Jacques Cheminade :

« Si on n’était pas dans le commandement de l’OTAN, on nous respecterait. »

jeudi 27 octobre 2022, par Tribune Libre

Récemment, lors d’un discours prononcé à Bpifrance, Emmanuel Macron a publiquement reproché aux États-Unis de vendre leur gaz à la France quatre fois plus cher qu’à leurs industriels. Le président français semble avoir pris conscience – enfin ! – que la crise de l’énergie, dont souffrent nombre de pays européens dont la France, profite en réalité aux États-Unis et qu’il est temps de s’affranchir de la dépendance aux Américains.

Pour tenter d’y voir plus clair, un journaliste étranger qui a préféré garder l’anonymat, a recueilli les propos de Jacques Cheminade, président du parti Solidarité & Progrès et trois fois candidat à l’élection présidentielle française.

 
Quel rôle jouent les États-Unis dans le contexte actuel ?

 
Jacques Cheminade : Les États-Unis sont occupés par une oligarchie anglo-américaine, qui est basée sur la finance et sur les algorithmes de tout le numérique ; et avec cela ils créent un monde détaché de l’économie physique, de l’économie réelle. C’est un monde qui est basé sur une puissance qui, soutenue par le Pentagone, cherche à occuper les autres.

Alors, Emmanuel Macron se plaint ! Bruno Le Maire se plaint ! Mais qu’ont-ils fait ?  Qu’ont-ils préparé, Rien ! Ils sont restés dans le système pour l’essentiel et n’ont pas été capables d’envisager un autre type d’ordre monétaire et financier international. Mon espoir, c’est qu’avec les pays de l’Organisation de coopération de Shanghaï, avec les Brics, on arrive à cet autre ordre. On doit rebâtir un système, cela ne peut pas être dans une logique de blocs. Pour l’instant, nous en préparons l’embryon avec des accords de devises, avec un retour de l’unité de la nation. Mais pas une nation réfugiée derrière un mur, non : une nation qui coopère, qui développe. Et là, il y a un espoir. La France devrait y participer. Et elle devrait être un peu le médiateur, le catalyseur, et aussi l’inspirateur de cette politique nouvelle qui sortira le monde de l’emprise financière, de la crise, et qui passera au niveau de l’initiative mondiale de sécurité et de développement.
 
Pourquoi Emmanuel Macron et Bruno Le Maire ne s’étaient pas préparés à cette crise ? Pensez-vous qu’en agissant ainsi, c’est-à-dire en achetant du gaz naturel aux États-Unis, et en répondant à certains appels des États-Unis notamment dans la crise ukrainienne, la France reste encore indépendante sur le plan diplomatique ?
 
Jacques Cheminade : Il faudrait poser la question à Von der Leyen, qui a été promue par le président Macron. Il a mis à la tête de la Commission européenne quelqu’un qui se prend pour la présidente de l’Europe. C’est inadmissible. C’est un va-t-en-guerre en ce qui concerne l’Ukraine et la Russie, qui n’offre pas de projet commun de développement.

Donc, il faut une autre politique, Je ne sais pas si le président Macron sera assez courageux, assez intelligent pour la suivre. Il sait cette nécessité, il a dit lors de son discours à Xi’an, en Chine, il y a trois ans, qu’il fallait une autre forme de développement. Eh bien, allons-y. Soyons capables en France de prendre le taureau par les cornes et d’avancer en offrant au monde une politique qui aille dans ce sens, et pas une politique qui est la destruction des économies par une prééminence absolue du financier du court terme.
 
Pensez-vous que le président Macron est suffisamment autonome et indépendant dans la conduite de la politique étrangère de la France ?
 
Jacques Cheminade : C’est à lui qu’il faudra le demander. Ce que je pense, c’est qu’il ne s’est pas donné les instruments pour se libérer de cette tutelle financière, d’une véritable dictature financière, d’une oligarchie qui ne pense qu’à ses intérêts et qui est en train de se détruire elle-même parce qu’elle est incapable d’offrir au monde un projet. Le président Macron a des atouts en mains du fait des gens qui l’ont porté au pouvoir. S’il joue ces atouts, il devrait s’opposer à eux. Ce qui est essentiel pour moi, c’est qu’au niveau du peuple, il y a une volonté différente. À peu près les trois quarts des électeurs français ont voté pour des partis qui voulaient sortir du commandement intégré de l’OTAN. Macron ne voulait pas le faire. Pourquoi ? Parce qu’il est tenu financièrement et militairement. Si on n’était pas dans le commandement de l’OTAN, on nous respecterait  ; parce que nous aurions la liberté de notre outil militaire tout en restant dans l’OTAN. Nous aurions la possibilité d’utiliser notre outil militaire, y compris nucléaire, et nous serions respectés. Aujourd’hui on est tellement intégré dans l’OTAN, une OTAN qui s’étend vers le Global South, vers le monde entier et en particulier qui a une attitude va-t-en-guerre vis-à-vis de la Russie. Blinken, le secrétaire d’État américain, a dit : notre but ultime c’est de contenir et d’empêcher la Chine de se développer. Donc la France doit sortir de ce schéma et pouvoir jouer le rôle d’inspirateur, de catalyseur dans le monde, au service des progrès humains et, comme disait Charles de Gaulle : de l’unité de l’espèce humaine.

Quatre ans après le « America First » de Donald Trump, Joe Biden veut restaurer le leadership de son pays dans le monde. Quels sont les défis que constitue cette politique de Joe Biden pour l’indépendance de la France ? Comment y faire face si l’exécutif veut conduire le pays selon les principes du gaullisme fondés sur l’indépendance de la France par le refus de sa « vassalisation » à des organismes supranationaux comme l’OTAN ?
 
Jacques Cheminade : il y a en France deux mouvements protestataires : l’extrême droite et l’extrême gauche. Ils font partie des gens qui rejettent ce système. Il faut faire pression sur Emmanuel Macron pour qu’il fasse une politique différente. Quant aux États-Unis : les États-Unis ce n’est pas Joe Biden, qui est aux ordres d’une oligarchie qui contrôle la finance, les médias, les universités, les think tank. On a cette espèce de monstre à plusieurs têtes qui occupe ce pays. En ce qui nous concerne, nous avons nos amis là-bas, dont une candidate dans l’État de New York qui s’appelle Diane Sare. Elle affronte Chuck Schumer pour le poste de sénateur de l’État de New York. Elle est quand même la 3e candidate. On voulait l’éliminer. Il fallait 15 000 signatures pour qu’elle puisse se présenter, elle en a eu 67 000 ! Elle défend cette politique que, moi-même, je défends ici avec une vision française. Nous pensons que dans le monde, la priorité absolue, c’est la paix, c’est arrêter cette course à la guerre, qui est quelque chose de terrible pour l’humanité.