégique du 10 octobre 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Les deux dernières semaines ont marqué un tournant décisif de la situation stratégique internationale avec l’intégration à la Fédération de Russie de quatre oblasts d’Ukraine et le sabotage des gazoducs Nord Stream (voir l’analyse très pointue du colonel suisse Bosshard)

Elles pourraient également s’avérer un tournant dans les relations entre puissances transatlantiques, s’il est démontré que les États-Unis et/ou d’autres alliés de l’Otan sont effectivement responsables des attaques dans la mer Baltique contre une infrastructure énergétique vitale pour l’Union européenne. Pour les pays européens le dilemme est simple : ou bien l’Otan a saboté une infrastructure vitale pour l’avenir des pays de l’UE et dans ce cas, il faut quitter l’alliance ; ou bien cela a été fait par les Russes et alors l’Otan s’avère incapable de nous défendre donc y rester perd tout son sens...

Accélération

Lors de la cérémonie de signature des traités d’intégration, le 30 septembre, le président Poutine a souligné que « l’effondrement de l’hégémonie occidentale est irréversible » et qu’un nouvel ordre mondial se met en place. Or, nous savons qu’en Occident il ne manque pas de fanatiques prêts à risquer une guerre mondiale pour maintenir l’ordre impérial établi. C’est ce qu’a démontré l’attaque invraisemblable contre les gazoducs Nord Stream 1 et 2 — où les « experts » décérébrés des médias ont eu la clairvoyance d’y voir l’action machiavélique d’un Poutine prêt à détruire ses propres infrastructures et à s’aliéner définitivement les Européens… Certains ont même voulu y voir des manœuvres obscures du FSB dont une faction voudrait montrer que Poutine n’est pas à la hauteur des enjeux...

L’escalade des tensions a poussé Angela Merkel à sortir de sa réserve et à lancer une mise en garde assez inhabituelle pour l’apathique ancienne chancelière. S’appuyant sur ses propres entretiens avec Vladimir Poutine, elle a conseillé de ne pas considérer ses propos comme du « bluff », comme on a tendance à le faire à l’Ouest. Lors de l’inauguration de la Fondation Helmut Kohl, le 27 septembre, elle a déclaré que prendre au sérieux les paroles du président russe n’est « en aucun cas un signe de faiblesse ou d’apaisement, mais de sagesse politique ». Selon elle, Helmut Kohl aurait protégé l’Ukraine, mais tout en recherchant « comment renouer les relations avec la Russie » dès la fin du conflit.

La Commission européenne, par contre, a réagi aux « référendums fictifs » et à « l’annexion » des quatre régions en annonçant une nouvelle série de sanctions (la huitième) contre des citoyens russes et des exportations de produits industriels vers la Russie.

Nathalie Loiseau, une proche d’Emmanuel Macron a sommé Joseph Borrel d’appliquer des « sanctions individuelles », non plus contre des citoyens russes, mais contre des citoyens des pays membres de l’UE qui ont accepté de servir d’observateurs internationaux lors des référendums !

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De son côté, la Maison-Blanche en a fait autant et elle compte imposer de nouvelles mesures punitives à des centaines de citoyens russes et d’habitants des quatre régions.

Par ailleurs, les États-Unis et l’Albanie ont présenté au Conseil de sécurité de l’ONU une résolution qualifiant de nuls et non avenus les résultats des référendums. Dix des 15 membres du Conseil l’ont soutenue le 30 septembre, mais quatre grands pays se sont abstenus : la Chine, l’Inde, le Brésil et le Gabon. La Russie y a, bien sûr, opposé son veto. Washington va donc soumettre une résolution similaire à l’Assemblée générale de l’ONU.

Le président Zelensky a réclamé, pour sa part, une « adhésion accélérée » de l’Ukraine à l’Otan, mais sans susciter beaucoup d’enthousiasme à Washington. Le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a fait comprendre que cette question n’était pas à l’ordre du jour pour le moment, ajoutant que « notre priorité est de fournir un soutien immédiat à l’Ukraine pour l’aider à se défendre contre l’invasion brutale de la Russie ». Autrement dit, les Ukrainiens devront se contenter de servir de chair à canon dans une guerre contre la Russie, qu’il leur serait impossible de mener sans les moyens financiers et matériels fournis par l’Otan.

Dans la bataille pour l’énergie, l’Union européenne capitule

Le 30 septembre, les ministres de l’Énergie de l’UE se sont réunis le 30 septembre pour discuter de la montée en flèche des prix de l’énergie en Europe et proposer des mesures d’urgence. À l’issue de la réunion, la commissaire européenne à l’Énergie, Kadri Simson (Estonie), a déclaré à la presse : « Les ministres étaient inquiets, tout comme moi, du fait que cet hiver ne sera pas facile pour nous, et que le prochain sera encore plus difficile. »

Aucun accord a été conclu sur le plafonnement du prix de gros du gaz naturel, l’une des principales revendications qu’un groupe de 15 États membres avaient soumises à la Commission. Et si tous semblent d’accord pour tenter de limiter les profits mirobolants encaissés par les entreprises de combustibles fossiles, on peut douter de l’efficacité d’une telle approche dans un royaume où la spéculation et le marché sont rois.

Un certain nombre de pays membres de l’UE, dont l’Allemagne, l’Autriche et les Pays-Bas, refusent tout plafonnement des prix, et la Commission européenne a fait valoir qu’une telle mesure compromettrait l’approvisionnement de l’UE sur le marché mondial. La ministre autrichienne de l’Énergie, Leonore Gewessler, a expliqué que son gouvernement ne pouvait pas soutenir un plafonnement des prix pour des raisons de sécurité énergétique. « L’Autriche est dépendante des importations de gaz naturel et des importations de gaz de Russie, a-t-elle déclaré. Dans toutes ces propositions, je n’ai vu aucune certitude que nos partenaires fournisseurs continueraient à livrer suffisamment de gaz à l’Europe si nous ne sommes pas prêts à payer le prix demandé. »

A cette occasion, on a, une fois de plus, évacué la question de la fermeture du marché à terme du gaz naturel à Amsterdam (le TTF), seule mesure qui permettrait pourtant mettre les prix de l’énergie à l’abri d’une spéculation de plus en plus folle.

De son côté, le gouvernement allemand est fermement opposé à un contrôle du prix du gaz à l’échelle de l’UE. Toutefois, il a décidé de faire cavalier seul pour contrer l’inflation galopante. Ainsi, le chancelier Scholz a annoncé le 29 septembre que le gouvernement allait débloquer la somme énorme de 200 milliards d’euros pour aider les ménages et les entreprises à payer leurs factures d’énergie. Peu avant, au Royaume-Uni, le nouveau gouvernement de la Première ministre Liz Truss avait annoncé de son côté son intention de lancer un emprunt colossal pour subventionner les prix de l’énergie.

Or, ces nouvelles formes d’assouplissement quantitatif ne feront nullement baisser les prix. C’est simplement le gouvernement qui paiera les prix exagérés de l’énergie pour le compte des entreprises et des ménages, créant une forte demande et, partant, des prix encore plus élevés. Ainsi, on renflouera les divers fonds spéculatifs et, en fin de compte, les banques… du moins provisoirement.

Selon Eurostat, les prix à la consommation dans la zone euro ont connu une hausse record de 10 % en septembre, par rapport à l’année dernière. En août, le taux d’inflation annuel était de 9,1 %, contre 3,4 % il y a un an. En tête, les prix de l’énergie, qui ont connu une augmentation de 40,8 % sur un an en septembre, tandis que ceux des produits alimentaires, de l’alcool et du tabac ont bondi de 11,8 %.

En Allemagne, les prix ont augmenté de 10,9 %, atteignant un taux à deux chiffres pour la première fois depuis des décennies, mais la situation est pire aux Pays-Bas, qui enregistraient une hausse vertigineuse de 17 % en septembre. Si les prix de l’énergie sont le principal moteur de la dérive, la hausse avait commencé bien avant le conflit entre l’Otan et la Russie en Ukraine.

Conditionnée pour rester dans la règle du jeu, la Banque centrale européenne a augmenté ses taux, dans une tentative de freiner la tendance, sans succès, et prévoit de mettre en œuvre un nouvelle hausse à la fin du mois. Autant jeter de la dynamite dans le feu.